Chavez : comment Alger a raté l’appel de Caracas

Chavez : comment Alger a raté l’appel de Caracas

El Watan, 8 mars 2013

Hugo Chavez s’est éteint mardi après une lutte à la fois discrète et médiatisée contre la maladie. Le Venezuela pleure celui qui a voulu tenir tête aux Occidentaux, aux Américains en particulier, et soutenir des chefs d’Etat qualifiés par ces derniers des «terroristes» ou d’«ennemis de la démocratie». Un homme controversé, mais qui a voulu tenter, durant ces années à la tête de ce pays pétrolier, de se rapprocher de l’Algérie.

Jamais depuis l’indépendance, un chef d’Etat vénézuelien n’a effectué autant de visites en Algérie. C’est à quatre reprises qu’Hugo Chavez a foulé le sol algérien en 2000, 2001, 2006 et 2007. Beaucoup ont pu croire à un axe Alger-Caracas, à un retour à une diplomatie perdue depuis la disparition de Boumediène. Pour Abdelaziz Rehabi, ancien ambassadeur au Mexique et connaisseur du monde latino-américain, Hugo Chavez «correspond au profil de l’Algérie des années 70-80». En tant que membre de l’OPEP, il pouvait même représenter un allié sûr.

«Au sein même de cette organisation, cependant, a poursuivi Abdelaziz Rehabi, il s’était même exprimé contre le projet de loi, très libéral de Chakib Khelil, alors ministre de l’Energie et des Mines. D’ailleurs, il avait réussi le pari de la nationalisation de la compagnie pétrolière vénézuelienne, pour en faire presque une jumelle de notre Sonatrach.» Sur le plan diplomatique, contrairement à l’Algérie, ou à d’autre pays de l’ex-Tiers-Monde, Hugo Chavez représentait l’image d’une «autonomie diplomatique», c’est-à-dire d’un pays inféodé à aucune puissance : «Sur ce plan-là, Hugo Chavez se serait très bien entendu avec Boumediène», précise Rehabi. Hugo Chavez était admiré par beaucoup d’Algériens pour son antiaméricanisme et en vertu d’une solidarité avec Cuba.

Identité

«Au Venezuela et partout ailleurs en Amérique latine, ce sentiment s’exprime non seulement à travers le peuple, selon Abdelaziz Rehabi, mais également chez les partis dits de gauche. On le voit bien, maintenant à travers les gouvernements de beaucoup de ces pays. Je regrette vivement que l’Algérie ne s’inspire pas ou plus des diplomaties latino-américaines. D’ailleurs, la diplomatie algérienne semble être victime d’une crise d’identité alors que la diplomatie vénézuelienne a une identité.» Autre élément qui pouvait lier fortement Chavez à l’Algérie : le soutien à la cause sahraouie et au Polisario.

A Caracas, la RASD dispose en effet d’une ambassade. Chavez, très actif sur ce plan-là, n’a pas chômé puisque même la Palestine jouit d’un même soutien. Là aussi, Abdelaziz Rehabi le constate : «Hugo Chavez était plus courageux que ne le sont les Algériens en matière de politique étrangère non alignée.» Que pensait réellement Chavez de l’Algérie ? «Il en avait une certaine idée, l’idée d’un pays stratégique avec lequel il souhaitait faire un axe Amérique latine-Afrique, reconnaît Abdelaziz Rehabi, mais, malheureusement, la relation entre nos deux pays est restée purement symbolique. Chavez avait pu mesurer le degré d’indépendance de sa politique étrangère en matière de politique énergétique, ce qui n’est plus tout à fait le cas chez nous, alors que nous avons la même structure économique qui est basée sur le pétrole. Il faut le reconnaître, Chavez était plus avancé que nous, plus courageux.»

Les faits le démontrent : la diplomatie algérienne piétine depuis les années 1990, même si une ouverture avait été entamée, se souvient Abdelaziz Rehabi, dans les années 1980 avec Chadli, puisque ce dernier avait effectué deux tournées en Amérique du Sud, ce qui n’avait jamais été fait depuis l’indépendance. Selon un citoyen rencontré, «Hugo Chavez voulait tendre les bras vers l’Algérie, qui lui répondait timidement», même si, officiellement, le deuil semble être partagé. La rue algérienne, elle, estime que le temps de l’anti-impérialisme est révolu en Algérie, ce qui a réellement marqué le décalage entre notre pays et le Venezuela. Par ailleurs, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a désigné Larbi Ould Khelifa, président de l’Assemblée populaire nationale (APN), pour le représenter aux obsèques de Hugo Chavez. Ultime geste de l’Algérie à l’égard d’ El Comandante.
Réaction : le PST salue l’homme du «renouveau de l’alternative socialiste et démocratique»

Le Parti socialiste des travailleurs s’est exprimé, hier, sur la disparition du président vénézuélien Hugo Chavez. Pour la formation d’extrême gauche, la mort du Comandante est une «triste nouvelle pour nous et pour tous les militants de la gauche socialiste, anti-libérale et anti-impérialiste». Selon le communiqué du PST, «Hugo Chavez incarnait, non seulement pour le peuple vénézuélien et d’Amérique latine, mais pour tous les travailleurs et les peuples du monde, la résistance et le combat contre l’arrogance du libéralisme et la domination des puissances impérialistes d’une part, et d’autre part, l’émergence d’un renouveau de l’alternative socialiste et démocratique post-soviétique».

