La diplomatie algérienne en panne d’idées
Monopole d’un chef de l’état inactif
La diplomatie algérienne en panne d’idées
El Watan, 10 novembre 2011
S’il y a un domaine en Algérie que nos responsables recommandent de ne pas critiquer si possible, ou à tout le moins de traiter avec délicatesse, c’est bien la politique étrangère.
C’est à peu près le seul secteur de la vie nationale où le peuple n’a pas voix au chapitre, comme s’il ne devait pas s’occuper des choses qui ne le concernent pas. Ce constat vaut aussi et surtout pour la presse. A la moindre remarque sur les ratés de la diplomatie algérienne, nos honorables responsables du département ripostent par des communiqués étrangement virulents, frisant parfois la bienséance. Pour avoir maintes fois publié des articles qui ne caressent pas dans le sens du poil, notamment sur la gestion algérienne du Printemps arabe, El Watan a eu à subir l’avalanche littéraire du département de Mourad Medelci. Des répliques sèches qui s’apparentent, par leur ton franchement paternaliste, à des tentatives de faire taire ceux qui chantent une musique diplomatique autre que celle dictée par son excellence et son chef d’orchestre, le ministre des Affaires étrangères. Vous pouvez écrire à l’envi que l’Algérie est un pays miné par la corruption, que l’informel est institutionnalisé, que les morts votent et même que la France officielle a complexé nos responsables sur le devoir de mémoire (les déclarations scandaleuses d’Alain Juppé à Oran), mais vous n’avez presque pas le droit de poser un regard critique sur la politique étrangère de l’Algérie et la façon dont elle est menée.
Logiciel diplomatique en panne…
Le fait est que cette question n’a jamais été soumise à débat, y compris au Parlement où la fameuse commission des affaires étrangères se fait entendre uniquement à travers ses missions à l’étranger. Le ministre des Affaires étrangères n’a jamais été interrogé sur la gestion de son secteur ni sur le traitement diplomatique d’une quelconque affaire. S’il est vrai que le Parlement est outrageusement dominé par les partis au pouvoir (FLN, RND, MSP) qui imposent un ton monocorde, il est tout aussi vrai que le Président et son staff ont fait de la politique étrangère du pays un jardin secret où il n’est pas bon de fourrer son nez. On comprend alors mieux ces réactions épidermiques contre certains journalistes qui osent briser ce mur du silence pour ouvrir le débat.
Carriérisme
L’Algérie est loin des pays où la politique étrangère fait l’objet d’une conférence annuelle des ambassadeurs, ouverte aux journalistes, durant laquelle les ordres de mission sont remis à la lumière des enjeux du moment. Elle est aussi loin des pays où un chef de la diplomatie, un ambassadeur ou un consul est viré à la moindre incartade ou simplement parce que son âge avancé ne lui permet plus de rester connecté aux changements du monde, alors que son disque dur est encore branché sur la guerre froide… Cela étant dit, la diplomatie en Algérie est, dans l’imaginaire collectif, un secteur où il fait bon vivre avec des allers-retours (parfois des allers simples) aux quatre coins de la planète avec ce prestige d’y emmener sa famille et de mettre ses enfants dans de grands établissements d’enseignement, loin de l’école de Benbouzid et l’université de Harraoubia.
Le mot d’ordre, dans ce monde étrange, est de savoir se taire pour vivre heureux et mener sa carrière au bout. Même avec ce sentiment du devoir inaccompli pour certains. «Vous savez, dès demain je peux me faire recevoir par le président de ce pays, mais que vais-je lui dire, alors que je n’ai rien reçu d’Alger ?»
Cette confidence d’un brillant ambassadeur algérien encore en poste traduit toute l’impuissance de nos diplomates, pourtant chevronnés à suivre une politique étrangère enracinée dans le passé et qui a bien du mal à actualiser son logiciel. Faut-il souligner, in fine, que l’invisibilité de l’Algérie dans le monde décline fidèlement la nature antidémocratique du pouvoir en place, si prompt à soutenir les dictateurs honnis par leurs peuples. Les Algériens, qui ont manifesté une sympathie non feinte à l’égard des révoltes populaires de leurs voisins tunisiens, libyens, égyptiens et même syriens, ont du mal à décrypter les positions officielles – quand il y en avait – de l’Etat qui furent des chefs-d’œuvre d’imprécision et de confusion. Vue de l’étranger, l’Algérie est un pays fermé, presque autant que la Corée du Nord. La confession du nouvel ambassadeur du Japon, qui a déclaré à El Watan n’avoir pas pu encore récupérer ses bagages à l’aéroport d’Alger à cause de la bureaucratie, devrait être méditée…
Hassan Moali
Place de l’Algérie sur la balance des relations internationales
La nostalgie d’une gloire perdue
El Watan, 10 novembre 2011
La fierté et l’orgueil d’une diplomatie algérienne présente et agissante ont définitivement marqué le pas depuis des années. La situation interne et les accélèrations de l’histoire ont eu raison d’une vision dynamique de notre politique étrangère.
