L’opposition à l’épreuve du terrain

Anniversaire du 24 février

L’opposition à l’épreuve du terrain

El Watan, 24 février 2015

Longtemps plombés par des divergences artificielles et des guerres de leadership, les partis et les personnalités regroupés au sein de l’ICSO prendront le pouls de leur force de mobilisation.

L’opposition descend aujourd’hui dans la rue. C’est la première fois que des partis, regroupés d’abord en deux entités, la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD) et le Pôle des forces du changement, les deux activant sous la bannière de l’Instance de concertation et de suivi de l’opposition, décident de mener des actions communes sur le terrain.

Si les initiateurs des sit-in de solidarité et de soutien avec les citoyens d’In Salah, mobilisés contre l’exploitation du gaz de schiste, insistent sur le caractère dépolitisé des rassemblements qui auront lieu aujourd’hui aux chefs-lieux des wilayas du pays, il n’en demeure pas moins, même s’ils évitent de le dire, que les manifestations auxquelles ils ont appelé sont éminemment politiques.

L’opposition, opprimée par le biais des fraudes électorales, la fermeture de tous les espaces publics, l’interdiction des marches, notamment à Alger, entend cette fois-ci reprendre l’initiative. En tenant à donner de la voix aujourd’hui, le rassemblement de l’opposition, qui est parti de la conférence de Mazafran en juin 2014, passe des sit-in de soutien aux contestataires du sud du pays contre l’exploitation du gaz de schiste, à un autre défi dans le bras de fer qui l’oppose aux tenants du pouvoir, celui de marquer son existence sur le terrain de l’action.

Longtemps plombés par des divergences artificielles et des guerres de leadership, les partis et les personnalités regroupés au sein de l’ICSO prendront, c’est incontestablement l’un des objectifs assigné à leur démarche, le pouls de leur force de mobilisation. Donc, au-delà de leur solidarité avec les citoyens du Sud, qui manifestent depuis plusieurs semaines contre l’exploitation du gaz de schiste, les partis de l’opposition vérifieront aujourd’hui si leur initiative et le discours qu’ils développent depuis la conférence de Mazafran, trouvent un écho dans la rue, chez les citoyens.

A cette première épreuve du terrain, l’opposition, regroupée au sein de l’Instance de concertation et de suivi de l’opposition, sait pertinemment que les communiqués, les déclarations et autres conférences thématiques dénonçant la gouvernance du système de Bouteflika, remettant en cause la légitimité du chef de l’Etat, et ce dernier étant malade, sa capacité à gérer les affaires du pays, ne mèneront à rien, si elle ne sort pas du virtuel et constitue un rapport de forces dans la réalité.

Et ce ne sera certainement pas une sinécure. La classe politique, après des années de congélation, d’effritement, de guerre de positions, d’oppression et de dissidence, va-t-elle enfin pouvoir affirmer son existence en dehors des salons, en s’imposant comme une véritable alternative sur le terrain à un régime qu’elle qualifie de «finissant, dépassé et dangereux pour le pays» ? Elle aura à passer deux tests aujourd’hui : le premier est en effet celui de la mobilisation.

La manifestation drainera-t-elle une foule nombreuse ? Les Algériens sont difficilement mobilisables ces dernières années, en raison, entre autres, de la dépolitisation massive et violente menée par le pouvoir de Bouteflika, et du discrédit qui a frappé la classe politique qui s’est, souvent, prêtée au jeu.

Deuxième test, l’opposition aura aussi à passer l’épreuve de la force face à l’interdiction des manifestations publiques et des marches à Alger. Si elle arrive à briser l’embargo sur l’activité politique dans la capitale, elle relancera à coup sûr la mobilisation citoyenne qui fait défaut à une opposition qui a pu, pour la première fois, dépasser, un tant soit peu, ses propres divergences.

Si elle suscite aujourd’hui l’adhésion populaire, même sur une thématique qu’elle dit expurgée des relents politiques, l’opposition aura réussi le pari d’avoir pu convaincre une opinion nationale sur l’essentiel de sa vision de sortie de crise pour le pays, et pas uniquement sur sa vision de l’exploitation des énergies fossiles, conventionnelles soient-elles ou non, en Algérie.

Said Rabia