La sécurité des Genevois sacrifiée à la diplomatie?

La sécurité des Genevois sacrifiée à la diplomatie?

Suisse-Algérie | Les Affaires étrangères ont validé la vente controversée d’un château de Chambésy à l’Algérie. Le Département de justice et police aurait voulu négocier avec un accord de rapatriement à la clef.

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© Pascal Frautschi | Château à Pregny-Chambésy. L’Algérie a acquis la propriété pour sa mission auprès de l’ONU. La transaction aurait pu servir à résoudre les problèmes de refoulement liés à l’accord de réadmission de 2006. Mais la vente a été validée sans condition.

MARC GUÉNIAT avec ROMAIN CLIVAZ, Tribune de Genève, 22 décembre 2008

Ce ne sont que quelques lignes dans la Feuille d’Avis Officielle du 4 novembre. La République algérienne démocratique et populaire acquiert, pour 30 millions de francs, une propriété à Pregny-Chambésy. Cela afin d’établir le nouveau quartier général de sa mission permanente auprès de l’ONU.

Derrière ces quelques lignes, il y a bien plus. A vrai dire, tout un ballet diplomatique s’y dissimule. Une source policière, étayée par un haut fonctionnaire du Département fédéral de justice et police (DFJP), en tire une équation: «On a troqué la sécurité des Genevois contre des intérêts économiques.»

Les jours-amende encore

Alors, comment et pourquoi cette simple vente est-elle liée au quotidien des Genevois? Ces derniers mois, la Tribune s’est largement fait l’écho des problèmes causés par des délinquants multirécidivistes algériens. Elle révèle aujourd’hui que 109 d’entre eux sont légalement expulsables et que 300 autres, identifiés, pourraient l’être. Trente cas sont jugés particulièrement graves (meurtres ou viols).

La Palme d’or revient à Marouchett (nom fictif), arrêté pour divers délits à 178 reprises depuis 1999. «Excepté les cas lourds, la plupart de ces individus écopent de jours-amende qui n’ont aucun effet dissuasif. Et même s’ils purgent une peine ferme, nous devons les remettre en liberté à leur sortie de prison au lieu de les expulser», déplore un inspecteur.

Terroristes vs délinquants

Au-delà de la pertinence du système répressif en vigueur à Genève, c’est à ce stade que le volet diplomatique intervient. Berne voudrait renvoyer ces persona non grata. Pour cela, un laissez-passer, individuel, doit être délivré par le pays d’origine. Mais l’Algérie s’y refuse tant que d’anciens terroristes du Groupe islamique armé et du Front islamique du salut ne lui reviennent pas. Au moins une demi-douzaine de gros bonnets vivraient en Suisse, dont un à Genève. Mais la Confédération répugne à son tour, estimant que la vie de ces personnes serait mise en danger.

Accord inefficace

Les négociations se trouvent donc dans une impasse depuis plusieurs années, malgré la signature d’un accord de réadmission en 2006. Selon l’Office des migrations et la police genevoise, cet accord s’avère totalement inefficace car l’Algérie ne tolère les refoulements que par vols de ligne. Or, le capitaine d’un avion décide seul de refuser un passager susceptible de troubler le vol. Face aux récalcitrants, les vols spéciaux constituent l’unique moyen d’expulsion. «Du coup, on refoule de simples requérants déboutés en Afrique de l’Ouest et on libère des criminels algériens», résume cet inspecteur.

Seulement, pour le DFJP, l’intérêt de l’Algérie pour ce château à Pregny-Chambésy constituait l’occasion rêvée de conditionner la vente au refoulement d’un contingent de ces indésirables. L’un des services du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) y aurait d’ailleurs été favorable, d’après notre source du DFJP. Ces mêmes sources affirment que les services de la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey ont finalement tranché, en validant la vente sans condition.

«No comment» du DFAE

Les relations économiques et diplomatiques entre les deux pays, au beau fixe depuis quelques années, pourraient expliquer cette décision (lire ci-dessous). Relevons en particulier la signature imminente d’un accord de libre-échange.

Le DFAE confirme être compétent pour les décisions d’acquisitions d’immeubles à des fins officielles par des Etats étrangers, et donc qu’il est responsable de celle dont il est ici question. Mais personne ne souhaite faire de commentaire, «conformément à la pratique diplomatique». Cela signifie qu’il n’entend ni infirmer ni confirmer les dires de nos sources autour de ce château.