Il y avait un jour une aiguille à repriser : elle se trouvait elle-même si fine qu’elle s’imaginait être une aiguille à coudre.» Avec son air fier, la diplomatie algérienne fait penser au conte de Grimm. Ayant l’orgueil d’une gloire passée, le département algérien des Affaires étrangères peine à s’imposer sur l’échiquier géopolitique.
A la radioscopie de la diplomatie algérienne apparaissent trois grandes fractures : un passéisme alourdissant, un manque de vision patent et un amateurisme affligeant. De la diplomatie algérienne, l’on aime se rappeler son engagement pour les causes des peuples colonisés, de ces temps où Alger jouait les intermédiaires dans la prise d’otages des ministres de l’OPEP par Carlos, quand elle œuvrait en coulisses pour la reconnaissance de l’ANC et de son leader, Nelson Mandela, ou lorsque elle accueillait sur son sol les Black Panthers.
De cela, les diplomates n’ont gardé que le discours qui sonne terriblement creux, car Alger ne joint plus l’acte à la parole. Nous sommes ainsi perçus, à en croire des personnes au fait du dossier, au mieux comme des «idéalistes», au pire comme des «dilettantes». L’Algérie ferait ainsi dans le «bidonnage», privilégiant la forme sur le fond, le clinquant sans l’éclat.
Elle donne surtout une image d’un pays rigide, encore coincé dans les années 1970. Pourtant, le pays compte des diplomates reconnus sur la scène internationale. Un potentiel qui n’est pas suffisamment exploité en raison du manque de vision de la politique extérieure. La voix de l’Algérie ne porte plus tant elle ne partage pas grand-chose avec les puissants du monde, excepté le partenariat en matière de lutte contre le terrorisme.
Alger prisonnière des années 1970
Le fait est que les accélérations de l’histoire ont eu raison du prestige de la diplomatie algérienne. Après la chute du Mur de Berlin qui a sonné le glas des idées anti-impérialistes, l’Algérie ne semble plus avoir de doctrine à défendre. «Les puissances occidentales les plus engagées dans la lutte contre les nouvelles menaces adoptent une attitude utilitariste vis-à-vis de l’Algérie : elle n’est pas classée comme victime du terrorisme – aucun chef d’Etat américain ne l’a déclaré à ce jour — mais constitue un allié dans la coopération dans la lutte contre le terrorisme. Une logique implacable qui ferait de l’Algérie, à court terme, le Pakistan de la région», a souligné l’ancien ministre Abdelaziz Rahabi dans une de ses interventions médiatiques. En dehors des questions sécuritaires et du développement de la branche maghrébine d’El Qaîda, Alger n’hésite pas à brandir le fameux silence officiel, souvent incompréhensible par les observateurs. L’une des tares de la diplomatie algérienne est sa sensibilité aux flatteries de l’Occident. La politique étrangère tente parfois d’accommoder tout le monde et personne à la fois. Souvent fâchée avec la France sans pour autant se montrer ferme, divergente avec les Etats-Unis notamment sur le dossier palestinien, pas tout à fait engagée avec la Russie, l’Algérie peine à s’imposer auprès des pays qui comptent sur la scène internationale.
Sensible aux flatteries
Alger a dû, à en croire Abdelaziz Rahabi, faire des concessions majeures aux USA et à la France en garantissant en partie leur sécurité d’approvisionnement énergétique, en soutenant inconditionnellement la lutte contre le terrorisme international et en modérant les positions de l’Algérie, notamment sur la Palestine et l’Irak. «Elle ne l’a pas fait en contrepartie d’un avantage stratégique pour le pays, ce qui n’est pas peu courant dans les relations internationales, mais pour acheter leur complaisance sur son agenda politique. C’est probablement rentable à court terme, pour Alger et pour eux, mais certainement préjudiciable à l’identité de notre diplomatie, à la doctrine nationale de la souveraineté et enfin à notre consensus national en matière de politique étrangère fragile par nature dans les États en formation comme l’Algérie», dit-il.
