Les « conseils » de l’ambassadeur du Royaume-Uni

Relations algéro-britanniques

Les « conseils » de l’ambassadeur du Royaume-Uni

El Watan, 9 février 2008

De graves propos ont été tenus à Londres, jeudi dernier, par l’ambassadeur du Royaume-Uni en Algérie, Andrew Anderson, à l’ouverture d’un colloque sous le thème : « L’Algérie d’aujourd’hui et de demain et relations algéro-britanniques ».

Repris par le journal londonien Al Qods Al Arabi, le diplomate s’est déclaré « étonné de l’absence de dialogue » entre les auteurs des opérations suicide et les autorités. Le diplomate a conseillé au régime algérien de ne compter que sur lui-même et pas sur les conseils des autres, surtout en matière de modèle de développement, en parlant de « conseils français ». « Il faut que les autorités algériennes n’écoutent pas les conseils de parties extérieures. Elles doivent régler les problèmes internes de leur pays en faisant confiance à leurs propres analyses et solutions, sinon ce sont des agendas de leurs adversaires et ennemis qui leur seront imposés. » Poursuivant son analyse, il a précisé que « le vrai problème du pouvoir en Algérie est avec lui-même et tout ce qui peut apparaître n’est pas la réalité, parce que celle-ci est dans les coulisses. Le président Bouteflika ne doit pas renforcer sa personne en tant que président, mais plutôt l’institution présidentielle pour qu’elle soit plus représentative du peuple algérien et non pas de sa personne… ». Pour sa part, le député du Parti des travailleurs, Gordon Mercedes, président de la commission parlementaire européenne, a indiqué lors de ce colloque financé par British Petrolium et la banque HSBC : « Les opérations kamikazes d’Alger ont un lien avec les autres attentats dans les pays du Maghreb et ailleurs et qu’elles doivent avoir une relation avec la politique d’Al Qaïda dans les pays du Maghreb en tant que région ». Le professeur Anderson, spécialiste de l’Afrique du Nord, a soutenu les propos de l’ambassadeur britannique en disant que « s’il y avait un dialogue avec les auteurs des attentats kamikazes, on négocierait avec ce qui reste des groupes islamiques armés ». Ce qui a fait réagir Lazhari Bouzid, sénateur du tiers présidentiel et président de la commission du projet de révision de la Constitution au sein du FLN. « Il ne peut y avoir de dialogue avec ceux qui commettent des attentats à l’explosif dans des lieux publics. Leur traitement ne peut être que militaire et sécuritaire. Ils se sont exclus du peuple algérien, et leur agenda n’est pas algérien. Néanmoins, le président Bouteflika a ouvert le dialogue avec eux à travers des textes qui encouragent cette méthode de traitement », a-t-il répondu. Se sentant quelque part gêné, le député Gordon Mercedes est revenu pour affirmer qu’il « n’était pas venu au colloque pour dire aux autorités algériennes ce qu’elles devaient faire ou ne pas faire ». Il a précisé, toutefois, qu’en Afghanistan, la solution est sur le point d’être trouvée, puisque la recherche parmi les talibans et les pachtounes, des groupes moins extrémistes, a permis l’ouverture du dialogue. « Peut-être que le gouvernement algérien doit rechercher des groupes qui sont prêts à abandonner la violence à travers une politique de pas à pas. » A propos de l’éventualité du décès de Bouteflika ou de sa destitution, le professeur Anderson a noté l’existence « au sein du régime algérien de puissants groupes de pression militaire qui détiennent le pouvoir et un Bouteflika incapable d’imposer l’institution présidentielle comme la principale force de pouvoir. Les généraux ont encore leur mot dans le pouvoir et certains d’entre eux n’ont même pas participé à la guerre de Libération et n’ont aucune crédibilité ou légitimité auprès du peuple algérien ». Le conférencier est allé jusqu’à demander à l’assistance de reconnaître que « jusqu’à maintenant aucune installation pétrolière n’a été touchée par les attentats, exception faite de l’attaque d’un bus transportant le personnel d’une de ces compagnies étrangères, mais cela ne peut être utilisé pour dire que la stratégie des groupes armés a changé depuis. Et si un attentat contre ces compagnies pétrolières ou leurs employés serait commis, cela m’étonnerait vraiment ». A signaler que l’ambassadeur d’Algérie en Grande-Bretagne, Mohamed Salah Dembri, invité à ce colloque, n’a pas assisté aux travaux. Il a délégué une de ses conseillères pour lire sa déclaration.