Le parti de Mahmoud Rechidi a évoqué Hugo Chavez comme le «symbole de la lutte du peuple vénézuélien», qui «a démontré concrètement que la chute du mur de Berlin n’était ni le triomphe du capitalisme et de ses recettes néolibérales destructrices, ni la ‘‘fin de l’Histoire’’, de la lutte des classes pour l’émancipation de l’humanité et la construction du nouveau projet socialiste au XXIe siècle». Pour le PST, l’expérience de Chavez reste un exemple. «Les performances démocratiques, économiques, sociales et culturelles sont bien réelles au Vénézuela, après 15 années de chavisme», a-t-il conclu.

Noël Boussaha


Michel Mujica. Ambassadeur de la République bolivarienne du Venezuela à Alger

Bouteflika a dit à Chavez : «Hugo, tu es plus musulman que moi !»

-Hugo Chavez, El Comandante, comme il se faisait appeler affectueusement, vient de mourir. Le peuple vénézuelien est, en ce moment, en plein recueillement. Selon vous, est-ce seulement le Venezuela qui vient de perdre son Président ou bien l’Amérique latine, qui vient de perdre une personnalité, voire une icône ?

Pour répondre franchement, c’est surtout l’Amérique latine qui a perdu un grand dirigeant, qui a resserré les liens entre les nations sud-américaines, avec la création de l’Unosur, le renforcement du Mercosur, ou ce grand sommet des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, ce qui a pu constituer une alternative au système impérialiste de libre-échange nord-américain que les Etats-Unis tentent d’imposer. Pour le peuple vénézuélien, bien sûr, la disparition d’Hugo Chavez constitue une grande perte, puisque ce dernier a réussi à mener une politique d’amélioration radicale des conditions de vie. Résultat : la pauvreté a diminué. Je peux affirmer que le Venezuela est le pays le moins inégalitaire de la région. Aujourd’hui, le modèle vénézuélien initié par Chavez est un exemple pour les pays d’Amérique latine.

-Le Venezuela est, comme l’Algérie, membre de l’OPEP. Que pensait exactement Hugo Chavez de l’Algérie et de ses dirigeants ?

Je peux certifier que les relations entre le Venezuela et l’Algérie sont très solides et sans précédent. Différents contrats ont été signés entre nos deux sociétés nationales d’hydrocarbures. Sur le plan international, nous avons une collaboration plus étroite. Nous en espérons de même pour les relations culturelles. Pour ce qui est du président Bouteflika, Chavez lui vouait une grande estime. Je dirais même qu’ils étaient franchement amis. Je suis persuadé que Abdelaziz Bouteflika doit être très affecté par cette disparition. Je me souviens qu’un jour où il s’était déplacé au Venezuela, il avait vu un Chavez en forme qui défendait la cause des peuples opprimés et des peuples arabes, en particulier le peuple palestinien et le peuple sahraoui. Il lui a dit ceci : «Hugo, tu es plus musulman que moi !» Par ailleurs, l’Algérie ne peut pas être absente lors des obsèques nationales, puisque le président de l’APN s’est déplacé à Caracas.

-Ne peut-on pas dire justement que les relations entre les deux pays ont connu un nouveau départ depuis 1998 (élection d’Hugo Chavez) et 1999 (arrivée de Bouteflika au pouvoir) ?

Bien sûr que oui ! Certes, les relations diplomatiques entre nos deux pays ont été établies en 1971, surtout dans le cadre de l’OPEP. Mais depuis 1999, nous avons eu trois commissions mixtes, de nombreuses visites présidentielles dans les deux pays, des rencontres ministérielles… Nos deux pays se ressemblent beaucoup. En fin de compte, le Venezuela est pour le sous-continent ce que l’Algérie est pour l’Afrique du Nord. Jamais, un homme comme Chavez n’aurait pu ignorer un beau pays comme l’Algérie, avec un peuple chaleureux qui ressemble en de nombreux points au mien.

-Avec l’après-Chavez, comment peut-on envisager les relations entre l’Algérie et le Venezuela ?

J’espère de tout cœur, et je suis confiant, qu’elles continueront sur la même voie. Jamais nous n’oublierons le geste de solidarité du président Bouteflika à l’égard du Venezuela et de son peuple. Depuis que Chavez est arrivé, l’Algérie a toujours été présente. Je peux vous dire qu’aujourd’hui, malgré la douleur que je partage avec mes concitoyens, j’ai remarqué les marques de sympathie de simples citoyens algériens à mon égard, rien qu’en allant acheter mes journaux, par exemple, ou bien celles et ceux qui se sont présentés à l’ambassade. Je ne peux pas oublier cela. Le Venezuela ne peut pas l’oublier non plus et croyez-moi, c’est un motif de fierté pour les membres de la famille Chavez. Oui, les relations continueront sur la même lancée et ne pourront en être que renforcées.

-Malgré la douleur, que vous partagez certainement avec beaucoup de citoyens, si ce n’est l’ensemble du peuple vénézuélien, comment voyez-vous l’avenir de votre pays ?

La République bolivarienne du Venezuela a des institutions solides. D’ailleurs, juste au moment de son ultime départ pour Cuba, le président Chavez nous avait dit que s’il se passait quelque chose, celui qui assurerait sa succession serait Nicolas Maduro (actuel vice-président, ndlr), qui a toutes les compétences pour assumer la continuité de la Révolution bolivarienne. Je suis optimiste pour l’avenir. Je sais que toutes les formations politiques proches de Chavez vont soutenir la candidature à la magistrature suprême de Maduro. Je sais que le peuple vénézuélien va, lui aussi, soutenir le projet bolivarien. Il est d’ailleurs déjà en train de le montrer à travers le recueillement devant la dépouille du président Chavez. La Révolution bolivarienne n’est pas près de s’arrêter. Noël Boussaha
Noël Boussaha