De l’énergie pour réchauffer les relations algéro-allemandes

La Chancelière allemande aujourd’hui à Alger

De l’énergie pour réchauffer les relations algéro-allemandes

El Watan, 16 juillet 2008

La chancelière allemande Angela Merkel est aujourd’hui à Alger pour une visite de deux jours. Cette escale est particulièrement destinée à négocier le dossier énergie, compte tenu de la dépendance assez prononcée dont souffre l’Allemagne en matière de gaz.

Les pics des cours de l’or noir sur les marchés internationaux viennent bousculer les donnes d’Angela Merkel, soucieuse de la sécurité énergétique de son pays. L’Allemagne s’approvisionne en gaz à hauteur de 40% auprès de la Russie, mais aussi auprès de la Norvège.

Le patron du géant allemand de l’énergie, EON, Wulf Bernotat, a affirmé lundi dernier : « Nous voulons diversifier nos ressources en gaz. S’il est possible que nos projets soient un peu soutenus par Mme Merkeln nous serions ravis. » Et d’ajouter : « L’Algérie serait un marché intéressant, d’autant plus que nous venons de nous implanter dans des pays proches : l’Italie et l’Espagne. »

Le 3 juin dernier, rappelons-le, EON Ruhrgaz a ouvert un bureau en Algérie, dont le représentant accompagnera Angela Merkel durant sa visite. Il est donc plus clair que jamais que le gaz naturel liquéfié (GNL) constituera le point nodal des discussions entre les partenaires allemands et algériens. Est-ce donc la fin du différend historique entre les deux pays sur le gaz naturel ? Au début des années 1980, en effet, plusieurs contrats d’exportation de GNL conclus entre Sonatrach et des sociétés allemandes ont été unilatéralement annulés par l’Algérie.

Cette annulation semblait susciter une sérieuse crispation dans les relations entre les deux pays. Nordine Aït Laoussine, ancien ministre de l’Energie et ex-responsable de Sonatrach, est allé jusqu’à dire que « l’abandon unilatéral de ces contrats fermes avait porté, à l’époque, un coup sérieux à la crédibilité de Sonatrach auprès de ses partenaires étrangers ».

Par Ali Titouche

Berlin entend donner un contenu concret à sa coopération avec Alger

La venue de Mme Merkel réussira-t-elle à neutraliser certaines embûches et à mettre les opportunités de coopération dans les bonnes cases ? Il est attendu de cette visite qu’au moins un accord soit conclu : le projet de la Grande mosquée d’Alger, cher au président Bouteflika.

Angela Merkel sera aujourd’hui à Alger pour redonner un nouveau souffle à la coopération algéro-allemande. S’ils sont liés par des dizaines d’accords, les deux pays n’arrivent parfois pas à parler le même langage sur la manière de rendre plus forte et visible cette coopération. Preuve en est : la chancelière allemande a insisté à venir en Algérie après le sommet fondateur de l’Union pour la Méditerranée (UPM) de Paris sans qu’à Alger en donne l’impression de vouloir mettre du contenu à cette visite, la deuxième que fait Angela Merkel dans un pays arabe, après l’Egypte. Cette indolence est-elle née de la moiteur de l’été ? Est-elle liée à l’agenda chargé du président de la République ou plutôt à des considérations plus profondes qui sont à mettre sur le compte de lobbies hostiles au grand intérêt de l’Allemagne porté à l’Algérie ces dernières années ? Jusqu’à hier soir, la visite d’Angela Merkel en Algérie n’a pas été annoncée officiellement par Alger. A Berlin, on est conscient de cette situation qui ressemble à du blocage, mais qui ne l’est pas. Et on espère que la venue d’Angela Merkel va neutraliser certaines embûches et mettre les opportunités de coopération dans les bonnes cases. Au-delà des « entretiens politiques » qu’aura la chancelière allemande avec le président Abdelaziz Bouteflika et des discussions prévues avec des représentants de la société civile, il est attendu que cette visite soit au moins conclue avec un accord, celui relatif à la construction de la grande mosquée d’Alger.

Deux cabinets d’architecture allemands ont remporté le concours de cet immense projet : Krebs und Kiefer et KSP-Engel und Zimmermann. Pour un temps, ce projet paraissait gelé, voire oublié. Mais les engagements pris par Bouteflika devraient être mis à exécution après la visite de Mme Merkel. Autre domaine de coopération en phase d’exploration : la vente d’équipements militaires à l’Algérie. Alger, nous a-t-on confirmé hier, a exprimé une demande d’achat de matériel de guerre allemand. Pour faire mieux, au moins par rapport aux Russes, principaux fournisseurs de l’armée algérienne en armement, les Allemands veulent offrir de la formation aux militaires algériens devant utiliser le matériel à acheter à des niveaux différents. L’accord, qui est en discussion, devrait – si les choses avancent correctement – figurer à l’ordre du jour de la réunion de la commission mixte algéro-allemande, prévue en octobre prochain. La volonté de l’armée algérienne d’acheter de l’armement a mis en concurrence plusieurs pays. Après l’annonce de la signature d’un gros contrat (plus de 7 milliards de dollars) avec la Russie pour l’achat de chasseurs-bombardiers Sukhoï et Mig, l’Afrique du Sud et le Brésil ont exprimé leur intérêt pour les besoins algériens en la matière. A la mi-juin 2008, François Fillon, Premier ministre français, a confirmé la disposition de son pays de vendre des armes à l’Algérie. Chose qui était presque impensable il y a quelques années.

