Téhéran sollicite Alger
Crise nucléaire et démantèlement du Hezbollah
Téhéran sollicite Alger
Karim Kebir, Liberté, 15 août 2006
Maintenant que le cessez-le-feu a été décrété entre le mouvement chiite et Israël, les yeux de la communauté internationale sont désormais tournés vers Téhéran, accusé, à tort ou à raison, de velléités d’enrichissement d’uranium à des fins militaires. Principal soutien du Hezbollah, considéré comme une menace permanente à la sécurité de l’État hébreu, l’Iran est sommé par le Conseil de sécurité, à la faveur d’une résolution adoptée le 31 juillet dernier, de suspendre son programme d’enrichissement d’uranium, sous peine de sanctions.
Un journaliste américain, Seymour Hersh, prix Pulitzer et célèbre pour avoir révélé le scandale de la prison irakienne d’Abou Ghraïb, a noté d’ailleurs, se basant sur des sources “solides”, dans le magazine The New Yorker que “l’administration Bush voyait également dans cette campagne (guerre d’Israël contre le Hezbollah, ndlr) un prélude à une possible attaque préventive américaine pour détruire les installations nucléaires iraniennes”. Avisé des intentions américaines, Téhéran, engagé dans un bras de fer avec les Occidentaux, a décidé de prendre les devants en sollicitant l’appui de nombreux pays dans l’espoir de désamorcer cette crise nucléaire. C’est dans ce contexte sans doute qu’il faudrait inscrire la visite du ministre des Affaires étrangères iranien, Manouchehr Mottaki, en Algérie. Reçu par le Chef du gouvernement Abdelaziz Belkhadem et par le ministre algérien de la Justice, en l’absence de Mohamed Bedjaoui, le diplomate iranien a indiqué à la presse qu’il était porteur d’un message au président Bouteflika et que sa visite sera l’occasion d’examiner “les moyens d’élargir la coopération bilatérale” et d’évoquer “la situation au Liban suite à l’agression de l’entité sioniste sur le Sud-Liban”. Il s’est dit, par ailleurs, convaincu que “l’examen et la concertation sur la crise libanaise” entre l’Algérie et l’Iran “permettront aux deux pays de prendre les mesures appropriées pour faire face à la situation au Liban”. Si, bien entendu, le démantèlement du Hezbollah dans lequel l’Iran est directement concerné devait justifier le déplacement, cette visite qui intervient, faut-il sans doute le préciser, après Le Caire, Sanaa au Yémen où le président Ali Abdellah Salah a indiqué que son pays est favorable au droit de l’Iran à l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, et Ankara, vise, selon toute vraisemblance à solliciter Alger pour plaider la cause de son pays auprès des institutions internationales. Hormis le froid, assimilé à un orage d’été, au cours des années 90 après le soutien franc et public apporté par Téhéran au parti dissous, les relations entre l’Algérie et l’Iran ont toujours été “bonnes”. Elles ont même repris du poil de la bête à la faveur de la visite du président Bouteflika en octobre 2003 à Téhéran, après celle de Chadli en 1982.
Et Téhéran autant que les Américains d’ailleurs ne sont pas près d’oublier de sitôt cette image d’otages américains embrassant le sol algérien après le dénouement de l’affaire dite des otages américains au début des années 80 grâce aux bons offices d’Alger. Quelques mois plus tard, l’Algérie perdra d’ailleurs l’un de ses plus brillants diplomates, en l’occurrence Mohamed Seddik Benyahia, engagé dans une tentative d’obtention d’un cessez-le-feu dans la guerre opposant alors l’Iran à l’Irak. Cette amitié qui lie les deux pays a été même rappelée récemment par le principal négociateur du dossier nucléaire iranien. En visite à Alger en juin dernier, Ali Laridjani avait affirmé que les relations algéro-iraniennes étaient “au beau fixe”, précisant que l’Iran a toujours bénéficié du soutien de l’Algérie du fait, selon lui, que les deux pays ont des “intérêts et des menaces communs”. Pour sa part, le patron de la diplomatie algérienne, Mohamed Bedjaoui, interpellé lors d’une conférence de presse en compagnie de son homologue français Douste-Blazy, lors de la visite de celui-ci à Alger, avait affirmé, en réponse à une question sur le nucléaire iranien, que “l’utilisation pacifique du nucléaire est un droit pour tout pays”. C’est dire donc que le soutien d’Alger, d’autant que les deux pays jouent un rôle prépondérant dans le cartel du pétrole, conjugué aux autres puissances “amies” de l’Iran, comme la Russie et la Chine, peut s’avérer précieux dans le dénouement du bras de fer engagé entre Téhéran et l’Occident, à quelques jours de l’expiration du délai accordé par le Conseil de sécurité. Hier encore, l’Iran, qui contrôle le détroit d’Ormuz par où transitent 20% de la consommation mondiale du brut, a réitéré qu’il ne va pas cesser son programme d’enrichissement d’uranium, selon Ali Laridjani. Une déclaration qui intervient au moment où la droite israélienne, par la voix de Netanyahu, présentait Mahmoud Ahmadinejad comme “un danger” et le plus grand “tyran depuis Hitler”. “Nous attendons des États-Unis qu’ils empêchent l’Iran de s’armer de la bombe atomique”, a dit Netanyahu. L’escalade a commencé…
KARIM KEBIR