Acculé, Bouteflika entreprend de ravaler la façade du système

Levée de l’état d’urgence et accès des partis aux médias lourds

Acculé, Bouteflika entreprend de ravaler la façade du système

El Watan, 5 février 2011

Le chef de l’Etat semble ne rien céder dans la meure où il compte faire adopter une nouvelle loi pour encadrer la lutte antiterroriste
à la place des textes juridiques régissant l’état d’urgence qu’il a promis de lever.

L’annonce, jeudi, par le chef de l’Etat de sa décision de lever «dans un très proche avenir» l’état d’urgence et de permettre aux partis politiques de l’opposition un plus grand accès aux médias lourds en dehors des périodes électorales, n’a suscité aucune joie particulière au sein de la société. Hormis les trois partis de l’Alliance présidentielle qui se sont empressés, comme d’habitude, d’applaudir à chaudes mains «l’initiative louable» du raïs algérien, la majorité de la classe politique a décrypté cette décision comme une tentative désespérée d’un régime autoritaire, finissant et aux abois, de se doter d’une façade démocratique.

But de la manœuvre : absorber la colère de la population qui ne cesse de réclamer le départ du personnel politique en place en donnant, bien entendu, l’illusion d’un changement et, enfin, couper l’herbe sous le pied de l’opposition et en particulier des nombreux animateurs de la Coordination nationale pour la démocratie et le changement (CNDC) qui prévoient, justement, d’organiser une marche pacifique le 12 février à Alger pour exiger la levée de l’état d’urgence et l’ouverture des champs politique et médiatique. La CNDC, structure qui a réussi la prouesse rare de faire asseoir à la même table des partis politiques, des ONG et des syndicats et, mieux encore, de leur faire admettre la nécessité d’adopter une démarche unitaire, donne tout l’air d’avoir provoqué la panique au sein régime, d’autant qu’elle revendique également le départ du système et un changement politique profond.

Cette peur, qui s’est emparée des plus hautes sphères du pouvoir, est d’autant plus grande qu’elle intervient dans un contexte international caractérisé par l’amorce de révoltes populaires dans de nombreux pays arabes et la chute des principaux dictateurs de la région.Mais s’ils paraissent avoir agi sous l’effet de la peur de la colère de la rue et probablement de la crainte de subir le même sort que Ben Ali et Moubarak, il n’en demeure pas moins que le chef de l’Etat et son premier cercle «d’alliés», en ne satisfaisant qu’à moitié les revendications de la société et en ne procédant qu’à un petit ravalement de la vitrine du régime – en vérité sans impact réel sur la vie politique, économique et sociale du pays –, ne désespèrent pas, en même temps, de reprendre la situation en main et d’assurer la pérennité de leur pouvoir et de celle du système.

Connu pour être un fin manœuvrier, Abdelaziz Bouteflika, qui s’est aussi souvent enorgueilli en privé de «très bien maîtriser l’art de l’embuscade et de l’esquive», paraît ainsi compter sur un rapide essoufflement de la contestation et une dissipation de «l’euphorie démocratique» qui s’est emparée de la rue arabe en général et de la rue algérienne en particulier.
En un mot, sa stratégie consiste à faire le dos rond et gagner du temps en attendant juste que les choses se tassent et reprendre le cours des choses comme si de rien n’était. A ce niveau, le seul risque que prend le chef de l’Etat est, bien entendu, de voir la société civile et la rue interpréter son recul «tactique» comme un signe de faiblesse du système. Si cette hypothèse se vérifie, il est à parier que la rue, comme en Tunisie et en Egypte, continuera à gronder jusqu’à ce que tout le monde parte.

Quoi qu’il en soit, à l’heure actuelle, sur le fond, tout le monde admet que le chef de l’Etat n’a absolument rien cédé dans la mesure où il compte faire adopter une nouvelle loi pour encadrer la lutte antiterroriste à la place des textes juridiques régissant l’état d’urgence qu’il a promis de lever. Fondamentalement, rien ne dit aujourd’hui que celle-ci (cette nouvelle loi) ne sera pas aussi inquisitrice et aussi restrictive au plan des libertés que le sont «Patriot act 1» et «Patriot act 2», deux lois antiterroristes adoptées par l’Administration américaine au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 qui donnent pratiquement des pouvoirs presque illimités au FBI ainsi qu’aux autres agences américaines de renseignement.

Deux lois qui, pour un «oui» ou pour un «non», peuvent valoir à n’importe quel citoyen américain ou autre un séjour à Guantanamo, tous frais payés. Ce n’est pas tout. Abdelaziz Bouteflika a également fait le strict minimum en matière d’ouverture du champ médiatique. Si aujourd’hui, comme ce fut le cas de la fameuse caverne d’Ali Baba, les portes de la télévision et de la radio publiques s’ouvrent miraculeusement aux partis de l’opposition, personne ne peut cependant donner l’assurance que celles-ci (les portes) ne se fermeront pas demain et que l’on ne reviendra pas à la case départ. En refusant une énième fois d’ouvrir le secteur des médias audiovisuels aux investissements privés, le pouvoir ne fait en tout cas que confirmer les doutes émis par l’opposition concernant la bonne foi du chef de l’Etat d’aller vers une plus grande ouverture.

Extrait du communiqué du Conseil des ministres

«S’agissant de l’état d’urgence, celui-ci a été instauré pour les seuls besoins de la lutte antiterroriste, et c’est cette raison uniquement qui en a dicté le maintien sur une base légale. L’état d’urgence n’a, à aucun moment, entravé une activité politique pluraliste des plus riches, ni contrarié le déroulement de campagnes électorales intenses, de l’avis même des observateurs qui les ont suivies.» «Aussi, pour mettre un terme à toute polémique infondée sur cette question, je charge le gouvernement de s’atteler sans délais à l’élaboration de textes appropriés, qui permettront à l’Etat de poursuivre la lutte antiterroriste jusqu’à son aboutissement, avec la même efficacité et toujours dans le cadre de la loi. Cela conduira donc à la levée de l’état d’urgence dans un très proche avenir»,«S’agissant de l’organisation des marches, et hormis la wilaya d’Alger, rien ne l’entrave dans toutes les autres wilayas, pour autant que les demandes et les conditions exigées par la loi soient réunies. Certes la capitale fait exception dans ce domaine pour des raisons d’ordre public bien connues.
«S’agissant enfin de l’accès des partis politiques à la télévision et aux radios, aucune loi ou instruction ne l’ont jamais interdit à quelque formation ou association légale que ce soit. La télévision et la radio doivent donc assurer la couverture des activités de l’ensemble des partis et organisations nationales agréés, et leur ouvrir équitablement leurs canaux.»

Zine Cherfaoui