Le recul de l’Algérie sur la scène internationale a certainement un prix.
L’un des faits qui peuvent témoigner de la perte de vitesse de la diplomatie algérienne est sans doute le contrôle humiliant infligé au ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, à l’aéroport de Washington.
Amel Blidi
Ahmed Adimi. Professeur des sciences politiques
«L’Algérie a perdu son âme révolutionnaire et sa diplomatie a pris un coup de vieux»
– Quel regard portez-vous sur la politique étrangère algérienne ? Avons-nous une doctrine diplomatique avec ses déclinaisons arabe, africaine et internationale ?
A l’heure actuelle, parler de doctrine diplomatique serait trop dire pour l’Algérie. Je pense que rares sont les pays du Tiers Monde dont la diplomatie est basée sur une doctrine élaborée et clairement définie. Il faut d’ailleurs préciser qu’en Algérie, depuis 1988, le pays n’a eu aucune doctrine ni en matière de politique étrangère, ni en politique économique, ni dans d’autres domaines. Depuis cette date, les actions du pouvoir politique, avec tous les gouvernements qui se sont succédé, se sont limitées à la résolution de problèmes politiques, économiques ou sociaux au cas par cas, c’est-à-dire attendre l’arrivée des crises parfois même jusqu’à ce qu’elles s’aggravent pour ensuite essayer de leur trouver des solutions à la hâte et sous la pression. Le plus souvent de la rue…
Parler de doctrine comme fondement de toute politique, c’est parler d’un Etat moderne avec des institutions solides et une vision politique très claire, avec des objectifs précis. Malheureusement ce n’est pas le cas pour notre pays. Concernant la politique étrangère de l’Algérie, je remarque, avec beaucoup d’amertume, que mon pays a complètement perdu son dynamisme d’antan, son âme révolutionnaire et sa voix qui résonnait fortement aussi bien au niveau régional, arabe, africain qu’aux Nations unies. Notre diplomatie a pris un coup de vieux.
Elle agit maladroitement et avec beaucoup de retard. Elle est également sans perspective ni stratégie. Nos responsables n’arrivent pas à comprendre toutes les mutations opérées par les technologies de l’information et de la communication dans notre village planétaire. Pourtant, notre ministère des Affaires étrangères ne manque pas de cadres compétents. Ces derniers ont prouvé leur compétence durant la décennie du terrorisme, pendant laquelle l’Algérie était exposée à de réelles pressions et menaces d’interventions extérieures. En plus, c’était une période où les caisses de l’Etat étaient vides, mais grâce à sa diplomatie très active, notre pays a pu écarter le danger d’intervention. Où est passée cette cadence diplomatique ?
La diplomatie actuelle n’est plus à l’image de ce grand pays qui était jadis incontournable sur la scène politique, surtout arabe et africaine et au moment des grandes crises. Une diplomatie se contentant de gérer les affaires courantes n’est pas une diplomatie. Cette dernière est par essence dynamique, active, éveillée et parfois même agressive. Elle doit exercer toutes formes de pression et d’influence pour sauvegarder les intérêts du pays. Une véritable diplomatie sait agir pour s’assurer le maximum d’alliés afin de défendre ses positions.
– D’aucuns pensent que le principe de non-ingérence érigé en sacro-saint pilier de la diplomatie algérienne est dépassé par les enjeux géostratégiques dans notre région ? Pensez-vous que le gouvernement algérien adopte effectivement des positions anachroniques par rapport à ce qui devait être sa ligne de conduite ?
Ecoutez, le monde a beaucoup changé ces dernières années, les principes des années soixante et soixante-dix sont complètement dépassés. On est dans l’ère de la mondialisation. Celle-ci a ses principes, ses valeurs et ses méthodes. Ne pas s’ingérer dans les affaires des autres est un principe louable, à condition qu’il ne touche pas à la sécurité du pays et ne l’expose pas au danger.
