L’énigmatique verbe poursuivre
par Kharroubi Habib, Le Quotidien d’Oran, 4 janvier 2014
Tout est fait au plan de la communication officielle ayant trait au président de la République pour tenter d’accréditer que retrouvant peu à peu ses capacités physiques il est en état d’assumer ses fonctions. D’où les audiences médiatisées et de plus en plus nombreuses qui ont été inscrites dans son agenda ces dernières semaines, qu’il a accordées aussi bien aux principaux responsables nationaux qu’à des personnalités étrangères de marque en visite dans notre pays. De même que la convocation d’un Conseil des ministres ce lundi passé dont avant cette date il n’a présidé qu’une fois la réunion depuis son accident de santé.
L’objectif de cette communication est donc d’ancrer dans l’opinion publique qu’à quelques mois de l’échéance de la présidentielle le chef de l’Etat assure de plus en plus normalement ses tâches, ce qui devrait réfuter l’allégation de ses adversaires politiques considérant que sa maladie a provoqué une vacance au sommet de l’Etat et que les séquelles induites sur ses capacités physiques rendent impossible qu’il puisse se porter candidat pour exercer un quatrième mandat. Bien loin d’avoir l’effet espéré par les concepteurs de la communication officielle, les apparitions télévisées de Bouteflika ont au contraire conforté le scepticisme quant à la probabilité qu’il puisse physiquement continuer à gouverner la nation.
Certes, il est incontestable que le chef de l’Etat va mieux mais pas au point de prétendre « rempiler » pour quatre années encore. Pour autant, il ne semble pas que Bouteflika se soit fait à cette réalité comme l’a donné à comprendre l’énigmatique phrase lâchée par lui ce lundi en Conseil des ministres ayant consisté à dire « nous devons constamment nous rappeler que notre mission est de poursuivre l’édification d’un Etat fort et stable ». L’ambiguïté est dans l’utilisation du verbe « poursuivre ». On peut en effet faire lecture que l’utilisation de ce verbe «poursuivre» a été sciemment choisie pour donner à comprendre que Bouteflika projette son action et celle de l’exécutif gouvernemental dans une perspective qui va au-delà de l’échéance de la présidentielle.
Cette sorte de projection est apparue commune au Premier ministre Abdelmalek Sellal et à des membres de son équipe qui imperturbables ont fixé des échéances et pris des rendez-vous publiquement annoncés pour au-delà de l’élection présidentielle. Au point qu’ils sont parvenus à instiller la certitude au sein d’une large frange de l’opinion que le lendemain du 17 avril sera à l’identique d’avant cette date. Il en résulte qu’à trois mois à peine du scrutin présidentiel et malgré l’évidence que le chef de l’Etat est toujours confronté à la fragilité de son état de santé, lui et le clan présidentiel entretiennent le suspense sur ses intentions. Ce qui sème la confusion dans les rangs de ceux qui appellent à ce que l’échéance du 17 avril soit l’occasion d’une passation en «douceur» et le point de départ d’une transition politique consensuellement négociée avec pour finalité la réalisation des changements que les Algériens ont demandés et attendent.
Dans la bouche du président, le terme «poursuivre» a sonné comme l’annonce que le pouvoir a opté pour la continuité dont il semble lui être déterminé à la rendre inéluctable par le scénario électoral de sa candidature en dépit de ses contraintes de santé. Un scénario qui agrée à son clan mais dont la majorité des Algériens craint qu’il ne posera plus de problèmes au pays qu’il n’est censé régler.