Torture à la 6e DPJ…

Torture à la 6e DPJ…

« A chaque décharge, le suspect faisait des bonds en l’air »

Le Nouvel Observateur, semaine du jeudi 16 février 2006 – n°2154 – Notre époque

« Le Nouvel Obs » a retrouvé un témoin des sévices infligés en 1995 à Slimane Rahmouni dit « l’Afghan »

La police française a-t-elle déjà eu recours à la torture en matière de lutte contre le terrorisme ? C’est ce qu’affirment les auteurs de « Place Beauvau », une enquête de huit mois dans les coulisses du ministère de l’Intérieur. Le livre exhume plusieurs cas de victimes de mauvais traitements lors de l’enquête sur la vague d’attentats islamistes algériens de 1995. Ils décrivent des suspects passés à tabac et victimes de diverses humiliations, notamment sexuelles, actes de torture sur lesquels même la justice a fermé les yeux. La plupart des accusés, dont Boualem Bensaïd, le chef des poseurs de bombes, avaient d’ailleurs évoqué les sévices subis lors de leur procès. Dans l’indifférence générale à l’époque. Plus de dix ans après les faits, sous la pression médiatique, le ministère de l’Intérieur vient pourtant d’ouvrir une enquête interne pour déterminer la véracité des faits et la chaîne des responsabilités.

« Le Nouvel Observateur » a retrouvé un témoin oculaire des actes de torture infligés en septembre 1995 à Slimane Rahmouni dit « l’Afghan », un militant islamiste arrêté après l’explosion d’une voiture piégée devant une école juive de Villeurbanne. Selon cet ancien officier de police judiciaire de la 6e DPJ, la future division nationale antiterroriste (DNAT), trois de ses collègues de l’époque ont effectivement fait usage de l’électricité pour faire parler « l’Afghan ».

« J’interrogeais un autre membre du réseau dans la pièce d’à côté quand j’ai été alerté par des cris et des coups contre le mur, assure-t-il aujourd’hui. J’ai été voir ce qui se passait. Mes collègues étaient munis d’une arme d’autodéfense à arc électrique et s’en servaient contre «l’Afghan», menotté à une chaise. A chaque décharge, le suspect faisait un bond en l’air et se cognait contre le mur. Mes collègues faisait des marques sur le mur et se marraient en disant qu’il voulait lui faire battre le record de saut en hauteur ! » Plus tard, au cours de la garde à vue dans les locaux de la SRPJ de Lyon, le prisonnier, un sac en plastique sur la tête, sera également traîné en laisse jusqu’à une autre pièce et exhibé devant une quinzaine de policiers réunis pour un pot de départ.

La psychose des attentats, l’impératif de résultat, le sentiment d’impunité aussi et sans doute, ici, l’influence de l’alcool pouvaient expliquer de tels dérapages. « D’ailleurs les gars ont obtenu des résultats, raconte un ancien de la DNAT. Au départ, on avait trois fois rien sur Rahmouni. A l’issue de la garde à vue, il avait tout avoué, les allers-retours en Bosnie et le stage commando au Pakistan. Il s’était même «allongé» spontanément sur une série de braquages qu’on ne lui reprochait même pas ! »

Condamné à sept ans de prison, Rahmouni vit aujourd’hui dans le sud de la France. Quant aux trois tortionnaires présumés, ils ne travaillent plus dans le domaine de l’antiterrorisme. L’un d’eux a pris sa retraite, ses deux collègues ont été réaffectés dans d’autres services. Aucun ne risque la moindre condamnation : même s’ils étaient établis, les faits seraient aujourd’hui prescrits. Toutefois, Nicolas Sarkozy a souhaité lundi dernier que le ministre de l’Intérieur de l’époque s’exprime. Pour mémoire, ce ministre s’appelait Jean-Louis Debré.
Olivier Toscer