Ce qui se passe actuellement dans notre région a des effets directs sur notre sécurité nationale. La Libye est un pays voisin avec lequel nous partageons des centaines de kilomètres de frontière. Et puis, comme vous le savez bien, en diplomatie comme en relations internationales, il n’y a pas de principes, il y a uniquement des intérêts à défendre.
– Permettez-moi de poser cette question : quel est le candidat à la présidentielle française que l’Algérie soutiendra ?
Parler dans ce cas d’ingérence serait témoigner d’une complète ignorance de la chose politique. Nous avons beaucoup d’intérêts à défendre en France, qui compte plus d’un million d’Algériens sur son sol. On doit donner des consignes de vote aux Algériens des deuxième et troisième générations.
Il faut avoir des cellules de veille au niveau de toutes nos représentations diplomatiques en France, qui doivent suivre de près ces élections pour miser sur le candidat qui arrange le mieux les intérêts de l’Algérie. C’est ainsi que ça se passe avec les pays dont la diplomatie repose sur une doctrine élaborée et bien définie. Regardez Israël par exemple, un pays minuscule, monté de toutes pièces, qui arrive à imposer ses choix sur les candidats français à travers ses 600 000 voix juives en France.
– Le Printemps arabe, notamment les révolutions tunisienne et libyenne, ont mis à mal la diplomatie algérienne, réduite à réagir par des démentis récurrents à une succession d’accusations. La «Mecque des révolutionnaires» est-elle devenue soudain la terre d’asile des contre-révolutionnaires ?
Il y a là un problème de syntaxe, moi je préfère le mot «soulèvement» ou «intifadha» pour désigner ce qui se passe actuellement dans certains pays arabes. Je ne pense pas qu’on puisse parler, au stade actuel, de révolution en évoquant l’exemple de la Tunisie ou celui de l’Egypte. Concernant la Libye, il est difficile de croire au sursaut révolutionnaire et démocratique soudain soutenu par l’Occident.
A savoir que ces mêmes forces occidentales ont toujours bloqué les mouvements de changement démocratiques dans le Monde arabe et musulman en apportant un soutien sans faille aux dictateurs qui le gouvernaient. Vous conviendrez avec moi qu’ils interviennent maintenant en faveur de ces soulèvements populaires dans le seul but de sauvegarder leurs intérêts économiques et non au nom d’un quelconque principe, aussi démocratique soit-il.
Concernant la position de l’Algérie, elle reste incompréhensible et injustifiée pour les Algériens ainsi que pour les opinions publiques arabes. Rappelez-vous le rôle joué par l’Algérie lors des deux guerres du Golfe. Durant la guerre irano-irakienne, notre pays a beaucoup fait pour mettre fin au conflit qui déchirait deux peuples frères. Il a payé un prix très lourd en la personne du meilleur ministre des Affaires étrangères que l’Algérie ait eu depuis son indépendance, feu Mohamed Seddik Benyahia.
Lors de la première guerre du Golfe, le président Chadli avait visité plusieurs pays arabes et s’était même préparé à aller aux Etats-Unis pour tenter de persuader les responsables américains des dangers de la guerre contre l’Irak.
Pour ce qui est de la Libye, franchement, personne ne comprend la position algérienne. L’Algérie aurait dû coordonner sa position avec les pays africains pour qu’El Gueddafi quitte le pouvoir sans l’intervention des Occidentaux. Elle avait les moyens et les compétences pour réussir une telle action diplomatique.
– Pensez-vous justement, à la lumière des débats ambiants en Algérie, que l’opinion publique algérienne soit en conformité avec la ligne de conduite de la politique étrangère suivie par le pouvoir ? Plus clairement, s’agit-il d’une diplomatie d’Etat ou d’une diplomatie de régime ?
C’est une diplomatie de régime, bien sûr. Nous avons l’impression que tout est fait uniquement pour défendre ou conserver le pouvoir. On ne sent plus la présence d’hommes qui défendent les intérêts de l’Algérie et de l’Algérie uniquement.
C’est le problème de tous les pouvoirs arabes. Il y a amalgame entre le pouvoir politique et l’Etat. Toute opposition politique contre le régime éponyme, dans les pays arabes, est vite considérée comme une rébellion contre l’Etat.
– Comment expliquer que de petits pays comme le Qatar et les émirats bousculent la hiérarchie mondiale des pays qui comptent, pendant que le rôle de l’Algérie, qui était le guide, s’efface de plus en plus ?
