Le FFS, le régime et la déprime des révolutionnaires du clavier

Le FFS, le régime et la déprime des révolutionnaires du clavier

Khaled Ziri, La Nation, 15 Mai 2012

Les révolutionnaires du clavier qui se recrutent dans l’ensemble de l’éventail des « idées » des laïcs-éradicateurs aux islamistes-victimaires qui se refusent toujours à assumer leur part de responsabilité dans la régression nationale se sont réveillés déprimés. La forte abstention et les correctifs sophistiqués – et néanmoins frauduleux – introduits par la machinerie du régime ne débouchent pas sur le « grand soir » qu’ils imaginaient. Et encore moins sur une colère occidentale souhaitée par les néo-otanistes de toute obédience.

Avant le vote, leurs discours véhéments et d’un argumentaire plat présentait souvent le FFS était comme celui qui « sauve » le régime et entrave la révolution. Il aurait même conclu un arrangement. Après les élections, les contempteurs s’empressent de souligner la « modestie » du résultat du FFS pour mettre en évidence son « échec ». Les claviers ne savent, apparemment pas, sur quel pied danser. A-t-il conclut ce fameux « deal » qu’ils énoncent comme une vérité absolue – certains ont même vu Hocine Aït Ahmed à l’aéroport militaire de Boufarik, rien que ça ! – ou non ? Apparemment, la « modestie » du résultat électoral ne permet plus de chanter le refrain de l’accord, on met en évidence son « échec ». Certains esprits brillants dictent déjà sa conduite au FFS : il doit quitter l’APN sans attendre ! Le clavier révolutionnaire, une nébuleuse où des gens souvent incapables de discuter, même en langage vernaculaire avec les algériens, distribuent les bons points et les brevets en démocratie, en patriotisme ou en trahison, ne cessera pas de nous étonner. Les militants du FFS connaissent la fatigue post-électorale dans laquelle il ne manque pas un peu de déception, mais ils ne s’étaient pas fait d’illusion. Ils savaient dans quoi ils étaient engagés et pourquoi ils l’ont fait. La campagne électorale a été, pour eux, une opportunité de renouer des liens, de confirmer, qu’en dépit des triturations du régime et de sa politique de confinement en Kabylie, les idées du FFS sont bien présentes dans le pays. Et qu’il faut se retrousser les manches et se battre, sur le terrain, avec les algériens autour de leurs préoccupations. Les algériens abstentionnistes – ils sont largement majoritaires – ont exprimé un rejet de la perversion de la politique orchestrée par le régime depuis deux décennies. C’est une attitude politique respectable qu’il faut écouter, analyser pour essayer d’y répondre. Mais l’abstention entraine un surdimensionnement de la représentation des partis du régime.

Combat de clavier

Le FFS, le régime et la déprime des révolutionnaires du clavier
Avec une base loyaliste ou clientéliste qui représente au mieux 20% du corps électoral, les partis du pouvoir, FLN et RND, obtiennent une majorité absolue. C’est un fait. L’abstention, il aurait fallu être aveugle pour ne pas le constater, était une tendance forte avant le scrutin. Il était facile, si l’on a décidé de ne rien faire – ou bien dans le meilleur des cas si l’on décide de mener un combat de clavier à l’incidence marginale – d’aller dans le sens de cette tendance et d’appeler au boycott. A condition de ne pas plonger dans la déprime en constatant que 20% d’électeurs peuvent décider de la composition dominante de l’assemblée législative. Et le système électoral avec un seuil éliminatoire de 5% ne fait que l’amplifier. Appeler au boycott est, une fois de plus, un choix politique respectable, encore faut-il qu’il soit adossé à un autre objectif que celui de rester dans son coin et de pourfendre ceux qui, parce qu’ils ont une autre vision et une autre analyse de la situation, ont choisi d’aller au charbon. Ceux qui vivent en Algérie – c’est important de le souligner – peuvent effectivement constater un état de colère social couplé à de l’abattement voire du nihilisme, ils ne voient pas de luttes politiques significatives pour le transformer en révolution ou en pressions politiques. C’est le but raisonnable, affiché par le FFS, et la participation en fait partie sans être un but en soi. Redonner du sens à la politique, amener les algériens à s’y intéresser, ce n’est pas un objectif facile. Tous les combats ne sont pas couronnés d’un succès. Mais les combats qui ne sont pas menés sont nécessairement perdus.

Une évaluation juste….

On ne peut pas reprocher au FFS d’avoir fait une fausse évaluation de l’état d’esprit des algériens. Les militants de ce parti ne vivent pas en vase clos et ils savaient que l’abstentionnisme est le fruit d’un dégout profond de la politique réduite à du cabotinage par les laboratoires du régime. Ils savaient aussi que ce dégout, par défaut d’organisation, n’est pas traductible de manière positive par une stratégie de pure bouderie. Et ils n’ignoraient pas, non plus, contrairement aux désirs ouvertement exprimés par des néo-otanistes qui se recrutent aussi bien chez les islamistes que chez les « démocrates », que « l’ingérence extérieure » en Algérie ne prendrait pas une forme libyenne ou syrienne. Or, le clavier informel, avec ses barbus, ses imberbes et ses barbouzes, qui s’est autoproclamé « conscience de la nation », tablait, de manière naïve, sur des remontrances étrangères sur l’irrésistible tendance du régime à triturer les résultats électoraux. La trituration a bien eu lieu – avec une certaine sophistication et une préparation en amont – mais les capitales occidentales n’ont pas cillés. Elles ont applaudi et seuls ceux qui se bernaient d’illusions pouvaient s’attendre à ce qu’elles critiquent un régime qui, jusqu’à preuve du contraire, préserve au mieux leurs intérêts ; et surtout un régime à la légitimité faible et qui est par conséquent sous influence.

… et un enseignement immédiat

La situation d’instabilité créée dans la région par l’intrusion violente des occidentaux en Libye et dont les effets se font sentir de manière aggravée au Sahel a rendu ce régime encore plus nécessaire. Mais cette ingérence peut prendre d’autres formes, très dangereuse, pour le pays. Reprendre le chemin, laborieux, du combat politique, se conçoit comme une volonté de mobiliser les algériens contre ce type d’ingérence mais aussi contre la tendance du régime à des concessions graves pour se préserver. Que nul n’oublie que ce régime a osé aller vers un rétablissement du système des concessions dans le secteur des hydrocarbures et qu’il a trouvé un parlement croupion pour l’avaliser et qu’il a fallu des reproches externes d’Hugo Chavez et même, suprême honte, de l’Arabie Saoudite pour qu’il fasse machine arrière. Le combat politique sous régime autoritaire et corrupteur n’est pas un fleuve tranquille et encore moins une partie de plaisir dans la bulle de Facebook. Cela se passe sur le terrain, avec les algériens, c’est là où l’on peut être ou ne pas être. Le régime continue de fonctionner sur ses appareils policiers et sur le clientélisme. Il n’a pas de solution à la crise malgré la relative aisance financière du pays. La bataille pour l’alternative démocratique nécessite des mobilisations et des instruments. Rien de nouveau dans le constat. Et si le FFS ne s’attendait à aucun cadeau, ni du régime, ni de ses barbouzes, ni des présumés démocrates ou des islamistes – dont on attend toujours une ébauche de lecture politique de leur responsabilité de la régression politique générale -, il doit néanmoins tirer rapidement les conclusions de l’extrême adversité médiatique dans laquelle il mène son combat.