L’ultime bataille (perdue) de Zerhouni
Son appel sécuritaire n’a pas été entendu
L’ultime bataille (perdue) de Zerhouni
El Watan, 5 février 2011
Mercredi, il décrétait, presque sentencieux, dans les couloirs de l’APN, que cette exigence citoyenne n’était «pas à l’ordre du jour» et qu’il «n’était pas raisonnable de demander actuellement la levée de l’état d’urgence face à la menace terroriste».
Vingt-quatre heures après, le président Bouteflika annonce, en Conseil des ministres que la mesure «interviendra dans un très proche avenir». Une douche froide pour Zerhouni, jadis fidèle parmi les fidèles du chef de l’Etat.
A première vue, c’est un cinglant désaveu pour l’ex-premier flic du pays, alors qu’il ne s’est pas encore remis de sa mise à l’écart d’un ministère qu’il a confondu avec sa personne. Il serait pourtant naïf de croire que Zerhouni a parlé en l’air, mercredi dernier à l’APN. Pratiquement aphone depuis sa promotion au grade «inférieur» en tant que vice-Premier ministre, il a sans doute cherché à «peser» sur la décision de l’extérieur faute de pouvoir en être l’inspirateur.
Les voies du système sont impénétrables
Une sorte de coup de sommation qui signifierait sa désapprobation de lever l’état d’urgence par les décideurs dont il ne fait plus partie. Mais il n’est sans doute pas seul à le penser. Zerhouni pourrait avoir parlé au nom d’un clan, dur, du régime, qui verrait d’un mauvais œil la chute d’un mur, pas forcément pour des raisons sécuritaires.Il est admis, en effet, que l’état d’urgence, au-delà de son utilité – qui reste à démontrer – à lutter contre le terrorisme, a servi et sert encore à justifier toutes les décisions et mesures attentatoires aux libertés publiques et à rendre opaque tous les circuits de la corruption institutionnelle. Sous ce régime exceptionnel, tout passe dans la rubrique des pertes et profits et nul ne peut discuter les choix faits par les décideurs à quelque niveau que ce soit.
C’est sans doute au nom de ceux-là que Zerhouni a tenté de battre en retraite. Et si l’ex-ministre de l’Intérieur a choisi de dire tout haut ce qu’il pense, Ouyahia pourrait fort bien partager sa vision «sécuritaire» que pourrait expliquer son silence troublant. Impopulaire, Ahmed Ouyahia, qui est dans le «circuit» depuis plusieurs années, en a profité pour «enrichir» la législation nationale par des lois scélérates qu’il endosse sans état d’âme.Avec «Si Yazid», il partage parfaitement la gouvernance à la sauce sécuritaire qui autorise tous les excès avec, en prime, une sacrée dose d’arrogance. La mode semble donc avoir changé.
On pourrait penser qu’il y a basculement du rapport de force vers l’aile plus ouverte et moins dure du régime, chez qui la vision du tandem Ouyahia-Zerhouni ne fait plus recette. La levée de l’état d’urgence traduirait ainsi le souci de lâcher du lest à une société étranglée par une gestion policière et sevrée de liberté.
Ouyahia, Zerhouni, même combat ?
Il va de soi que la peur d’une contagion démocratique à la tunisienne n’est pas étrangère à cet «effort» monumental du régime à céder sur cette constante nationale qu’est l’état d’urgence depuis 19 ans. Et ce n’est pas de gaieté de cœur.
Le président Bouteflika, dont Zerhouni est un ami avant d’être son ministre, ne peut être soupçonné d’être un enfant de chœur pour avoir décidé – comme par enchantement – de lever l’état d’urgence. C’est sans doute forcé qu’il a donné son feu vert. Preuve en est que cette mesure de «détente» est assortie d’un véritable «Patriot act» à l’algérienne que le gouvernement va élaborer.
La loi sur la lutte contre le terrorisme annoncée pourrait en effet reprendre ce que la levée de l’état d’urgence va apporter.
C’est peut-être le gentleman agreement trouvé par les différents centres décisionnels gravitant autour du pouvoir, histoire de couper la poire en deux.
Pour Zerhouni, les voies du système semblent désormais impénétrables. L’Algérie post-état d’urgence se fera sans lui. Et sa voix ne porterait pas au-delà des travées de l’APN.
Hassan Moali