Dernières décisions de Bouteflika : défaite définitive ou conjoncturelle du DRS ?

Dernières décisions de Bouteflika : défaite définitive ou conjoncturelle du DRS ?

Hadjer Guenanfa, TSA, 11 septembre 2013

Le président Abdelaziz Bouteflika a opéré ce mercredi 11 septembre d’importants changements au sein du gouvernement avec le limogeage de plusieurs ministres. Avant ce remaniement, le chef de l’État avait amputé le DRS du service de la communication, de la direction de la sécurité de l’armée et de la police judiciaire.

Pour les politologues Rachid Grim et Rachid Tlemçani interrogés par TSA, il s’agit assurément d’une victoire du clan présidentiel préparée depuis des années mais qui risque d’être conjoncturelle…

Toufik même sort que Lamari ?

Abdelaziz Bouteflika a annoncé la couleur dès le début son investiture en 1999 en précisant qu’il ne voulait pas être les trois quarts d’un président, rappelle Rachid Grim. Ainsi, le Président a pris les pleins pouvoirs en 2004, en opérant une réorganisation de l’armée opérationnelle pour la neutraliser et en écartant de grands généraux, à l’image de Mohamed Lamari, qu’il avait mis à la retraite alors que beaucoup le pensait « indéboulonnable », poursuit-il.

« On disait que le général Mohamed Médiène (Toufik) est intouchable, qu’il a plein de dossiers, etc. Mais M. Lamari avait la même chose. Il s’est débarrassé de lui et c’était déjà le plus difficile », dit-il avant d’ajouter : « Même Boumédiène ne pouvait pas s’opposait à l’armée contrairement à ce que l’on croit ». Pour lui, Bouteflika est devenu aujourd’hui le « le vrai patron de l’Algérie » et il n’a fait qu’utiliser ses prérogatives constitutionnelles.

Défaite réelle ou conjoncturelle du DRS ?

Même si le « clan » du chef de l’État a réussi à reprendre le dessus, il reste à « savoir s’il s’agit d’une défaite réelle (du DRS, ndlr) ou conjoncturelle », lance Rachid Tlemçani, politologue, en soulignant que la bataille entre les clans se poursuit toujours. « Elle deviendra plus atroce », dit-il. C’est pour cela qu’il faut attendre le « premier dénouement : l’élection présidentielle de 2014 », selon lui. Le remaniement opéré aujourd’hui rentre dans le cadre de la préparation de cette « élection », assure-t-il. Pour lui, « le régime politique algérien refuse de s’ouvrir un peu, alors que cette ouverture s’impose ». Quoi qu’il en soit, « nous avons tendance à trop politiser l’enjeu réel et on oublie que cet enjeu fondamental est économique : la distribution de la rente », conclut-il.


DRS, gouvernement, administration

Quand le président Bouteflika verrouille à tous les étages

Hayet Zitouni

ANALYSE. Opération verrouillage présidentiel tous azimuts. Depuis son fauteuil, Abdelaziz Bouteflika prend des décisions en forme de cadenassage des institutions. Après avoir réglé la situation au FLN et fait installer Amar Saadani au poste de secrétaire général, c’est à présent le DRS, à qui il reprocherait de n’avoir pas joué franc-jeu avec lui durant son hospitalisation parisienne, qui en fait les frais.

Comme révélé par TSA, le tout puissant service de renseignement opérationnel se voit amputer de trois services importants, la communication et la sécurité de l’armée ainsi que ses missions d’enquêtes qui retombent dans le giron de l’état-major.

Ahmed Gaïd Salah voit son pouvoir renforcé en cette fin de mandat présidentiel. Il devient vice-ministre de la Défense en gardant son poste de chef d’état-major. D’avoir soutenu contre vents et marées Abdelaziz Bouteflika, lui permet de bénéficier d’une nouvelle réorganisation au détriment du chef du DRS avec qui il entretient des relations exécrables.

Avant le DRS, Bouteflika avait également verrouillé le Conseil constitutionnel, en y plaçant Taïb Belaiz, un fidèle parmi les fidèles. Il a pu compter jusque-là sur le soutien aveugle de cette institution lequel n’a jamais réagi aux demandes d’application de l’article 88 de la Constitution.

