L’état d’urgence, une mesure régulant la pratique de la politique en Algérie

En vigueur depuis le 9 février 1992 :

L’état d’urgence, une mesure régulant la pratique de la politique en Algérie

par Hocine Lamriben, Le Jeune Indépendant, 19 novembre 2007

Quelle est l’explication qui a induit à faire référence jusqu’à ce jour à une disposition qui se base sur un texte n’ayant normalement plus de valeur juridique depuis le retour à la vie parlementaire en 1997 ? Pour une partie de la classe politique, la lutte contre la menace terroriste mérite bien une entorse à la Constitution.

Quant à l’autre partie, elle soutient que le dispositif sert aujourd’hui à réguler la pratique de la politique en Algérie et à maintenir le régime en place. Dans trois mois, l’Algérie bouclera sa seizième année sous état d’urgence, après que le défunt Mohamed Boudiaf, président du Haut comité d’Etat (HCE) l’eut décrété le 9 février 1992.

Cette mesure a été décidée pour six mois afin d’aider le gouvernement à faire face aux troubles ayant accompagné l’interruption du processus électoral. La mesure a été prorogée, sans limite, à la faveur d’un décret législatif, jugé anticonstitutionnel, pris par l’ancien président du HCE M. Ali Kafi.

Aujourd’hui, le gouvernement subordonne sa levée à la fin du terrorisme. La classe politique étant largement partagée, ce sont les associations de défense des droits de l’homme qui exigent la fin de la mesure qui a fait basculer en fait le pays dans l’état d’exception.

Le FLN se range officiellement derrière son secrétaire général et néanmoins chef du gouvernement pour qui le maintien de l’état d’urgence est une nécessité. Le MSP avait créé l’événement lors de la dernière législature en déposant une proposition de loi que le bureau de l’APN avait fini par enterrer en violation du règlement intérieur.

Depuis, le parti d’Aboudjerra Soltani se fait plus discret sur le sujet, surtout depuis l’attentat ayant visé en avril dernier le palais du Gouvernement. Ce jour-là Aboudjerra Soltani, ministre d’Etat, dont le bureau est au palais avait perdu une de ses secrétaires, atteinte par la bombe.

La position du RND est constante sur le sujet. La formation d’Ahmed Ouyahia, partisan de l’éradication du terrorisme tout en soutenant la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, est contre la levée du dispositif tant que le terrorisme n’est pas encore éradiqué ou entièrement vaincu, c’est ce qu’affirme M. Miloud Chorfi, chargé de l’information au RND, qui ajoute que «l’Etat a déployé énormément d’efforts pour arriver à bout de l’hydre intégriste».

Pourfendeur, lui aussi, de cet oukase, le parti de Louisa Hanoune semble édulcorer sa position d’antan. C’est M. Ramdhane Taâzibt, député du PT, qui s’est chargé de livrer la position du parti : «La levée de l’état d’urgence n’est pas notre cheval de bataille.» La donne sécuritaire a changé qualitativement et la situation est différente de celle des années 1990, soutient-il.

Mais arguant des menaces de déstabilisation du pays, le député considère que l’Etat a le droit d’avoir les moyens de se défendre, particulièrement à la lumière des récents attentats suicides de Batna, Boumerdès et Zemmouri. Mieux encore, il précise que les dispositifs de l’état d’urgence ne sont pas appliqués, une manière de suggérer que les libertés ne sont pas en danger.

Moussa Touati, leader du FNA, a tenu des propos ambigus. Affirmant que le maintien de cette disposition est quelque part justifié par la conjoncture sécuritaire actuelle, faite de menaces d’attaques par des kamikazes, il appelle les pouvoirs publics à lever la chape de plomb pesant sur les activités politiques et les libertés individuelles.

«Autrefois, c’était la crainte politique, aujourd’hui, c’est l’insécurité et le terrorisme qui menacent le pays», soutient-il, ajoutant qu’«il faut permettre aux gens de s’impliquer dans la vie politique». De son côté, la formation de Saïd Sadi se montre des plus tranchantes sur le sujet.

