Un an de prison ferme requis contre cinq des prévenus français de Guantanamo

Compte rendu

Un an de prison ferme requis contre cinq des prévenus français de Guantanamo

Le Monde, 12 juillet 2006

n jour d’août 2001, un convoi de véhicules 4×4 a fait irruption dans le camp d’Al-Farouk, installé en plein désert, à une heure de route de Kandahar, en Afghanistan. Entouré de gardes du corps en armes, Oussama Ben Laden est descendu d’une jeep. « Ce jour-là, il y en avait qui étaient super-excités », a raconté Mourad Benchellali, lundi 10 juillet, devant le tribunal correctionnel de Paris.

Le « cheik » Oussama a prononcé un discours en arabe, une diatribe « contre les mécréants, contre l’Occident et contre les Américains », que le jeune Français a dû se faire traduire par un ami. Le chef terroriste a également parlé « d’attentats-suicides ». « Là, j’ai été choqué. Je me suis dit : « Sauve qui peut » », assure Mourad Benchellali, qui – à l’en croire – aurait alors volontiers pris la fuite. Mais un tel projet paraissait inconcevable : « On était isolés du monde et l’émir nous avait prévenus : on ne partirait qu’une fois l’entraînement militaire terminé, sauf si on tombait malade. »

Au quatrième jour du procès des six anciens détenus français du camp américain de Guantanamo, qui comparaissent pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme », le tribunal s’est intéressé à leur itinéraire afghan.

Tous ont séjourné pendant une brève période à Kaboul, dans la Maison des Algériens, passage obligé pour nouer les contacts avec les filières d’accès aux camps d’entraînement. Celui d’Al-Farouk était financé par Oussama Ben Laden lui-même.

Selon Mourad Benchellali, le voyage en autocar entre Kandahar et le camp avait des allures de départ en colonie de vacances. « Tout le monde était joyeux. On chantait des chansons d’encouragement, l’équivalent en arabe d’Elle descend de la montagne à cheval », dit-il sans rire.

A écouter le récit d’un autre prévenu, Brahim Yadel – le seul encore en détention -, le camp d’Al-Farouk pouvait accueillir « environ 200 combattants » qui étaient hébergés sous des tentes. Les volontaires effectuaient le tassissi, la formation militaire de base, pendant quarante jours. La discipline et le mode de vie y étaient rudes, « mais on ne tirait pas plus d’une quinzaine de balles », assure-t-il.

Réveillés une à deux heures avant le lever du soleil, les apprentis djihadistes démarraient la journée par la prière. Suivaient des exercices physiques (jogging, marches d’orientation) puis une partie théorique composée « de cours en arabe et de discours ». La nourriture était frugale, la chaleur torride en cet été 2001. « Ils nous mettaient dans des conditions extrêmes pour sélectionner les plus motivés », explique Mourad Benchellali.

Brahim Ben Yadel se souvient d' »hommes masqués qui s’entraînaient à l’écart » : « Ils faisaient des trucs bizarres. Je n’ai pas de preuves matérielles, mais j’en déduis que c’était pour organiser des actes terroristes. »

Selon les anciens stagiaires français du camp – au nombre de trois avec Nizar Sassi -, leurs coreligionnaires se destinaient au djihad en Afghanistan, aux côtés des talibans, ou en Tchétchénie, contre les Russes. « Ils n’étaient pas tous volontaires. J’ai connu un Yéménite que son père avait envoyé là parce qu’il se livrait au trafic de drogue », a affirmé Mourad Benchellali.

Brahim Ben Yadel a connu d’autres camps. « Ceux qui les fréquentaient en 2001 savaient que c’était pour le djihad ou pour le terrorisme », estime-t-il. Son apprentissage de l’usage des armes automatiques et des canons achevé, il a suivi une « formation électronique ». « Je pensais que ça pouvait être un plus. Que cela pourrait me servir pour maîtriser les schémas dans le but de déclencher quelque chose à la fin », a-t-il déclaré. Arrivé à Kaboul en mars 2000, il a eu l’occasion de rencontrer Oussama Ben Laden : « Il est arrivé au moment de la prière. Ça a été très rapide ».

Tous ont quitté l’Afghanistan après les attentats du 11-Septembre. Interceptés par des Pakistanais, ils ont été vendus aux Américains pour la somme de 5 000 dollars par tête.

Yves Bordenave

Cinq condamnations requises

Cinq ans de détention, dont quatre avec sursis, ont été requis contre Brahim Yahel, le seul prévenu à être encore en détention provisoire, du fait de ses « antécédents terroristes ». A l’encontre des quatre autres prévenus, Mourad Benchellali, Nizar Sassi, Khaled Ben Mustapha, Redouane Khalid, la procureure Sonya Djemni-Wagner a réclamé quatre ans de détention, dont trois assortis du sursis, afin qu’ils ne « retournent pas en détention ».

Au cours d’un réquisitoire de plus de deux heures, elle a indiqué « ne pas pouvoir ne pas prendre en compte la détention anormale de Guantanamo » tout en demandant aux juges de « dire qu’ils sont coupables ».

En revanche, pour Imad Achhab Kanouni, contre lequel pesaient les présomptions les plus légères, elle a estimé « ne pas pouvoir requérir de peine ». (- Avec AFP.)