L’Algérie franchit les murs de l’Assemblée française

«LA FRANÇALGERIE»

L’Algérie franchit les murs de l’Assemblée française

De Notre Correspondant A Paris: Sarah Raouf, Le Quotidien d’Oran, 30 juin 2004

Quasiment absent durant le premier mandat de Bouteflika, le sujet «Algérie» a franchi, à nouveau lundi, les murs de l’Assemblée nationale française. A l’initiative du député des Verts Noël Mamère, une salle du Palais-Bourbon s’en est ouverte une après-midi entière.

Le temps de soumettre à l’exercice de la dénonciation, non pas la Guerre d’Algérie – sortie, ici même, du non-dit le 10 juin 1999 – mais un de ses «mauvais effets», selon les organisateurs : «La Françalgérie». Une trouvaille sémantique inspirée de la «Françafrique» de François-Xavier Verschave, président de l’association Survie et critique des relations «douteuses» entre Paris et les pouvoirs africains.

Initiateurs de la rencontre, Noël Mamère et les éditions La Découverte ont battu le rappel de neuf conférenciers français et algériens, dont Hocine Aït Ahmed. Le député vert et François Gèze, éditeur de «La sale guerre» et «Qui a tué à Bentalha ?», leur ont demandé de passer au crible «La Françalgérie» à partir du livre de Jean-Baptiste Rivoire et Lounis Aggoune. A la différence des deux premiers titres, objet d’un singulier accueil médiatique, «Françalgérie, crimes et mensonges d’Etat» n’a pas suscité un intérêt similaire. «Aucun média n’en a parlé», illustration, se plaint Gèze, de la chape de plomb qui pèse, en France, sur le sujet algérien.

Dans le rôle de modérateur du débat, l’éditeur a introduit la rencontre par un tacle appuyé contre les médias français, accusés de passivité professionnelle et d’être partie prenante des «mécanismes de désinformation» sur l’Algérie. Mamère a argumenté les raisons qui l’ont amené à coorganiser cette conférence. «Il est dans l’intérêt du député et de l’homme politique que je suis de dénoncer les relations douteuses (…) et la collusion dangereuse» entre Paris et Alger. «Tant que la France n’apporte pas de réponses sur la colonisation et la brutalité de la décolonisation, cette mémoire vive aura des conséquences sur la société française. Tant que nous n’avons pas travaillé la fracture coloniale, on aura des problèmes».

Court dans son intervention – un mot de bienvenue et un mot de clôture -, le député-maire de Bègles (sud-ouest) n’a pas précisé le sens de «décolonisation brutale». Critique de la manière dont le général de Gaulle a géré le dossier algérien ? Regret d’une autre option qui ne s’est pas concrétisée à l’épreuve du terrain ? Pas de réponse, si ce n’est un exercice de réflexion d’un journaliste présent. «Mamère, me semble-t-il, faisait allusion aux conditions dans lesquelles l’Algérie a accédé à l’indépendance. Conditions propices au coup de force du duo Ben Bella – Boumedienne au détriment des autres forces politiques algériennes».

Hocine Aït Ahmed a estimé que la «Françalgérie» était un «gros morceau», un sujet sur lequel «je risque de dire trop ou pas assez» en fonction du temps de parole imparti. Les yeux fixés sur un texte écrit, le leader du FFS a déroulé trois séquences historiques, édifiantes, selon lui, du «tabou» algérien sur le terrain hexagonal et, par prolongement, sur la scène internationale. Première séquence : la «guerre de libération», avec son lot de crimes et de «séquelles», a déteint sur les relations franco-algériennes post-indépendance. La conduite de la guerre par la France coloniale et la «culpabilité» qui s’en est suivie «hantent les rapports» entre les deux pays. Des rapports frappés du sceau de «l’omerta» où «se mêlent les réseaux». Seconde phase qui renvoie, à la caricature, la «Françalgérie» : la dernière décennie. Dès janvier 1992, critique Aït Ahmed, Paris «a reçu cinq sur cinq» le message d’Alger selon lequel le nouveau décor – interruption du processus électoral – était meilleur que «celui de Ali Benhadj». Hormis quelques rares exceptions, dont celle de Lionel Jospin, la France a été, pendant les années de crise, «la gardienne du temps», la «bouée de sauvetage du régime». La troisième séquence date du 11 septembre 2001. La gestion du phénomène Al-Qaïda a conforté l’Algérie dans son statut de partenaire utile dans la lutte antiterroriste. Une aubaine, selon le fondateur du FFS, qui, combinée à «l’eldorado pétrolier», a permis de «bénir la normalisation autoritaire». Aït Ahmed a appelé la France à changer de politique algérienne, en rompant avec la «Françalgérie». Avec ses prédilections habituelles pour les formules médiatiques, il a conclu : l’Etat algérien «ne sera souverain que lorsque la France sera consciente qu’elle est otage et qu’elle sorte de ce piège, en recouvrant… son indépendance vis-à-vis de l’Algérie !».

Ex-PDG du Crédit populaire d’Algérie et membre de «l’équipe des réformes» de Mouloud Hamrouche, Omar Benderra a critiqué, sans ménagement, la relation économique bilatérale. Une relation qui participe d’une «préoccupation stratégique» : le maintien de l’Algérie «dans le giron de la France». Selon lui, on n’est pas en présence d’une «création de richesses» mais de rapports économiques qui font la part belle à la «prédation» et à des «réseaux aux confluents du politique et de l’économique». Derrière les relations et autres échanges économiques vantés par les responsables des deux pays, se cachent «connivence et association contre nature ». Les discours sur les réformes et la modernisation de l’économie tenus de part et d’autre de la Méditerranée, «se heurtent sur les intérêts», estime l’économiste.

Voir aussi:
La « Françalgérie », tabou de la République française (Conférence-débat, Paris le 28.06.04)
Hocine Ait-Ahmed: Pourquoi l’omerta sur la Françalgérie ? (28.06.04)
L’Algérie franchit les murs de l’Assemblée française (QO, 30.06.04)
La France, «une bouée de sauvetage pour le régime algérien» (JI, 30.06.04)
La « Françalgérie » ou la culture de l’omerta (Le Soir d’Alg., 30.06.04)