Je vous ai dis qu’avec la mondialisation, beaucoup de chose ont changé et d’autres vont l’être. Certains petits Etats ont compris les défis et les enjeux de cette ère nouvelle, d’autres plutôt grands n’ont pas encore compris que le train des changements ne les attendra pas. Le petit Etat de Qatar est dirigé par un émir qui a fait des études supérieures en Grande Bretagne.
Il est l’un des rares chefs d’état universitaires dans le monde arabe. Il fait appel à toutes les compétences du monde, dont des dizaines d’Algériens, pour développer son pays. Cet émir s’est doté de moyens lui permettant une présence et une influence dans tout le monde arabe. Dans un livre intitulé Le Choc de la communication globale. Pouvoirs et sociétés arabes face au défi, publié en France il y a 6 ans et que j’ai moi-même traduit en langue arabe, l’auteur, Fouad Ben Halla, disait que «depuis la fin du XVIIIe siècle, toute politique étrangère d’une nation a pour point d’appui trois piliers : le génie diplomatique, le poids économique et la puissance militaire. Ces trois dimensions restent valables, mais une quatrième s’est glissée progressivement dans la deuxième moitié du XXe siècle pour devenir l’axe indispensable à toute politique extérieure d’un pays. Il s’agit de la communication et de la présence culturelle». Vous remarquez ici que le Qatar, qui n’est pas une puissance militaire, a su marier son génie diplomatique et son poids économique avec la nouvelle donne qu’est la communication.
– Pourquoi l’Algérie a-t-elle réduit ses ambitions en rechignant à chaque fois à postuler à la direction des organisations internationales comme l’Union pour la Méditerranée, la Ligue arabe ou l’Unesco ? Est-ce une manœuvre tactique ou un simple manque d’ambition ?
C’est par manque d’ambition. L’essence de tout régime politique est de servir les intérêts suprêmes de son pays, directement ou indirectement. Etre présent à la tête des organisations régionales ou internationales permet de défendre l’image et les intérêts du pays, mais pas les intérêts individuels menant à défendre et conserver le pouvoir.
Cette absence est d’autant plus inacceptable que l’Algérie paye d’importantes cotisations à ces organisations sans en tirer aucun profit.
– Faut-il, à votre avis, revoir les fondamentaux de la politique étrangère algérienne à la lumière des nouveaux enjeux et de nouvelles menaces ?
Effectivement, il y a de nouveaux enjeux et de nouvelles menaces à prendre en considération. Il faut donc avoir une doctrine pour notre politique étrangère érigée par des spécialistes, surtout que notre pays dispose de beaucoup de compétences mal exploitées ou poussées à l’exil, malheureusement.
Hassan Moali
Mustapha Saïdj. Expert en relations internationales
«La diplomatie algérienne ne sait pas s’adapter aux changements»
– Il semble que l’Algérie a marqué un net recul en matière de diplomatie. Croyez-vous que son poids tend à se réduire sur la balance des relations internationales ?
Le poids d’un pays sur la balance internationale repose sur un certain nombre d’éléments de force (mais aussi de capacité) dont dispose l’Algérie. Le pays jouit d’une position géostratégique entre la mer Méditerranée au nord et la région du Sahel au sud qui en fait la porte de l’Afrique. Il dispose également de ressources énergétiques et de réserves de changes dont le montant est plus important que ceux des pays européens ou maghrébins environnants.
L’Algérie a aussi une force militaire et sécuritaire disciplinée, ayant acquis de l’expérience dans la lutte contre le terrorisme et qui cherche à construire un système de sécurité régional dans le Sahel. Mais tous ces éléments, qui font la force de l’Algérie, ont besoin d’être traduits dans un environnement géopolitique.
La diplomatie algérienne est confrontée à un groupe de projets internationaux et régionaux, à l’exemple de l’Union pour la Méditerranée ou la recherche d’une base militaire pour l’Africom. La problématique se pose comme suit : est-il possible de traduire les éléments de force afin d’influencer les projets internationaux ? Le fait est que l’Algérie ne dispose pas de cet élément fondamental qu’est l’art de la communication, à l’ère des chaînes satellitaires et de la génération facebook. Le statut de l’Algérie s’appuie ainsi sur des variables continues, mais le rythme du changement est extrêmement rapide. Le modèle du soulèvement en Tunisie et la coalition internationale et régionale contre le système d’El Gueddafi ont démontré que la diplomatie algérienne manque de vitesse d’adaptation dans un environnement où les intérêts priment et où la carte géopolitique se redessine selon la logique de l’accord Sykes-Picot.