Salima Tlemçani


Conférence à Londres sur les relations algéro-britanniques

Le terrorisme, l’énergie et les investissements

Par :Samia Lokmane-Khelil, Liberté, 9 février 2008

Lady Olga Maitland, ancienne parlementaire conservatrice et responsable d’une association financière internationale, a étonné son entourage quand, en 2005, elle a décidé de se rendre en Algérie pour prendre part à une conférence algéro-britannique sur le commerce. “Pourquoi pas. L’Algérie a certes des problèmes, mais elle recèle d’énormes opportunités”, avait-elle répondu à ses proches inquiets.

La même année, elle a été élue présidente du Forum d’affaires algéro-britannique et s’efforce depuis à convaincre ses concitoyens à explorer le marché algérien. Une nouvelle occasion lui a été donnée, jeudi dernier, de faire un plaidoyer en faveur des investissements britanniques en Algérie. Le cadre était la conférence sur les relations entre notre pays et le Royaume-Uni, tenue par l’Association des études sur l’Algérie à l’Institut royal des études internationales, Chatham House à Londres. Lady Maitland est intervenue au cours de la seconde partie de la rencontre, consacrée aux questions économiques. En première partie des travaux, les intervenants ont longuement disserté sur la situation politique et sécuritaire en Algérie, très peu propice à l’engouement des opérateurs économiques étrangers. Sans laisser paraître son irritation, Lady Maitland a considéré qu’il est quelque peu discriminatoire de distinguer l’Algérie par des Travel warning très sévères alors que d’autres pays tout aussi affectés par le terrorisme ne sont pas portés sur liste rouge. “Pourquoi pas le Pakistan ? Vous êtes sans ignorer l’impact que ce genre d’avertissements peut avoir sur les investisseurs”, a-t-elle observé. L’ex-parlementaire a révélé qu’un forum d’affaires algéro-britannique devait se tenir les 30 et 31 janvier à Alger, mais il a été annulé suite à une instruction des autorités britanniques sur un risque d’attentats. Elle a confié la frustration dont le président Bouteflika lui a fait part, lors d’une entrevue, de constater que beaucoup de choses n’ont pas été réalisées. Pour Lady Maitland, les blocages sont surtout d’ordre bureaucratique. Elle trouve que l’économie algérienne n’est pas ouverte suffisamment, que le processus des privatisations est lent, surtout dans le secteur bancaire, que les réformes ne sont pas assez audacieuses… et que la non-maîtrise de l’anglais par les Algériens est un handicap sérieux. Intervenant tour à tour, Michael Hodges, responsable pour l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et le Sud asiatique de la Banque britannique HSBC et Trevor Witton, responsable de British Petrolum pour la même région (hormis l’Asie) ont également mis le doigt sur des obstacles qui ne sont pas nécessairement d’ordre sécuritaire. La confusion qui distingue le secteur des banques ainsi que la bureaucratie compliquent l’installation de la HSBC en Algérie. Néanmoins, cette institution financière (l’une des plus importantes dans le monde) entend bien aller à bout de ses projets. Elle s’est fixé un délai de trois ans pour ouvrir des agences à Oran, Hassi-Messaoud et Annaba. De son côté, BP poursuit son épopée dans le Sahara. Considérant que la situation sécuritaire est maîtrisée, M. Witton déplore, en revanche, un manque de compétences au niveau local. En sa qualité de président de la Chambre algérienne d’industrie et de commerce, Brahim Bendjaber, a répliqué en mettant en exergue les efforts investis dans la formation et l’enseignement. Par ailleurs, il a énuméré tous les progrès réalisés en matière législative, dont la mise en place d’avantages fiscaux, visant à susciter l’intérêt des hommes d’affaires d’Outre-manche. Le patron de la Calci a chiffré le montant des investissements étrangers