Résolution du Parlement européen sur l’incarcération de militants des droits de l’homme et des travailleurs en Algérie

Résolution du Parlement européen sur l’incarcération de militants des droits de l’homme et des travailleurs en Algérie (2015/2665(RSP))

Le Parlement européen, 30 avril 2015

– vu ses résolutions antérieures sur l’Algérie, et notamment celle du 9 juin 2005 sur la liberté de la presse en Algérie(1) et celle du 10 octobre 2002 sur la conclusion d’un accord d’association avec l’Algérie(2),

– vu sa résolution du 12 mars 2015 concernant le rapport annuel 2013 sur les droits de l’homme et la démocratie dans le monde et la politique de l’Union européenne en la matière(3) et sa résolution du 23 octobre 2013 sur la politique européenne de voisinage, vers un renforcement du partenariat: position du Parlement européen sur les rapports de suivi 2012(4),

– vu les conclusions du Conseil « Affaires étrangères » du 20 avril 2015 sur le réexamen de la politique européenne de voisinage,

– vu la déclaration de l’Union européenne du 13 mai 2014 à la suite du huitième Conseil d’association UE-Algérie,

– vu la communication conjointe du 15 mai 2012 de la Commission et de la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, intitulée « Tenir les engagements de la nouvelle politique européenne de voisinage » (JOIN(2012)0014),

– vu la note de politique européenne de voisinage de la Commission de mars 2014 sur l’Algérie,

– vu la déclaration du Conseil européen de juin 2011 sur le voisinage méridional,

– vu la déclaration de Navi Pillay, haut commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, lors de sa visite en Algérie en septembre 2012,

– vu l’accord d’association UE-Algérie, entré en vigueur le 1er septembre 2005,

– vu l’article 2 de cet accord d’association, qui stipule que le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’homme inspire les politiques internes et internationales des parties et constitue un élément essentiel de l’accord,

– vu la constitution algérienne, adoptée par référendum le 28 novembre 1996, et notamment ses articles 34, 35, 36, 39, 41 et 43,

– vu le rapport final de la mission d’observation électorale de l’Union européenne du 5 août 2012 sur les élections législatives en Algérie,

– vu les lignes directrices de l’Union européenne sur les défenseurs des droits de l’homme,

– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques et le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, auxquels l’Algérie est partie,

– vu la convention n° 87 de l’Organisation internationale du travail (OIT) de 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et la convention n° 98 de l’OIT de 1949 sur le droit d’organisation et de négociation collective,

– vu la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948,

– vu l’article 135, paragraphe 5, et l’article 123, paragraphe 4, de son règlement,

A. considérant que des manifestations contre le chômage ont eu lieu récemment en Algérie; que les autorités algériennes reconnaissent que les revendications des manifestants sont légitimes; que depuis quatre ans, néanmoins, et avec une intensité renouvelée depuis début 2015, les défenseurs des droits de l’homme, dont les militants des droits des travailleurs, notamment dans le sud de l’Algérie, ont été menacés et agressés verbalement et ont fait l’objet de mauvais traitements et de tracasseries judiciaires dans un contexte de manifestations à caractère économique, social et environnemental de plus en plus violentes;

B. considérant que Mohamed Rag, militant pour le droit au travail du Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) de la ville de Laghouat, a été arrêté le 22 janvier 2015 et condamné à 18 mois de prison et à une amende de 20 000 DZD pour avoir « assailli un agent des forces de sécurité dans l’exercice de ses fonctions », et que ce verdict a été confirmé en appel le 15 avril 2015;

C. considérant que le 28 janvier 2015, dans la ville de Laghouat, huit militants pour le droit au travail membres du CNDDC – Khencha Belkacem, Brahimi Belelmi, Mazouzi Benallal, Azzouzi Boubakeur, Korini Belkacem, Bekouider Faouzi, Bensarkha Tahar et Djaballah Abdelkader – ont été arrêtés alors qu’ils étaient rassemblés en face du tribunal de Laghouat pour exiger la libération de Mohamed Rag; que ces huit activistes ont ensuite été condamnés à une peine d’un an de prison, dont six mois avec sursis, et à une amende de 5 000 DZD chacun pour « rassemblement non autorisé/illégal » et « pressions exercées sur les décisions de magistrats »;

D. considérant que lors de l’audience de ces activistes du CNDDC à Laghouat le 11 mars 2015, un nombre anormalement élevé de policiers avaient été déployés, empêchant le public et les témoins de la défense d’entrer dans la salle d’audience, et qu’à l’extérieur du tribunal, la police a arrêté puis relâché près de 50 manifestants pacifiques qui exprimaient leur solidarité avec les neufs détenus;