Mais le DRS c’est autre chose. Des éléments de ce service ont, aux yeux des proches du président, manqué à la plus élémentaire prudence quant aux commentaires sur sa santé. Ainsi le colonel Fawzi, maillon essentiel puisque distributeur de la manne financière aux journaux, a-t-il été accusé d’avoir noirci la santé du président auprès de différents interlocuteurs dont certains journaux. Son limogeage avait sonné comme une première reprise en main. La décision présidentielle de retirer la communication, la sécurité de l’armée, et les enquêtes au DRS est une seconde sanction plus organique celle-ci.

Aujourd’hui, le président Bouteflika a procédé à un remaniement ministériel. Aux postes clés de l’Intérieur et de la Justice, deux ministères qui seront au cœur de l’organisation du scrutin de 2014, il y a placé des hommes de confiance. Dans quelques jours, il annoncera un mouvement dans les corps des walis, des magistrats et des ambassadeurs. En fait, le chef de l’Etat verrouille à son profit toutes les institutions du pays et règle ses comptes avec ceux qui lui ont manqué. De quoi pour l’avenir, refroidir bien des ambitions…


 

Changements au DRS

Quel sort pour les enquêtes sur la corruption ?

Ali Idir

La décision du président Abdelaziz Bouteflika de dissoudre le service de police judiciaire du DRS et de transférer ses compétences à la Justice militaire pourrait compromettre la poursuite des enquêtes sur des soupçons de corruption dans plusieurs grandes entreprises publiques et des administrations.

Lancées début 2013, ces enquêtes confiées au service de la police judiciaire du DRS concernent notamment les scandales de corruption à Sonatrach et à Sonelgaz, ainsi que l’autoroute Est-Ouest. Certes, elles ont été déclenchées dans un contexte marqué par une guerre de clans en prévision de la présidentielle de 2014. Mais ces enquêtes, qui n’ont pas toutes abouti, ont mis au jour de graves atteintes à l’économie nationale et révélé l’implication de personnalités dans des dossiers de corruption. C’est notamment le cas de l’affaire Sonatrach dans laquelle l’ancien ministre de l’Énergie Chakib Khelil est clairement visé aussi bien en Algérie qu’en Italie.

En amputant le DRS de sa police judiciaire, le chef de l’État le prive certes d’un outil d’intervention dans le champ politique. Mais dans le même temps il prend le risque d’affaiblir l’État et la justice dans un contexte marqué par une corruption généralisée et la multiplication de malversations. La décision du Président pourrait être perçue comme une façon de bloquer ces enquêtes sur la corruption et interprétée par les corrompus comme un feu vert indirect.

Dans ce contexte, une question se pose : le président Abdelaziz Bouteflika cherche-t-il à mettre fin à l’opération « mains propres », ou veut-il mettre fin à l’implication du DRS dans la vie politique dans le cadre d’une réorganisation totale des services de renseignements ? Les semaines à venir nous le diront notamment à la lumière de l’évolution des enquêtes de corruption, particulièrement celle de Sonatrach.


Remaniement ministériel

Le FLN salue et l’opposition critique les changements opérés par Bouteflika

Achira Mammeri

Le remaniement ministériel opéré ce mercredi 11 septembre par le président de la République satisfait le FLN, mais sans convaincre l’opposition. Le FLN a salué la décision du Président.

Dans une déclaration à TSA, son secrétaire général Amar Saadani estime qu’à travers le remaniement ministériel « le Président de la République a exercé l’une des prérogatives que lui attribue la Constitution ». « Ce qui caractérise le nouveau staff gouvernemental, poursuit Saadani, c’est la présence de technocrates et d’hommes de terrain ce qui renseigne sur la détermination du Président, de mener à terme ses réformes ».

Un avis qui n’est point partagé par Lakhdar Benkhelaf du parti El Adala. Pour lui, le nouveau staff gouvernemental a pour mission d’exécuter « la feuille de route tracée par le président de la République pour préparer les présidentielles de 2014 ». « La sélection des nouveaux ministres n’a pas pris en compte les compétences, mais la capacité de chacun dans son secteur de mettre en œuvre les mécanismes nécessaires en prévision des présidentielles », affirme-t-il. Pour le parti El Adala, la prochaine étape sera incontestablement la révision de la Constitution qui permettra à Bouteflika d’avoir un vice-président.

