Le sommet algéro-italien s’ouvre aujourd’hui en Sardaigne

Le sommet algéro-italien s’ouvre aujourd’hui en Sardaigne

Les ambitions d’une relation d’exception

El Watan, 14 novembre 2007

C’est dans la magnifique baie du golfe de Alghero, ville catalane de la Sardaigne, que le sommet bilatéral algéro-italien se tiendra aujourd’hui, sous des mesures de sécurité exceptionnelles, et aura pour principal objectif la signature de l’accord de réalisation du deuxième gazoduc Galsi qui devra relier l’Algérie à la Sardaigne. La lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine seront également traitées par les ministres compétents.

Alghero (Sardaigne). De notre envoyée spéciale

Les habitants de la ville balnéaire de Alghero, la localité sarde du littoral du nord-ouest la plus espagnole, ne cachent pas leur grande surprise face à l’imposant dispositif de sécurité déployé dans leur ville depuis hier. Même la salle de presse n’échappe pas au contrôle vigilant des agents des forces de l’ordre ; une patrouille de la police munie de chiens dressés au dépistage des substances explosives passe plusieurs fois par jour entre les tables de travail. Le féerique front de mer de Alghero a été fermé à la circulation routière et une grande partie du centre de la localité touristique également. L’aéroport militaire de Alghero a été entouré d’un impressionnant dispositif de sécurité en prévision de l’atterrissage et du décollage de l’avion du président Abdelaziz Bouteflika. Et pour réduire au minimum tout risque, les services de sécurité ont passé au peigne fin, durant les mois derniers, le parcours qui sera traversé par le cortège présidentiel de Bouteflika, allant jusqu’à s’informer sur les habitants des maisons situées en bord de route. Ce qui a fait dire à plusieurs vieux résidants de Alghero que leur ville n’avait pas connu un événement historique aussi prestigieux depuis l’époque de 1500, lorsque le roi Charles V s’y était réfugié, fuyant Alger avec toute sa flotte, pour s’abriter d’une terrible tempête qui avait surpris son expédition manquée contre le corsaire turc Kheireddine Barberousse. Car cette rencontre de haut niveau entre le président du Conseil italien, Romano Prodi, et le chef de l’Etat a mis en ébullition toute la côte nord-ouest de la Sardaigne. Le président de la région de la Sardaigne, Renato Soru, et le maire de Alghero, Marco Tedde, qui accueilleront aujourd’hui Bouteflika au Palazzo civico, considèrent cette visite officielle comme un événement significatif pour leur région, relativement enclavée. Et c’est pour sceller davantage le traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération entre l’Algérie et l’Italie signé lors de la visite d’Etat de l’ancien président de la République italienne, Carlo Azeglio Ciampi, à Alger en 2003, que cinq ministres feront le voyage avec Prodi de Rome à Alghero. Le ministre de la Défense, Arturo Parisi, le seul Sarde investit d’un poste ministériel, s’entretiendra avec Bouteflika, alors que son collègue chargé du développement économique, Pierluigi Bersani, rencontrera le ministre de l’Energie, Chakib Khelil, et le ministre chargé de l’industrie et de la promotion des investissements, Abdelhamid Temmar. Et c’est aux deux chefs de la diplomatie, Mourad Medelci et Massimo D’Alema, qu’incombera la mission de résumer la teneur du sommet Bouteflika-Prodi ainsi que le contenu des accords bilatéraux qui seront signés par les autres membres de la délégation. En accueillant Bouteflika avec faste, puisque Prodi sera à l’aéroport militaire de Alghero pour attendre son invité, c’est la sécurité énergétique de leur pays que les Italiens visent à asseoir. Le chef de l’Etat italien, Giorgioi, était lundi à Doha, où il a finalisé un important accord pour l’importation de gaz liquéfié du Qatar. « Ce pays du Golfe sera le troisième fournisseur en énergie gazière de l’Italie dès 2008 », s’est-il félicité devant la presse de son pays. Par ailleurs, le groupe pétrolier Eni s’est lancé dans plusieurs chantiers d’exploration et d’exploitation de pétrole au Kazakhstan. Espérant toutefois que ce sommet de Alghero mettra sur rails la locomotive des travaux de réalisation du gazoduc Galsi. Il en sera plus que temps, après les moult déboires du frère cadet de Enrico Mattei, le premier gazoduc reliant l’Algérie à l’Italie.

Nacéra Benali

 


Ugo Intini. Vice-ministre des Affaires étrangères italien

« Un partenariat spécial nous lie à l’Algérie »

Ugo Intini est l’un des spécialistes du monde arabe qui, en trois décennies de politique, a eu à affronter les grandes questions internationales, notamment celles qui concernent directement le monde arabe. Journaliste de formation, il a occupé la fonction stratégique de porte-parole de l’ancien chef du gouvernement, Bettino Craxi, sous le règne socialiste. Le vice-ministre Intini a été également l’un des leaders historiques du Parti socialiste italien et l’un des fondateurs du nouveau parti des socialistes italiens. A 66 ans, il est nommé bras droit du chef de la diplomatie Massimo D’Alema, avec qui il partage une vision ouverte sur le partenariat en Méditerranée, avec le souci permanent d’y impliquer davantage les pays arabes de la région.