E. considérant que si l’état d’urgence a été levé en février 2011 en réponse à la vague de manifestations massives en faveur de la démocratie, des restrictions de droit et de fait aux rassemblements pacifiques demeurent, notamment un décret du 18 juin 2001, en vertu duquel les manifestations publiques dans la ville d’Alger restent interdites, ou la loi 91-19 du 2 décembre 1991 sur les réunions publiques et les manifestations, qui soumet toute manifestation publique à une autorisation préalable; que le ministère de l’intérieur autorise rarement les réunions publiques;

F. considérant que toute personne qui participe à des manifestations non autorisées peut être poursuivie et risque une peine de prison de deux mois à cinq ans en vertu des articles 99 et 100 du code pénal algérien; qu’en janvier 2014 – date limite d’inscription des nouvelles associations –, toutes les associations qui n’avaient pas été acceptées (dont Amnesty International) ont été déclarées illégales; que des manifestations pacifiques ont lieu dans tout le pays même si elles sont parfois dispersées de force par la police, quelquefois avec violence, et que les manifestants pacifiques peuvent être arrêtés avant les manifestations afin que celles-ci n’aient pas lieu;

G. considérant qu’en 2014, le gouvernement algérien a procédé à des révisions de la constitution favorables à la démocratie et promis de nouvelles réformes pour protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales; que la mise en œuvre de ces réformes n’a pas donné satisfaction à ce jour;

H. considérant qu’en mars 2015, quatre autres militants pour le droit au travail – Rachid Aouine, Youssef Sultani, Abdelhamid Brahimi et Ferhat Missa –, membres du CNDDC de la ville d’El Oued, ont été arrêtés et accusés d’instiguer un rassemblement; que deux d’entre eux ont été acquittés, mais que Rachid Aouine a été condamné et que Youssef Sultani a été relâché dans l’attente d’un jugement;

I. considérant qu’en janvier 2012, une nouvelle loi sur les associations (12-06) est entrée en vigueur et qu’elle impose des restrictions aux organisations non gouvernementales et aux groupements de la société civile en matière de création, de fonctionnement, d’enregistrement et d’accès à des fonds étrangers; qu’elle pénalise également les membres d’associations non enregistrées, suspendues ou dissoutes, lesquels peuvent faire l’objet de six mois de prison et d’une lourde amende, ce qui empêche la liberté de réunion;

J. considérant que si la loi 90-14 du 2 juin 1990 sur les conditions d’exercice des droits syndicaux autorise les travailleurs à constituer des syndicats sans en demander l’autorisation pourvu qu’ils en informent les autorités par écrit, les autorités ont refusé à diverses reprises de délivrer un accusé de réception, sans lequel le syndicat ne peut pas légalement représenter les travailleurs;

K. considérant que l’Algérie, dont la demande d’adhésion à la convention n° 87 de l’OIT en juin 2014 est en cours d’examen, a été épinglée par des experts de l’OIT dans plusieurs de leurs rapports pour violation des droits des travailleurs à faire grève et à constituer les syndicats de leur choix;

L. considérant que les négociations du plan d’action entre l’Union européenne et l’Algérie dans le cadre de la politique européenne de voisinage ont débuté en 2012; que tout en reconnaissant l’intérêt des deux parties au renforcement du dialogue et de la coopération en matière de sécurité et de questions régionales, la Commission a néanmoins fait part, en mars 2014, de préoccupations face au manque d’indépendance de la justice et à la détérioration de la situation en ce qui concerne la liberté de réunion, d’association et d’expression en Algérie;

M. considérant que l’Algérie est membre du Conseil des droits de l’homme des Nations unies depuis janvier 2014;

1. condamne l’arrestation et la détention des militants pacifiques Rachid Aouine, Mohamed Rag, Khencha Belkacem, Brahimi Belelmi, Mazouzi Benallal, Azzouzi Boubakeur, Korini Belkacem, Bekouider Faouzi, Bensarkha Tahar, Djaballah Abdelkader, Youssef Sultani, Abdelhamid Brahimi et Ferhat Missa, détenus alors que leurs activités sont pleinement autorisées par le droit algérien et qu’elles sont conformes aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme que l’Algérie a ratifiés; demande leur libération ainsi que l’abandon de toutes les charges retenues contre eux;

2. rappelle que l’Algérie est liée par l’article 2 de l’accord d’association, qui stipule qu’un élément essentiel de l’accord est le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’homme, par le pacte international relatif aux droits civils et politiques, par le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi que par la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et que l’Algérie a donc l’obligation de respecter les droits de l’homme universels, dont la liberté de réunion et d’association;

3. prie instamment les autorités algériennes de mettre fin à toutes les formes de harcèlement et d’intimidation à l’encontre des militants pour le droit au travail et des défenseurs des droits de l’homme, y compris au niveau judiciaire, conformément aux dispositions de la déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme;