«Les premiers temps, cette loi avait ses justifications. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Elle est utilisée pour en finir avec les libertés démocratiques et museler la société. Cette disposition n’a pas sa raison d’être», tranche Mohcene Belabes, le chargé de la communication au RCD.

Pour étayer ses propos, il se réfère aux dernières sorties du Président qui affirmait à l’ouverture de l’année judicaire qu’il n’y a pas de terrorisme mais du banditisme. Une déclaration qui milite pour la levée de l’état d’urgence, puisque sa raison d’être, le terrorisme, n’existe plus.

Belabes pense que le terrorisme peut être combattu sans pour autant recourir à l’état d’urgence, affirmant que cette mesure dérange beaucoup plus la société que les terroristes irréductibles. Autant d’arguments qui plaident, precise-t-il, pour sa levée immédiate.

En revanche, le RCD ne se fait pas trop d’illusions sur l’éventualité de sa levée. La solution ? Le départ du régime en place, en premier lieu Zerhouni, ministre de l’Intérieur, accusé de tous les maux. «Le problème réside dans les gens qui nous gouvernent, non pas dans l’état d’urgence», conclut-t-il.

Par ailleurs, le FFS est resté intraitable sur le sujet. Les revendications d’hier restent immuables : «Le dispositif n’était destiné ni à ramener la sécurité de la population ni à protéger ses biens. C’est plutôt un dispositif imposé aux Algériens pour permettre au régime de se régénérer et se maintenir.

Ce qui explique que l’état d’urgence a été plus un dispositif contre la démocratie qu’un dispositif visant à rétablir le pays dans la voie de sa construction», indique Karim Tabou, premier secrétaire du FFS. Selon lui, le bilan découlant de l’application de cette mesure est des plus catastrophiques.

«La sécurité n’est pas garantie, la démocratie n’existe pas, les libertés publiques sont complètement bafouées alors que les Algériens sont touchés dans leur dignité», fulmine-t-il. Tabou indique que le FFS a rappelé ses positions à travers ses actions internationales par le biais du président du parti lors des rencontres sur les droits de l’homme, des missions d’informations et de réception de délégations étrangères.

M. Aït Ahmed a tout fait pour attirer l’attention des partenaires de l’Algérie sur ce sujet. Jugeant «illégal» le maintien de ce dispositif, il soutient que l’Algérie est devant des paradoxes. «Autant, d’un côté, les autorités se targuent du rétablissement de la paix et de la sécurité à travers la réconciliation nationale et la remise en place des institutions, autant elles maintiennent, d’un autre côté, un dispositif interdisant aux syndicalistes d’activer librement ou de constituer des syndicats autonomes», argue-t-il.

A ses yeux, le pays est en train d’amorcer un retour lourd et violent vers toutes sortes d’entraves à la démocratie. Il cite, à cet effet, le code pénal bis qui brime et crée de la violence contre les journalistes, la loi électorale qui fait des partis politiques des machines électorales….

L’issue ? Pour le numéro 2 du FFS, la lutte doit s’inscrire dans le cadre du recouvrement de la démocratie et de l’avènement d’un Etat de droit. «Tous les intellectuels sont concernés», précise-t-il. H. L.


Mokrane Aït Larbi :

L’état d’urgence n’a que trop duré

par H.L

«Qui dit état d’urgence dit atteinte aux libertés». Cinglante sentence de Me Mokrane Aït Larbi, avocat émérite et militant des droits de l’homme. L’état d’urgence, promulgué en février 1992, n’a que trop duré, dit-il en ajoutant que sa levée relève plutôt d’une problématique politique.

De son avis, l’actuel ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, Yazid Zerhouni, se cache derrière cette mesure pour se donner un prétexte et ne pas délivrer d’agrément aux nouveaux partis politiques. En effet, les nouvelles formations se plaignent du refus et souvent du silence du ministre sur le sujet.