– Qu’est-ce qui a motivé la décision de tenir un sommet bilatéral, suivant la pure tradition européenne, entre le président Abdelaziz Bouteflika et le président du Conseil italien, Romano Prodi ?
– Nous considérons la coopération entre l’Italie et l’Algérie un partenariat qui renforce nos deux pays. Notre vision des échanges entre les deux rives de la Méditerranée passe par ce genre de synergie bilatérale. A l’Algérie nous lient des facteurs historiques, et nous prévoyons un grand futur à notre coopération. Un partenariat spécial. Pas seulement dans le domaine très important, certes, de l’énergie, ressource que l’Italie ne possède pas, mais aussi dans celui de la petite et moyenne entreprises. Nos opérateurs économiques sont attelés à la réalisation de plusieurs projets économiques en Algérie pour tirer profit de la privatisation des PME. Nous sommes conscients que l’Algérie est un pays qui regorge de richesses matérielles mais surtout humaines. C’est une société jeune qui, grâce à la stabilité du pays et à la sécurité, peut drainer des flux d’investissements importants.

– Le choix de la Sardaigne, pour cette rencontre entre le chef de l’Etat et votre Premier ministre, est lié au projet de réalisation du deuxième gazoduc « Galsi » ?
– Le partenariat entre nos deux pays, je le répète, peut s’étendre sur de larges secteurs afin de développer de grandes capacités économiques, sous forme de joint-ventures et autre. Dans le domaine de l’énergie, ce projet est perçu par les Italiens comme un moyen de nous garantir plus de sécurité énergétique. En tant qu’Européens, on doit investir davantage pour concrétiser ce rêve. Les échanges gaziers représentent le futur de notre coopération, qui remonte à loin dans l’histoire. J’étais enfant, je m’en rappelle encore, quand j’ai découvert la guerre d’Algérie. Même la société ENI a joué un rôle de soutien à cette guerre de libération. Certains de ses responsables étaient des porteurs de valise, avec la bénédiction de leur patron Enrico Mattei. Nous voulons soutenir des initiatives qui renforcent aujourd’hui davantage cette amitié. Vous savez que la mairie de la ville de Gênes est très enthousiaste à l’idée de jumeler son port avec celui de la ville de Jijel.

– Que pensez-vous de l’idée lancée par le président français, Nicolas Sarkozy, de fonder « l’union de la Méditerranée » ?
– Notre stratégie de politique étrangère et notre vision d’un partenariat particulier en Méditerranée visent à instaurer une coopération très étroite avec la rive sud. Depuis le lancement du processus de Barcelone, qui connaît une crise, nous œuvrons à tracer des chemins alternatifs. On doit relancer ce partenariat, c’est indéniable. S’il le faut avec des institutions nouvelles, si on n’arrive pas à remettre en marche celles qui existent déjà. Si Sarkozy avance une proposition allant dans ce sens, il s’agit de propos sages. Pour le moment, il n’y a pas encore de plan précis avancé. On cherche à mieux le définir, en soulignant les priorités.

– Plusieurs gouvernements européens (français et espagnol) semblent amorcer un revirement dans leur position sur le conflit au Sahara occidental. Votre gouvernement maintiendra-t-il son soutien au Front Polisario ?
– Pour résoudre cette question, il faut investir dans les textes des résolutions de l’ONU. Le Front Polisario et le gouvernement marocain doivent se parler, prendre la peine de négocier. Il faut toutefois rester très prudent et ne pas entrer dans les aspects spécifiques d’un accord, tenter d’affronter le sujet avec une vision globale. Il faut dire que pendant que nous, l’Italie et la France, on parle d’un partenariat spécial avec l’autre rive de la Méditerranée, on ne peut ne pas penser au Maghreb. L’Algérie et le Maroc sont condamnés à mettre au point le même genre de développement. La lutte contre le terrorisme interne, par exemple, est une affaire commune. Le degré de prospectives de progrès en Europe et le partenariat spécial avec le Maghreb doivent trouver dans la rive sud une cohésion, comme celle qu’on a instaurée au sein de l’Union européenne. On a fait un parcours d’intégration régionale qui peut être suivi par les pays du Maghreb. Notre désir de pouvoir élargir nos échanges et faire parvenir nos exportations vers d’autres régions du monde repose sur cela. Dans ce contexte, le conflit au Sahara occidental est anachronique. Il s’agit d’une lutte qui a des conséquences néfastes qui bloquent le progrès au Maghreb. Il faut un effort de tous pour mettre un terme à cela. Maintenir cette crise, à l’aube du deuxième millénaire, est une réalité dépassée par le temps. Une solution doit être trouvée en multipliant les efforts dans ce but.

– Le gouvernement italien de gauche reste attaché à la création d’un Etat palestinien indépendant. Hier encore, on a assisté au déchirement entre Palestiniens…
– La politique suivie par l’Italie au Moyen-Orient se base sur deux principes : le premier consiste à garantir l’existence et la sécurité à Israël et le deuxième représente notre attachement à la position et aux raisons des pays arabes, et surtout aux droits des Palestiniens qui ont souffert énormément durant ces dernières années. Nous restons convaincus qu’il faut impliquer tous les Palestiniens dans les négociations pour la paix. La fracture entre le mouvement du Hamas et celui du Fatah nous a déçus, mais nous ne sommes pas résignés et nous n’épargnerons aucun effort pour éviter la guerre civile entre Palestiniens. Nous pensons que toutes les crises au Moyen-Orient sont liées entre elles. Le conflit israélo-palestinien, celui sur le Golan, ainsi que la situation en Irak, la question des Kurdes et le dossier nucléaire iranien.

Nacéra Benali