L’ambassadeur du royaume-uni: “Il est tôt pour juger les gouvernements islamistes”

L’ambassadeur du royaume-uni à Alger, Martyn Keith Roper, à “Liberté”

“Il est tôt pour juger les gouvernements islamistes”

Par : Karim Kebir, Liberté, 22 décembre 2011

Dans cet entretien, l’ambassadeur britannique, dont le pays entretient une grande coopération sécuritaire avec l’Algérie, évoque la coopération économique avec l’Algérie, les réformes en cours et la poussée islamiste dans les pays arabes.

Liberté : Vous vous êtes rendu lundi à Tizi Ouzou, une ville que certains diplomates évitent pour des considérations sécuritaires. Peut-on avoir une idée sur l’objet de votre visite ?
S. E. Martyn Keith Roper : Je pense que c’est important pour les ambassadeurs de visiter toutes les villes d’Algérie pour comprendre le peuple et le pays. Ma visite à Tizi Ouzou était pour avoir une idée des domaines de coopération à l’avenir. J’ai eu une rencontre excellente avec le wali, j’ai vu aussi beaucoup de personnes à la Chambre de commerce. Nous avons discuté de la possibilité de la coopération à l’avenir. Donc la visite fait partie de mes sorties à l’intérieur du pays. C’est très proche d’Alger. Je pense que c’est à une heure et quart d’Alger, donc il n’y a pas de problème pour visiter Tizi Ouzou.

En évoquant justement la coopération, comment évaluez-vous la coopération économique algéro-britannique ?
Globalement, je pense que cette année a été très bonne. Le ministre des AE, M. William Hague, est venu à Alger en octobre, une première visite d’un ministre des AE depuis plusieurs années. C’est un signal fort du gouvernement britannique qui veut s’engager plus avec l’Algérie et nous comprenons que c’est aussi la position du gouvernement algérien. Dans le domaine commercial, nous avons fourni beaucoup d’efforts pendant cette année pour susciter l’intérêt des hommes d’affaires britanniques au marché algérien. Nous avons organisé sept missions économiques. Il y a eu également la visite de plusieurs entrepreneurs. Il y a deux groupes qui essayent de promouvoir les liens entre les hommes d’affaires britanniques et les hommes d’affaires algériens : le UK British Business Council et le UK Algeria Business Council. Des visites sont organisées parfois avec une ou deux entreprises, mais c’est important aussi. Je pense que le rôle de votre excellent ambassadeur à Londres, M. Abba, est très important aussi car il a fait un grand travail pour soutenir ces efforts et intensifier les relations commerciales et économiques entre les deux pays. Ce qui est important à souligner également c’est qu’en janvier, nous recevrons trois missions économiques : dans le secteur des énergies renouvelables, les hydrocarbures et l’éducation. Je suis content de noter, par ailleurs, que sur le plan politique, nous recevrons la visite d’une délégation parlementaire britannique au cours de la première moitié de janvier. C’est quelque chose de nouveau car cela fait longtemps qu’une délégation parlementaire britannique n’est pas venue. C’est un élément de l’engagement politique de William Hague. Cette visite se veut comme un geste concret d’une volonté du Royaume-Uni de s’engager plus en Algérie.

Vous avez laissé entendre à Tizi Ouzou que les investisseurs anglais ne sont pas “agressifs” sur le marché algérien, en ce sens que les investissements britanniques restent faibles. Est-ce qu’on peut dire que c’est en raison du climat des affaires ? Comment l’évaluez-vous ?
Ce que j’ai dit à Tizi Ouzou, c’est que, bien entendu, tous les hommes d’affaires de par le monde et tous les investisseurs recherchent un climat d’affaires le plus attractif. C’est normal, c’est le commerce. Ici en Algérie, je pense, il est vrai, que les hommes d’affaires britanniques doivent être plus agressifs ; ça c’est clair ; ils doivent s’adapter. Et beaucoup d’entreprises britanniques se sont adaptées au système algérien. Des investissements ont été engagés conformément à la loi 51/49…

…Justement, cette règle ne vous gêne-t-elle pas ?
L’Algérie a établi sa loi, c’est son droit souverain. Je pense qu’il y a beaucoup d’autres pays dans le monde qui ont une loi similaire. Donc, nous devrions nous adapter à ce système. Mais, d’autre part, bien entendu, plus le climat des affaires est positif pour les hommes d’affaires, mieux c’est. C’est tout à fait normal. Mais il ne nous appartient pas à nous, c’est au gouvernement algérien de définir son système, sa loi. Nous avons notre point de vue, on peut le passer en privé, mais ce que je voudrais souligner, c’est qu’il y a un intérêt accru des hommes d’affaires britanniques pour l’Algérie. Ça, c’est clair.