Les Etats-Unis, et à plusieurs reprises, ont exprimé la possibilité d’étudier les requêtes algériennes d’achat d’armes létales. Mais l’Algérie n’a, pour l’instant, fait aucune demande ni pour les Etats-Unis ni pour la France. Les forces navales algériennes et allemandes travaillent déjà sur des programmes communs de formation. Depuis 2003, plusieurs navires et frégates ont fait escale en Algérie, la dernière en date, la frégate Augsburg F 213 qui a accosté à Alger en février dernier, dont l’équipage a animé des conférences avec des officiers algériens. Sur le plan économique, les Allemands veulent augmenter le volume d’investissements en Algérie. Déjà 160 entreprises allemandes activent dans le pays. Ce n’est pas par hasard que la Deutsche Bank, première banque d’Allemagne, s’est installée à Alger avec la perspective d’ouvrir une filiale, Deutsche Securities Algeria, une banque d’affaires orientée avec les entreprises, dotée d’un capital de 500 millions de dinars. Récemment, Andreas Hergenröther, premier responsable de la Chambre algéro-allemande de commerce et d’industrie (AHK Algérie), a déclaré qu’il y a une volonté réelle d’appuyer les entreprises algériennes dans les opérations d’exportation. Avec 900 milliards de dollars par an, l’Allemagne est l’un des plus grands pays exportateurs au monde. En plus de l’énergie (solaire et gaz), les transports, le bâtiment et le tourisme figurent parmi les secteurs prioritaires qui intéressent les Allemands. Sur un autre chapitre, Angela Merkel devra poser avec les autorités algériennes le problème des fondations allemandes, Friedrich Ebert et Konrad Adenauer, qui sont présentes en Algérie sans avoir d’agréments.

Elles sont dans la situation « du toléré non autorisé ». La loi sur les associations de 1990, qui n’a pas encore été amendée, n’a rien prévu pour les fondations algériennes ou étrangères. Il en est de même pour l’institut culturel Goethe dont la situation juridique n’est pas claire. A Alger, Angela Merkel, qui a refusé les demandes d’interviews faites par la presse algérienne, évitera de faire de grandes déclarations. Aucune rencontre publique avec les journalistes n’est prévue. La chancelière dira quelques mots au salon d’honneur de l’aéroport et après l’audience du chef de l’Etat. Il n’y a aucune explication à donner à ce manque de transparence de la part d’un leader d’un grand pays démocratique.

Par Faycal Metaoui

Noredine Aït Laoussine. Ancien ministre de l’Energie et membre fondateur de Sonatrach à propos des contrats de gaz annulés « Un coup sérieux à la crédibilité de Sonatrach »

– Dans les années 1980, l’Algérie a annulé un gros contrat sur le gaz avec l’Allemagne. Il en a résulté, dit-on, une sérieuse crispation dans les relations entre les deux pays. Quelles ont été la genèse et l’évolution de ce problème ? Et puis quelles ont été les conséquences sur les relations entre les deux pays ? – L’Algérie a, en effet, annulé, au début des années 1980, plusieurs contrats d’exportation de GNL conclus avec des sociétés allemandes. Il s’agissait de deux contrats fermes, définitivement approuvés par l’entreprise Sonatrach et ses clients allemands, et d’un troisième contrat en instance d’approbation. Les deux contrats fermes concernaient le groupe Ruhrgas-Salzgitter-Gasunie, pour un volume de 11,2 milliards m3/an, et le groupe Brigitta-Thyssengas, pour un volume 4 milliards m3/an. Le troisième contrat qui était en instance d’approbation concernait le groupe Deutsche BP, pour 4,5 milliards m3/an. Ces contrats devaient permettre à l’entreprise Sonatrach de pénétrer le plus grand marché européen de gaz naturel dans le cadre de sa politique de diversification. Les livraisons en question devaient avoir lieu dès 1984, pour une durée de vingt ans, à partir de l’usine de liquéfaction GNL III prévue à Arzew dont la réalisation a été abandonnée dans le cadre de la prétendue « bataille du gaz » engagée au lendemain de la disparition du président Boumediène. Il est clair que l’abandon unilatéral de ces contrats fermes a porté à l’époque un coup sérieux à la crédibilité de Sonatrach auprès de ses partenaires étrangers. Sonatrach n’a d’ailleurs jamais réussi depuis à conclure un contrat de vente de gaz à long terme avec des acheteurs allemands.

Par Ali Titouche