Levée de l’état d’urgence : Le statu quo maintenu
El Watan, 28 février 2011
Qu’on ne se méprenne pas : la levée de l’état d’urgence n’est qu’un leurre pour tromper l’opinion publique. Un véritable coup de bluff destiné à la communauté internationale, qui n’a d’ailleurs pas manqué de saluer le geste comme «une avancée».
Le dispositif policier déployé avant-hier sur la place des Martyrs pour empêcher la marche de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) prouve encore une fois que le gouvernement n’a pas besoin d’une loi comme celle qui a été abrogée jeudi dernier pour opprimer. En fait, le problème n’est pas dans les lois. La Constitution algérienne, bien que triturée pour permettre une présidence à vie à Bouteflika, reconnaît bien le pluralisme politique et les libertés démocratiques, mais réside dans la nature du régime lui-même.
Et celui-ci n’est pas prêt à tolérer la naissance d’une alternative politique qui viendrait remettre en cause des positions de pouvoir et des privilèges immenses. La levée de l’état d’urgence n’est donc que de l’esbroufe. Deux jours après la publication au Journal officiel d’un texte portant son abrogation, la machine répressive qui frappe l’opposition démocratique et l’interdiction des marches à Alger — et même ailleurs, à Oran par exemple — n’a pas arrêté de fonctionner. Et lorsqu’on entend l’argument du ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, qui s’exprimait jeudi dernier sur les ondes de la radio Chaîne III, il y a de quoi s’inquiéter pour ce pays. «Les personnes conviées à ces marches appartiennent à des milieux différents et sont d’origines différentes (…). Il y avait également la crainte que la quiétude des habitants de ces lieux publics soit perturbée, surtout en week-end, par une marche.»
Cela est sorti de la bouche du responsable d’un ministère de souveraineté. Les insinuations d’Ould Kablia sont claires : ceux qui organisent les marches à Alger viennent d’ailleurs, autant dire des Kabyles, puisqu’il parle d’origines différentes. Plus loin, il nous annonce le pire : «Les commerçants nous ont demandé à ce qu’ils ne soient pas dérangés (…) Cela nous oblige à mettre en œuvre des moyens de protection en créant des barrières entre les habitants de Belcourt et d’El Madania et les initiateurs de la marche. Si nous n’avions pas érigé des barrages entre eux, il y aurait eu des incidents extrêmement graves.» Le ministre de l’Intérieur nous met presque dans un climat de guerre civile pour justifier l’interdiction des marches à Alger.
Ses arguments, il faut bien le souligner, sont à mille lieues de la réalité. Si ce n’est un groupuscule de jeunes instrumentalisés — eux-mêmes d’ailleurs avaient avoué, comme cela a été rapporté par la presse, avoir été rémunérés pour perturber les marches pourtant pacifiques — les autres habitants de Belcourt n’avaient manifesté aucune animosité envers les manifestants. L’argument sécuritaire ne semble décidément pas suffire pour étouffer les aspirations démocratiques des Algériens, entre autres le droit de manifester dans la rue, y compris à Alger. Il aurait fallu puiser dans le vieux répertoire de la division pour tenter d’opposer les Algériens les uns aux autres. Le ministre de l’Intérieur s’autorise tout pour stopper net le processus de réforme enclenché dans le monde arabe.
La levée de l’état d’urgence, c’est pour amuser la galerie. Ould Kablia a fourni une autre preuve que la levée de l’état d’urgence ne changera rien ; il a décrété que «le moment n’est pas opportun» pour délivrer des autorisations à de nouveaux partis politiques. Il n’en donne aucune explication. En a-t-il une, en réalité ? Certainement pas.
Sauf celle de vouloir régenter la vie politique du pays et briser toute dynamique de changement.
Me Khaled Bourayou : «Il ne suffit pas de lever l’état d’urgence» :
«Il ne faut pas confondre. La levée de l’état d’urgence ne règle rien, elle met fin à une situation. Depuis 19 ans, la norme juridique a été élaborée et formulée sous l’empire de l’état d’urgence. Aujourd’hui, il faut exorciser toutes les dispositions législatives et réglementaires qui ont restreint les libertés sous l’empire de l’état d’urgence.
Le code de l’information par exemple a été totalement détourné par l’autorité publique en mettant fin à la liberté d’édition et en introduisant le régime d’autorisation pour la création des journaux. La même chose est valable aussi pour la création de partis politiques. Aujourd’hui également, le juge peut retirer le passeport pour n’importe quel délit pour une durée de 5 ans par le biais de la disposition 16 bis 5. Ces dispositions ont été faites dans le but de restreindre les libertés. Il ne suffit donc pas de lever l’état d’urgence mais lever toutes les dispositions législatives et réglementaires qui répriment les libertés.»
Said Rabia