à 15 millions de dollars en l’espace de 5 années. Selon lui, cette somme traduit un réel engouement, en dépit du terrorisme. “La sécurité n’est pas un problème. Le terrorisme ne concerne pas seulement l’Algérie, mais le monde entier”, a-t-il martelé. Plus tôt, au début de la conférence, Bouzidi Lazhari, sénateur et coprésident de l’Association d’amitié parlementaire algéro-britannique, avait indiqué que le rétablissement de la sécurité dans notre pays doit être une préoccupation de toute la région car le terrorisme est transnational. Les ambassadeurs d’Algérie et du Royaume-Uni devaient inaugurer la rencontre en prononçant des discours. Mais Andrew Henderson uniquement était présent, Mohamed Salah Dembri étant parti en Algérie précipitamment, une de ses collaboratrices a été chargée de lire sa communication. Un sentiment d’optimisme quant à l’avenir des relations algéro-britanniques a ponctué le discours de l’ambassadeur. “Le haut niveau des échanges”, “les liens d’amitié” et la sécularité des relations entre les deux pays y ont été mis en évidence. M. Dembri a rappelé la visite de M. Bouteflika à Londres en 2006, la première d’un chef d’État algérien depuis l’Indépendance. Ce séjour ayant été consacré par la signature de différentes conventions. Sur un autre registre, le diplomate a fait le bilan des politiques engagées par l’État algérien en vue de restaurer la sécurité, relancer l’économie et attirer les investissements. Son homologue pense aussi que l’Algérie a accompli des progrès. Il a évoqué notamment l’engagement de grands travaux de construction d’équipements et de logements, le remboursement de la dette et une bonne santé financière, conséquence de la flambée des prix des hydrocarbures. Mais sur un autre plan, M. Henderson a fait la narration d’une série de points noirs qui ont mis de l’ombre à son tableau. “Avant de prendre mes fonctions en Algérie l’été dernier, j’ai été briffé par le Foreign Office où on m’a dit que les deux choses qui préoccupent les Algériens sont la maladie de leur Président et l’insécurité. Mais sur place, je me suis rendu compte que les gens sont plutôt confrontés aux problèmes de santé, d’éducation, de chômage et des prix du lait et de la pomme de terre. Une bonne partie de la société a perdu espoir”, a épilogué le diplomate.
La preuve de ce désespoir, selon lui, est que 6 millions d’Algériens vivent hors de leur pays. Au niveau sécuritaire, il a affirmé que 2007 a été une très mauvaise année pour les Algériens avec de nombreux morts. “Les forces de sécurité ont obtenu quelques succès, mais les terroristes ont toujours la possibilité de nuire”, a noté l’ambassadeur. À ses yeux, l’insécurité a un impact négatif sur la capacité du gouvernement à attirer les investisseurs. Ayant été informé sur le scepticisme suscité par ses propos au sein de l’auditoire, M. Andersen est intervenu à nouveau à la fin de la conférence pour rectifier quelque peu le tir. “J’ai donné l’impression d’avoir été négatif. Mais je n’ai pas ressenti ça. Il y a des opportunités en Algérie. Mais, il ne faut pas ignorer qu’il y a aussi des problèmes”, a-t-il souligné. La recommandation exprimée par Gordon Marsden, membre des Commons et co-président de l’Association d’amitié algéro-britannique, sur la possibilité de dialoguer avec la plus modérés (soft) des éléments du GSPC également, n’est pas passée inaperçue. Elle a donné lieu à une réplique sèche du professeur Mohamed Meliani, de l’université d’Oran. “La violence est la violence. Elle n’est jamais soft”.
De son côte, le docteur Hugh Roberts, spécialiste de la politique nord-africaine, a fait remarquer que d’ordinaire les Algériens n’aiment pas les donneurs de leçons. Toutefois, il regrette que le problème de l’alternance ne soit pas encore réglé dans ce pays, donnant lieu à une crise sans fin.

S. L.-K.