Les plus connues sont le mouvement Wafa d’Ahmed Taleb Ibrahimi, de l’UDR d’Amara Benyounes et le Front démocratique de Sid Ahmed Ghozali. Prié de donner son avis sur les voies et moyens pour la levée de la mesure d’exception en vigueur depuis plus de 17 ans, notre interlocuteur affirme que seule l’Assemblée populaire nationale peut prendre une telle initiative regrettant au passage l’inertie des partis politiques siégeant à la chambre basse.

Quant aux partis qui se réclament du camp démocratique, Me Aït Larbi déplore leur silence sur le sujet et indique qu’ils feraient mieux de balayer devant leurs portes avant de demander quoi que ce soit. La cible semble être le RCD qui, par le passé, a fait de la levée de l’état d’urgence son cheval de bataille.

La formation de Saïd Sadi, avec 19 députés plus 1, peut déposer une proposition de loi dans ce sens au niveau du bureau de l’APN. H. L.

 


L’Etat et ses urgences

par Mohamed Zaâf

En Algérie, l’Etat possède un regard qui assurément sait voir à la couleur désirée. Lorsque ses supposés intérêts l’exigent il met des lunettes qui présentent une situation sécuritaire des plus favorables, plus nette que celle qui existe dans le périmètre de la NASA.

Lorsque ses supposés intérêts l’exigent aussi, il nous met un monocle qui nous présente la situation comme alarmante au point de croire que le sieur Ezzawahiri est dans les gorges de Sacamody en train de préparer une entrée triomphale dans les heures qui viennent à Alger.

En Algérie, la météo sécuritaire peut changer aussi vite que la météo naturelle ; elle peut passer avec une rapidité étonnante d’une inondation d’orage à une inondation de soleil. Ce qui fait que depuis quinze années on ne sait plus sur quel pied danser.

On ne sait plus si c’est l’Etat qui a besoin de ce type d’urgence ou si ce sont les urgences qui ont besoin de cet Etat. On ne sait plus qui a besoin de qui ! Les militaires avaient à un certain moment dit qu’ils pouvaient très bien accomplir leur boulot sans l’aide de l’état d’urgence.

Les officiels civils disent au nom de tous, civils et militaires, que l’état d’exception aide quand même à vivre plus tranquillement. Et le commun des mortels ? Il ne ressent presque pas l’étranglement que subissent ses compatriotes «engagés».

Le commun des mortels peut jouir de tous les droits que lui confèrent les forces de l ‘informel. La rigueur de notre état d’urgence est à l’image de notre Etat tout court. Notre état d’urgence est tellement lâche qu’il permet de traverser sans trop d’efforts les frontières et les eaux territoriales, à la manière des harraga.

Il peut se faire tolérant si vous vous laissez entraîner dans le narcotrafic, ou si vous vous installez dans la vente, l’achat ou la fabrication d’armes, dans la vente et l’achat d’alcools, de plaisirs. Le président a bien dit que les maux essentiels de l’Algérie provenaient des activités criminelles et non plus du terrorisme.

Le terrorisme est vaincu et les experts internationaux nous le disent fidèlement chaque année de peur peut-être que nous l’oublions. Mais aucun des agents de la criminalité n’a été perquisitionné chez lui. Il n y a plus de perquisitions, les barrages militaires ont disparu, les autres sont moins présents que les «faux».

Il faut d’ailleurs reconnaître que les activités délictuelles font équilibre au chômage, même si elles ne sont pas retenues dans les chiffres de la solidarité officielle. L’état d’urgence laisse donc les libertés et un peu plus aux Algériens qui, majoritairement, y trouvent largement leur compte.

Après tout, ils ne perdent dans l’affaire que la liberté… Politique. Une denrée qui leur provoque des constipations. On les prive d’une liberté à problèmes pour leur permettre de baigner dans les libertés lucratives. Pourquoi alors réclamer ? Pourquoi défendre Wafa et consorts dont les programmes promettent justement d’empêcher les libertés criminelles.

Après la menace terroriste et la menace criminelle, il ne serait pas étonnant de voir se constitutionnaliser la menace… politique. M. Z. [email protected].