– Dans un contexte géopolitique modifié par les révolutions arabes, l’Algérie continuera-t-elle à peser sur la scène internationale ?
Dans la mesure où la diplomatie est le reflet de la situation intérieure d’un pays, le plus grand défi, pour l’Algérie, est de savoir comment poursuivre les réformes en évitant l’effet de contagion et les soulèvements qui menacent la sécurité nationale. Il me semble que la voie des réformes entre en collision avec les élites traditionalistes algériennes qui ne veulent pas s’adapter aux changements rapides, violents et sanglants se déroulant dans sa région. Nous ne pouvons, de ce fait, offrir une image claire de l’Algérie à l’étranger, et ce, malgré notre expérience dans la transition démocratique, qui a connu des déconvenues. Dans ce cas, nous ne pouvons convaincre d’autres pays – Libye, Syrie et Yémen – de l’importance de tirer des leçons de l’expérience démocratique en Algérie, pour leur éviter des conflits sanglants sur l’identité (religion, langue, régionalisme) dont les indicateurs sont évidents en Tunisie, en Egypte et en Libye.
– Autrefois défenseur de toutes les causes de libération des peuples, l’Algérie a-t-elle aujourd’hui une doctrine dans sa politique internationale ?
L’Algérie est pleinement engagée dans la stratégie globale pour la lutte contre le terrorisme en raison de son expérience dans le domaine. Dans cette nouvelle doctrine apparue dans le monde occidental après le 11 septembre 2011, l’Algérie a été en mesure d’imposer sa vision, notamment dans son refus de paiement de rançon, liant le terrorisme à la criminalité organisée, ce qui a donné un nouvel élan à l’intégration et à la coopération avec Washington et Londres. L’Algérie est désormais considérée comme un partenaire actif et un médiateur entre les grandes puissances et les pays du Sahel. Le mystère reste néanmoins entier sur l’utilisation du terrorisme par certaines grandes puissances pour contrôler les ressources vitales de la mer Caspienne, du Golfe, d’Afrique du Nord et la côte africaine.
– Notre pays n’a-t-il pas marqué un recul, ces dernières années, sur la question palestinienne et sur le Sahara occidental ?
Le président Sadate avait peut-être raison de dire que la solution à la question palestinienne est à 99% entre les mains de Washington. La position diplomatique algérienne suit les plans de la Ligue arabe. L’Algérie a ainsi adopté l’initiative de Beyrouth, conduite par le roi Abdallah, qui appelle à une normalisation complète avec Israël dans le cas où il accepterait la restitution des terres. Mais il est important de signaler que l’Algérie a refusé toute forme de normalisation économique avec Israël dans le projet de l’Union pour la Méditerranée, pendant que l’Egypte, la Jordanie et le Maroc se sont empressés de gagner des intérêts. Le conflit interne palestinien et les luttes entre factions ont largement contribué à l’absence de développement d’attitude proactive envers la cause palestinienne.
Pour ce qui est du Sahara occidental, la position de l’Algérie est inchangée, sauf qu’elle subit l’alliance franco-marocaine ainsi que certains cercles sionistes activant à Washington dans le but de ralentir l’option de l’autodétermination du peuple sahraoui.
– Quel avenir pour la diplomatie algérienne ?
A l’ère de la mondialisation, il semble que les révolutions démocratiques occuperont le devant de la scène dans la décennie à venir. L’avenir de l’Algérie, sur le plan interne comme à l’extérieur, dépendra de sa capacité de consolider la démocratie à travers l’alternance au pouvoir, l’organisation d’élections transparentes et équitables, la liberté d’expression, le contrôle de l’autorité législative sur la branche exécutive. Si nous trébuchons encore, l’Algérie reculera davantage et perdra sa candidature en tant que force montante, aux côtés de l’Afrique du Sud, du continent noir.
Amel Blidi
L’Algérie n’a plus de «politique arabe»
L’Algérie est membre de la commission dégagée par la Ligue arabe pour tenter de régler la crise syrienne. Cette commission, qui offre une dernière chance au régime de Damas qui, désormais, a le sang du peuple syrien sur les mains, est animée par le Qatar.