4. demande aux autorités algériennes de garantir le droit à un procès équitable et d’assurer au moins la garantie du droit à la défense de tous les détenus, dont les défenseurs des droits de l’homme et les militants pour le droit au travail, conformément à l’article 14, paragraphe 3, du pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par l’Algérie;

5. demande de même aux autorités algériennes de se conformer à leur obligation de protéger le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique et de prendre les mesures voulues pour assurer la sûreté et la sécurité des militants de la société civile et des défenseurs des droits de l’homme ainsi que leur liberté à poursuivre leurs activités pacifiques légitimes;

6. rappelle que le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a recommandé au gouvernement algérien de révoquer le décret du 18 juin 2001 interdisant les manifestations pacifiques et toute forme de manifestation publique à Alger et de mettre en place un simple système de notification en lieu et place d’une autorisation préalable pour les manifestations publiques;

7. demande aux autorités algériennes d’abroger la loi 12-06 sur les associations et d’engager un véritable dialogue avec les organisations de la société civile afin de définir une nouvelle loi conforme aux normes internationales relatives aux droits de l’homme et à la constitution algérienne;

8. salue le fait que, depuis 2012, douze organisations syndicales ont reçu leur agrément; rappelle que les formalités administratives ne doivent pas avoir pour but de refuser l’octroi du statut légal aux syndicats indépendants qui tentent de fonctionner en dehors des organisations syndicales existantes; demande aux autorités algériennes d’autoriser de nouveaux syndicats à s’enregistrer légalement et de respecter les conventions de l’OIT qui ont été ratifiées par l’Algérie, notamment la convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et la convention n° 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective;

9. salue le fait que l’Algérie ait ratifié la plupart des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme; encourage les autorités algériennes à s’engager davantage et à améliorer leur coopération avec les Nations unies, et notamment avec l’Organisation internationale du travail et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme; demande aux autorités algériennes de coopérer avec les Nations unies dans le cadre des procédures spéciales, notamment en invitant des rapporteurs spéciaux à visiter le pays, ainsi qu’à tenir compte des recommandations de ces derniers; demande également à l’Algérie de coopérer activement avec les mécanismes de l’Union africaine relatifs aux droits de l’homme, et notamment avec le rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’homme;

10. invite la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ainsi que les États membres de l’Union à s’assurer de l’existence d’une politique européenne claire à l’égard de l’Algérie, qui repose sur des principes et s’attaque aux violations graves des droits de l’homme observées actuellement, conformément au cadre stratégique de l’Union en matière de droits de l’homme et de démocratie; déplore l’absence de dialogue substantiel structuré sur les droits de l’homme entre l’Union européenne et l’Algérie; demande à la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ainsi qu’aux États membres de veiller à donner plus de substance au dialogue avec l’Algérie en matière de politique, de sécurité et de droits de l’homme et invite par conséquent le Service européen pour l’action extérieure à définir des critères et des indicateurs précis pour suivre les objectifs de l’Union et évaluer les progrès réalisés en Algérie dans le domaine des droits de l’homme, de l’impunité, de la liberté de réunion, d’association et d’expression, de l’état de droit et de la situation des défenseurs des droits de l’homme;

11. demande instamment aux autorités algériennes, à la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et au Service européen pour l’action extérieure d’inclure, dans le futur plan d’action UE-Algérie, un chapitre important sur les droits de l’homme qui exprime la volonté politique ferme d’encourager ensemble, de jure et de facto, la promotion et la protection des droits de l’homme conformément à la constitution algérienne et aux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ainsi qu’aux instruments régionaux africains relatifs aux droits de l’homme auxquels l’Algérie est partie; est d’avis que des objectifs spécifiques en matière de droits de l’homme devraient être adoptés dans le plan d’action UE-Algérie et qu’ils devraient s’accompagner d’un calendrier de réformes à entreprendre par l’Algérie, avec la participation essentielle de la société civile indépendante; demande la définition d’indicateurs permettant l’évaluation objective et régulière de la situation des droits de l’homme en Algérie;

12. demande au Service européen pour l’action extérieure et aux États membres de suivre de près l’ensemble des procès et procédures judiciaires à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme et des militants pour le droit au travail en assurant la présence de représentants de la délégation de l’Union européenne et des ambassades des États membres à Alger, ainsi que d’en informer le Parlement;

13. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au représentant spécial de l’Union européenne pour les droits de l’homme, aux gouvernements et aux parlements des États membres, à la délégation de l’Union européenne à Alger, au gouvernement algérien, au Secrétaire général des Nations unies et au Conseil des droits de l’homme des Nations unies.

(1) JO C 124 E du 25.5.2006, p. 567.
(2) JO C 279 E du 20.11.2003, p. 115.
(3) Textes adoptés de cette date, P8_TA(2015)0076.
(4) Textes adoptés de cette date, P7_TA(2013)0446.