Ces dernières années, il existe une grande coopération sécuritaire entre l’Algérie et le Royaume-Uni. Récemment, le général-major Robin Searby (conseiller du Premier ministre britannique pour la lutte antiterroriste en Afrique du Nord et au Sahel) a affirmé que votre pays est disposé à fournir son expertise et les moyens pour renforcer la coopération régionale. Est-ce qu’on peut connaître la nature de cette assistance ?
Premièrement, je pense que le général Searby est un grand ami de l’Algérie. Il s’est rendu ici 4 fois (deux fois pour des conférences internationales et deux fois dans le cadre bilatéral). Nous avons une grande coopération avec l’Algérie dans le domaine sécuritaire parce que nous reconnaissons que l’Algérie a un rôle très important dans la région avec les pays du champ (Niger, Mali, Mauritanie). Clairement, l’Algérie est le pays le plus important car il a l’expérience et la capacité que les autres pays n’ont pas. Donc notre dialogue avec l’Algérie, c’est pour avoir une discussion sur l’analyse de la situation dans la région. Nous avons une coopération au niveau technique où il y a une demande, où nous pouvons travailler mutuellement pour la renforcer. Nous sommes ouverts à cela. Nous partageons les préoccupations des Algériens sur ce qui s’est passé en Libye et son impact sur le Sahel et sur l’Algérie. C’est la raison pour laquelle nous travaillons étroitement avec les autorités algériennes pour éviter un impact négatif ; c’est clair aussi que ce qu’on voit au Sahel est très préoccupant. On a vu en Irak, en Afghanistan, que lorsqu’un territoire n’est pas sous le contrôle de l’État et où les terroristes peuvent opérer, cela devient dangereux. Nous voudrions travailler ensemble pour empêcher une telle situation dans le Sahel, dans le Sud, raison, je le répète, pour laquelle nous attachons la plus haute importance au rôle de l’Algérie et à notre dialogue avec elle sur ces sujets.

Des informations récurrentes dans les médias évoquent une éventuelle vente d’armes à l’Algérie. Peut-on connaître la nature de ces armes ? Est-ce que vous avez reçu une demande de la part de l’Algérie dans ce sens et est-ce qu’il y a un accord en vue, dans ce cadre ?
Ce que je peux dire, c’est qu’il y a un risque que des armes et de l’argent de la Libye soient parvenus en Algérie, dans le sud du pays. Mais la raison pour laquelle nous avons ce dialogue, c’est de discuter de la possibilité de faire face à ce problème. Je pense que c’est tout ce que je peux ajouter à ce stade.

L’Algérie a entamé des réformes politiques qui ne semblent pas faire l’unanimité. Peut-on avoir votre avis sur ces réformes ?
Nous pensons que ces réformes sont très importantes. Mais ce n’est pas à moi, ambassadeur britannique à Alger, de faire des commentaires en détail sur ces réformes. C’est au gouvernement algérien, au peuple algérien de le faire. Mais ce que nous pouvons dire c’est que partout, dans le monde, pas uniquement dans le monde arabe, il y a une demande des peuples pour plus de dignité, plus de justice et plus de droit. Je pense que tous les gouvernements dans le monde sont en train de répondre à cette demande. Ici, en Algérie, nous avons vu un premier train de réformes et le Président a annoncé qu’il y aurait un changement constitutionnel, l’année prochaine. Nous allons suivre ces réformes avec intérêt, mais elles concernent les Algériens en premier.