Doha est, depuis plus de trois ans, la nouvelle capitale de la diplomatie arabe. Grâce à une politique extérieure active, audacieuse et sans complexe, le Qatar s’est imposé sur la scène arabe et même internationale. Que ce soit au Darfour soudanais, en Libye, au Yémen, dans les Territoires palestiniens ou en Syrie, Doha a pris les devants, sans perdre de temps, sans faire de calculs «intergalactiques».
Le Qatar, qui possède les troisième réserves gazières au monde et qui est devenu une puissance médiatique grâce au groupe Al Jazeera (le réseau a lancé dernièrement des chaînes en turc, en langues balkaniques et en haussa), oriente ses ressources vers l’élaboration d’une stratégie de déploiement à l’international.
Il ne s’agit plus de «subir» ce qui est décidé ailleurs, mais de s’engager, s’impliquer, se mêler au réseau complexe des relations entre les Etats qui comptent. La voix de l’Algérie sur le dossier syrien est toujours aussi éteinte qu’elle l’avait été par rapport à la crise libyenne. Au sein de la commission arabe, l’Algérie et le Soudan ont été choisis pour leurs «rapports» particuliers avec le régime de Bachar Al Assad. Au moment où l’armée syrienne, qui se comporte comme une armée coloniale, tirait déjà sur les civils (et elle tire toujours), Alger n’avait-il pas appelé au «dialogue» entre «les deux parties», mettant sur un pied d’égalité l’oppresseur et la victime ?
Le dialogue est, d’une manière évidente, refusé par le pouvoir tyrannique de Damas qui laisse les armes s’exprimer. Que fera Alger au cas où la Ligue arabe suspend la Syrie au sein de l’organisation panarabe et au cas où la situation échappe aux pays arabes ? Prendra-t-il la défense de Damas ? L’Algérie officielle n’a eu jusque-là aucun mot à l’égard du Conseil national syrien (CNS) qui représente l’opposition syrienne. Elle a eu la même attitude méfiante par rapport au Conseil national de transition (CNT) libyen jusqu’aux derniers jours du colonel El Gueddafi. Mourad Medelci, ministre des Affaires étrangères, a annoncé la visite à Alger de représentants du CNT, désormais seul représentant du peuple libyen. Cette visite n’a pas encore eu lieu.
La politique extérieure algérienne, qui est menée loin de tout débat national ouvert, semblait bien dépassée par l’accélération des événements dès le début de la révolte en Tunisie, puis en Egypte, en Libye, au Yémen, en Syrie…Après un lourd silence, Alger a commencé à exprimer des positions à peine audibles sur les changements politiques majeurs à ses frontières. Aucun soutien clair et franc au choix des peuples tunisien, libyen et égyptien de se débarrasser des dictatures. Des responsables algériens ont péniblement dit que l’Algérie appuie «le choix des peuples». Pas plus. Le processus électoral réussi en Tunisie a été suivi par une incroyable froideur à Alger. Cela est peut-être lié au fait que des Algériens libres appellent aussi à la création d’une Assemblée constituante pour régler la profonde crise politique de confiance dans le pays, presque cinquante ans après l’indépendance ?
Les Tunisiens auront une Assemblée constituante, construiront la IIe République et relanceront leur économie. Il n’y a, jusque-là, aucun indice qui prouve que l’Algérie aidera les Tunisiens à réussir ce processus difficile. Il en est de même pour la Libye et l’Egypte. Idem pour la Syrie et le Yémen demain. L’Autorité palestinienne a demandé l’adhésion de la Palestine à l’ONU. Et qu’ont dit les responsables algériens ? Rien ou presque. «Les ministres arabes des Affaires étrangères réaffirment à New York leur soutien à la reconnaissance d’un Etat palestinien à l’ONU», a déclaré Mourad Medelci fin septembre 2011. Autrement dit, l’Algérie préfère se cacher derrière «une diplomatie collective» au lieu d’avoir sa propre position sur une question aussi importante. Le débat actuel sur «la lutte contre le terrorisme et les crimes transfrontaliers» dans la zone Sahel a pour principal but de faire oublier que l’Algérie n’a plus de «politique arabe». Ou refuse d’en avoir une. La preuve ? L’Algérie veut combattre l’action subversive de ce qui est appelé Al Qaîda… sans l’appui de ses voisins maghrébins.
Fayçal Métaoui