Les auditions illégales des services secrets
Julien Bordier, L’Express, 5 juillet 2006
Selon le quotidien Libération, qui publie en Une un télex « confidentiel diplomatie » envoyé de Washington le 1er avril 2002, des officiers de la DST et de la DGSE ont interrogés de manière clandestine les six présumés islamistes jugés en ce moment à Paris
Quarante-huit heures après le début du procès, à Paris, de six ex-détenus français de la base militaire de Guantanamo, Libération révèle dans son édition d’aujourd’hui que des officiers des services secrets français (DGSE et DST) ont procédé à des interrogatoires clandestins de ces suspects.
Le quotidien publie en Une un télex marqué « confidentiel diplomatie ». Ce document, envoyé de Washington le 1er avril 2002 au ministère des Affaires étrangères à Paris, a pour objet: « Mission française à Guantanamo ».
Le premier paragraphe de ce compte-rendu explique notamment que « nos compatriotes sont bien traités » et que « la coopération des militaires américains s’est révélée excellente ». Puis le document développe le déroulement de la « mission conjointe département DGSE-DST » qui « s’est déroulée dans de bonnes conditions du mardi 26 au dimanche 31 mars 2002 ».
« Accueillie très cordialement, dès le début de ses travaux, par le Général Dunlavey, commandant la Joint Task Force 170, elle a bénéficié d’un bon soutien logistique tout au long de son séjour.
Avant de quitter la base, elle a également été reçue par le Général commandant la Joint Task Force 160, chargé de la logistique autours du camp X-Ray de Guantanamo » est-il écrit.
Il est noté que « des informations recueillies à cette occasion, on retiendra les éléments suivants » – suit de nombreux renseignements synthétisés sur une page (situation professionnelle, scolaire, judiciaire…). « Tous ne sont pas délinquants, seul Redouane Khalid a fait de la prison (…), tandis que Nizar Sassi avouera des délits tels que vols de voiture et vente de stupéfiants », peut-on lire. Le quotidien retient le terme « avouera » qui « indique bien que Sassi se confie sans retenue à ces responsables français venus en sauveurs, après des semaines de séquestration dans les geôles américaines ».
Preuve
Cette pièce pourrait bien changer la donne en plein procès des ex-détenus. Elle apporte la preuve de ce que dénonce depuis des mois les avocats – Mes Williams Bourdon et Jacques Debray – de deux des six ex-prisonniers: « Des auditions clandestines ont été réalisées sur la base par des agents de renseignement français, hors de tout cadre légal, et ont nourri de façon illicite le dossier judiciaire » clament les magistrats qui avaient déposé une requête en nullité, rejetée par les juges. Ces derniers avaient considéré à l’époque que « la preuve n’était pas rapportée ». Dernièrement, le 18 janvier 2006, la Cour de cassation, avait également abondé en ce sens.
« La DST a exploité des renseignement de manière illégale recueillis auprès de personnes retenus dans des conditions inhumaines, arbitraires et contraires au droit international » assènent les deux avocats, avant d’ajouter « C’est très grave. On nous a menti, et toute l’enquête est affectée par cette déloyauté ».
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