Pour Moussa Touati, président du Front national algérien (FNA), le remaniement ministériel « est un non-évènement », d’autant plus que le changement opéré consacre « le principe de la continuité ». « Ce changement sert à occuper l’opinion publique et la classe politique. Le vrai changement auquel aspire le peuple est celui qui consacrera la rupture avec les pratiques politiques imposées par le régime depuis 52 ans », estime-t-il.

Le président du MSP Abderrezak Mokri refuse de qualifier ce changement de remaniement ministériel. « Il s’agit d’une action qui est liée à la situation qui prévaut au sein du pouvoir », pense-t-il. Le remaniement, soutient-il, aura un sens lorsqu’il conduira « à des réformes politiques, et à la prise en charge des préoccupations des citoyens. »

Dans sa déclaration postée sur sa page Facebook, Mokri laisse entendre que ce changement rentre dans le cadre d’une stratégie préparée dans des cercles très fermés, en prévision des présidentielles.

Le Mouvement Ennahda n’est pas satisfait du remaniement ministériel. Pour Mohamed Hadibi membre du bureau de ce parti, le peuple attendait du Président des décisions décisives pour sortir le pays de la crise politique. « Ce n’est pas à travers un changement technique que les choses vont s’améliorer dans le pays », estime-t-il.

Le Parti des travailleurs (PT) de Louisa Hanoune refuse de le commenter à chaud : « On le fera peut-être vendredi à l’occasion de la réunion de la Commission agraire du parti », répond Djelloul Djoudi le bras droit de Mme Hanoune.


Portait : Ramtane Lamamra, un spécialiste des conflits africains nommé ministre des AE

Hayet Zitouni

Elle est une des vraies surprises de ce remaniement. L’arrivée au poste de ministre des Affaires étrangères de Ramtane Lamamra, 56 ans, natif d’Amizour, dans la région de Béjaïa. Il était jusqu’à présent commissaire de l’Union africaine à la paix et à la sécurité. Un poste qu’il occupait depuis le 28 avril 2008.

Il a, à ce poste, contribué à la constitution de forces de la paix. « C’est un développement de portée historique dans la mesure où jusque-là, le principe que l’Afrique mette en œuvre des solutions africaines aux problèmes africains était accepté, reconnu et mis en évidence, mais il n’y avait pas d’instruments pour la mise en œuvre de ce principe au-delà des instruments pacifiques », déclarait-il en mai dernier à l’APS, en marge des travaux du 21e Sommet de l’Union africaine.

Technocrate au ministère des Affaires étrangères dont il a notamment été le secrétaire général, il a entamé sa carrière d’ambassadeur en 1989, à Djibouti et en Éthiopie, où il était également accrédité auprès de l’OUA et de la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique (CEA). Il a ensuite été envoyé spécial de l’Union africaine au Libéria entre 2003 et 2007. Mais c’est surtout en tant qu’ambassadeur auprès de l’ONU de 1993 à 1996 qu’il a marqué son époque. Il a, en effet, participé à la médiation de plusieurs conflits africains. Il fut ensuite ambassadeur à Washington (1996-1999). Auparavant, entre 1992 et 1993, il a été gouverneur au Conseil de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), et a représenté l’Algérie auprès de l’Onudi.

Le magazine Jeune Afrique rapporte que Ramtane Lamamra maîtrise également un autre dossier sensible pour la diplomatie algérienne : le Sahara occidental. Il a ainsi dirigé la délégation algérienne invitée à titre d’observateur lors des trois premiers rounds de négociations entre le Maroc et le Front Polisario, à Manhasset, entre juin 2007 et janvier 2008.

« Pour avoir longtemps sillonné le continent, Ramtane Lamamra dispose d’un carnet d’adresses fourni. Et, de l’aveu de ses anciens collaborateurs, il a fait ses preuves en matière de travail en équipe », rappelle Jeune Afrique.