Pour rester dans le cadre des réformes, le monde arabe a connu un “printemps” extraordinaire, historique. Comment appréciez-vous ces mouvements à travers le monde arabe ?
Je pense, comme vous dites, que ce que nous avons vu est historique. Mais je pense que ce n’est pas uniquement pour le monde arabe, je crois que c’est le cas pour plusieurs autres pays. Aujourd’hui, ce qui est clair, c’est que quelque chose a changé dans la manière dont les grands peuples veulent jouer leur rôle dans la société. Je pense que chaque pays est différent, chaque cas est différent et chaque pays doit répondre conformément à sa situation. C’est clair que le gouvernement algérien a répondu avec ces réformes politiques qui sont en marche.
Il y a une question en ce moment qui polarise le débat, même chez les Occidentaux : la poussée des islamistes à la faveur des “révolutions”. Comment voyez-vous cette émergence ? Les islamistes représentent-ils un danger pour la démocratie ?
ll Nous pensons que nous devrions juger ces nouveaux gouvernements sur leurs actes, leurs actions. Ils ont dit qu’ils allaient suivre un système démocratique, qu’ils allaient respecter les droits de l’Homme, y compris le rôle des femmes dans la société. Donc on doit juger ces gouvernements conformément à ces déclarations. Pour le Royaume-Uni, nous avons dit clairement que ces gouvernements étaient élus par leur peuple, on doit respecter cela. Mais nous avons nos valeurs, les valeurs des droits de l’Homme, le respect de la liberté d’expression, des femmes. On a le droit de faire des commentaires, qu’une fois qu’on voit quelque chose qui va à l’encontre de ces valeurs qui sont des valeurs universelles. Nous comprenons qu’il y ait beaucoup de préoccupations ici, en Algérie, sur l’arrivée de ces gouvernements islamistes “modérés”, mais nous pensons que c’est un peu tôt pour juger ces gouvernements. On doit attendre. On doit juger après les actions de ces gouvernements. C’est clair aussi que l’Algérie a des islamistes “modérés” dans le gouvernement, donc on peut dire que l’Algérie est en avance, à cet égard, sur les autres pays. Elle peut, peut-être, partager son expérience ; mais je pense que le point fondamental est que nous avons des valeurs universelles. Je pense que personne ne veut retourner à la situation d’avant le Printemps arabe. Personne ne veut le retour d’un Ben Ali, d’un Moubarak ou d’un Kadhafi. Le monde a changé, nous devons nous y adapter et ces gouvernements sont la réponse du peuple. On doit respecter cela, mais avec la qualification qu’on a les valeurs qu’on va soutenir.

Vous avez sans doute visité plusieurs villes. Quelle est celle qui vous a le plus charmé ?
C’est difficile à dire. Ce qui me frappe, c’est l’immensité du pays. La diversité est incroyable, toutes les villes sont assez différentes avec un charme spécifique. J’ai visité Constantine, Annaba, Oran, Ghardaïa, Tiaret, Sétif, Tizi Ouzou et bientôt Timimoun et d’autres villes. L’accueil est toujours chaleureux. Cela confirme l’impression que j’ai : il y a plus d’espace pour le Royaume-Uni en Algérie. Nous ne pouvons pas rivaliser à l’évidence avec les relations entre la France et l’Algérie pour des raisons d’histoire, de culture et de langue. Nonobstant, nous considérons qu’il y a beaucoup d’espace pour un pays comme le Royaume-Uni. C’est clair qu’à l’avenir, nous pourrons faire beaucoup de choses ensemble. J’ajoute que dans le domaine de l’éducation, à chaque visite dans une ville, les questions qui me sont posées tournent autour de la langue anglaise, l’université et les visas. La semaine prochaine, nous essayerons de fournir plus d’effort dans le domaine de l’éducation et de la langue anglaise. En mars, je compte organiser ici, à la résidence, une table ronde entre les universités algériennes et britanniques, dans l’optique d’un jumelage. J’espère que cela va renforcer les liens universitaires. Aussi, pour la langue anglaise en collaboration avec le conseil britannique, nous avons un programme pour fournir de l’aide aux Chambres de commerce qui veulent ouvrir des centres d’enseignement de l’anglais. C’est une demande très forte. Donc ce que je voudrais dire, c’est que l’année prochaine on va vraiment faire un effort pour faire plus à cet égard car c’est la demande numéro un des Algériens.
K. K.