L’économie algérienne trop vulnérable face à l’Europe
par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 1er mars 2016
L’Algérie découvre l’ampleur des dégâts causés par l’accord d’association avec l’Europe. Faut-il aujourd’hui renégocier ou réformer l’économie algérienne d’abord ?
Une note administrative mal rédigée, cela fait désordre.
La circulaire envoyée la semaine dernière par le patron de la douane à ses différents services pour expliquer l’application des nouvelles taxes concernant les produits soumis à des quotas a provoqué un véritable séisme. Dans la confusion qu’elle a provoquée, cette note a été interprétée comme une décision algérienne de suspendre l’accord d’association avec l’Union européenne, ou comme une opération destinée à sonder la réaction européenne au cas où l’Algérie, en pleine crise, se trouverait confrontée à une telle extrémité.
Cette interprétation semble exclue. Elle paraît très peu probable. Pas à cause des démentis, qui n’ont pas de signification particulière, mais parce qu’une telle décision, lourde de sens, ne peut pas être prise avec autant de légèreté. Ni le Premier ministre, ni celui des Affaires étrangères, ni le ministre des Finances ne peuvent s’aventurer dans cette sphère, qui relève d’abord du président Abdelaziz Bouteflika. Avec tous les efforts qu’il fait pour donner de la crédibilité à son pouvoir, celui-ci n’a aucun intérêt à prendre une décision qui pourrait relancer cette question récurrente de la vie politique algérienne : qui exerce le pouvoir dans le pays ? Qui partage quelle part de pouvoir avec le président Bouteflika ? Dans les premiers cercles de la périphérie du pouvoir, on connaît bien cette règle. Quiconque oserait la transgresser sait ce qui l’attend. Ce qui exclut la moindre initiative.
Les langues se délient
L’erreur du patron de la douane a toutefois permis de délier les langues et d’ouvrir un début de débat sur l’accord d’association avec l’Union européenne. Faut-il le maintenir ? Faut-il l’élargir ? Qu’a-t-il rapporté à l’Algérie? Et, surtout, combien a-t-il coûté au pays ? Sur le constat, l’unanimité est faite. Le gouvernement algérien lui-même a été obligé de reconnaître l’échec de l’accord d’association avec l’Union européenne. Celui-ci n’a pas eu les retombées attendues sur l’économie algérienne. Un euphémisme pour dire dégâts de cet accord sur l’économie algérienne en général, sur l’industrie et l’explosion des importations en particulier. Ce qui a d’ailleurs poussé le gouvernement à demander officiellement une révision des échéances pour le démantèlement tarifaire, une demande acceptée à contrecœur par la partie européenne, forcée toutefois de constater que les pays de l’UE ont pu déverser leurs produits en Algérie sans contrepartie réelle.
Une fois le constat d’échec établi, la donne ne change guère. Ou si peu. Car le problème est dûment établi : l’échec de l’accord d’association est le résultat de la faible performance de l’économie algérienne. Celle-ci n’a pas mené les réformes nécessaires. Renégocier les termes de l’accord, aujourd’hui, n’a pas de signification particulière si le pays n’engage pas de vraies réformes. Avec Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia aux commandes, chapeautés par Abdelaziz Bouteflika, le pays sait à quoi s’en tenir.
Inverser les priorités
L’équation doit donc être totalement inversée. Il ne s’agit pas de négocier un accord d’association, mais de savoir ce que doit être l’économie algérienne dans cinq ans, dans dix ans, pour que le pays se fasse une place raisonnable dans le concert des nations. Et d’entamer les changements structurels qui peuvent y mener. C’est la réforme de l’économie qui doit constituer un socle sur lequel viendrait se greffer l’accord d’association, non l’inverse. Une adhésion éventuelle à l’OMC et la renégociation de l’accord d’association avec l’UE peuvent, dans cette optique, servir de balises, de repères, pour définir la nature des réformes à engager, le timing à respecter, pour organiser les séquences et réfléchir aux mesures d’accompagnement qu’il faut envisager pour préserver autant que possible la paix sociale.
Réformer ou combler le déficit ?
Est-ce la démarche du gouvernement ? Rien ne montre que c’est le cas. A sa signature, l’accord d’association avait été vu comme un gage de l’Algérie, une sorte de dot pour être admise dans le nouveau monde, de la part d’un président soucieux d’abord d’asseoir son pouvoir. Ensuite, les gouvernements algériens successifs ont pleinement tiré profit de la baisse des prix induite par le démantèlement tarifaire pour acheter la paix sociale. Aujourd’hui, avec le retournement de la conjoncture, la renégociation-nécessaire-du calendrier pour le démantèlement tarifaire est d’abord vue, côté algérien, comme une aubaine en vue de pallier le déficit budgétaire. Il n’y a pas de mesure de fond envisagée pour accompagner le changement de cap. Il y a juste des velléités d’exploiter une opportunité pour limiter les dégâts causés dans les finances publiques par la chute du prix des hydrocarbures. Dans sa configuration actuelle, le gouvernement n’est pas en mesure de faire plus. Il agit dans un périmètre très étroit, qui exclut les grands projets de réforme. Ce qui met d’emblée l’accord d’association dans une impasse: les Européens continueront à tirer sur la corde tant que ce sera possible, mais la partie algérienne continuera à patauger et à gérer au jour le jour : l’accord d’association a révélé et amplifié la faiblesse de l’économie algérienne, il ne l’a pas inventée.