L’Algérie et l’Iran tournent la page
L’ALGERIE ET L’IRAN TOURNENT LA PAGE
Fin d’une brouille
El Watan, 4 octobre 2004
Au-delà des accords de coopération, aussi importants soient-ils, signés entre Alger et Téhéran, à l’occasion de la visite officielle de trois jours effectuée en Algérie par le président iranien, Mohammad Khatami, ce déplacement reste, selon nombre d’observateurs, marqué beaucoup plus par sa dimension symbolique.
Cette visite, après celle effectuée en octobre 2003 en Iran par le président Bouteflika, témoigne, en effet, de la volonté des deux pays de se réconcilier et de dépasser les clivages nés après la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le régime iranien au début des années 1990. Les relations entre les deux pays, faut-il le rappeler, furent rompues en raison du soutien massif des mollahs d’Iran aux terroristes algériens. Après près de dix ans de brouille, le président Abdelaziz Bouteflika et son homologue iranien semblent plus que jamais déterminés à insuffler une nouvelle dynamique aux relations bilatérales. Lors d’un dîner offert avant-hier en l’honneur de l’hôte de l’Algérie, le président Bouteflika a insisté sur le «caractère privilégié» des relations entre l’Algérie et l’Iran. «Nos deux pays ont su surmonter les incompréhensions, lever les malentendus et ouvrir la voie à un chapitre nouveau fondé sur la confiance, le respect et l’intérêt mutuels», a souligné le chef de l’Etat dans une allocution reprise par l’APS. Néanmoins, cette coopération devra être inscrite, selon M. Bouteflika, dans une perspective plus large de partenariat et de complémentarité. En d’autres termes, «Alger et Téhéran doivent développer des relations au-delà de la simple relation commerciale», a-t-il suggéré. En ce sens, le président de la République a estimé que «l’Iran et l’Algérie disposent de potentialités économiques considérables et d’un savoir-faire appréciable dans divers domaines». Pour sa part, le président Khatami a déclaré, dans une allocution prononcée à la même occasion, que son pays «adopte une politique extérieure fondée sur la confiance, le dialogue et la compréhension mutuels». Tout en qualifiant la visite effectuée en Iran par le président Bouteflika de «tournant dans les relations historiques et fraternelles entre les peuples algérien et iranien», le président iranien a insisté sur «la nécessité de multiplier les efforts en vue de cerner les compétences et les domaines de coopération, de permettre l’élargissement et l’approfondissement des liens et de mettre en œuvre l’ensemble des conventions conclues à travers une planification pertinente et un suivi rigoureux». Plus loin, l’hôte de l’Algérie a indiqué que les relations de l’Iran avec le monde arabo-musulman et la région de l’Afrique du Nord, notamment l’Algérie, occupent une place importante dans la politique étrangère de son pays. Cela s’explique, selon lui, par les «dénominateurs culturels, historiques, islamiques et révolutionnaires communs et la position stratégique de l’Algérie sur la côte méditerranéenne et sa présence active au sein des organisations internationales, régionales et islamiques». Par ailleurs, tout comme le président Bouteflika, le chef de l’Etat iranien a affirmé que «les défis auxquels font face les pays musulmans nécessitent des relations étroites et une coopération dans tous les domaines, aux plans bilatéral, régional et international». L’orateur cite entre autres la question palestinienne, la situation en Irak et celle qui prévaut en Afghanistan. Abordant ce qu’il appelle le «dialogue des civilisations», M. Khatami a souligné que «l’Algérie et l’Iran assument une plus grande responsabilité à ce sujet, au regard de leur patrimoine culturel, civilisationnel et historique et de leur qualité de deux centres de rencontre et de cohésion des civilisations et des cultures». Devant les députés de l’APN, le président iranien a estimé que la signature par la commission mixte algéro-iranienne, lors de ses réunions dans les capitales des deux pays, de 20 accords de coopération témoigne de l’intérêt accordé à l’aspect scientifique de cette coopération. Tout en souhaitant que sa visite en Algérie «permettra d’ouvrir de nouveaux horizons à même de permettre l’aboutissement à des accords stratégiques pour développer davantage les relations entre les deux pays», M. Khatami a fait remarquer qu’«il est temps d’axer les relations entre les deux pays sur l’établissement de nouveaux modèles de coopération régionale et internationale». Outre les précédents accords de coopération signés entre l’Algérie et l’Iran, et qui sont au nombre de 27, les responsables des deux pays ont paraphé, avant-hier samedi, cinq autres accords de coopération. Ils concernent la santé animale, la petite et moyenne industrie (PMI), l’artisanat, la pêche et les ressources halieutiques et l’habitat. Cette coopération sera-telle élargie au domaine militaire ? C’est fort probable, si l’on tient compte de l’entrevue ayant regroupé hier le général-major Ahmed Gaïd-Salah, chef d’état-major de l’ANP, et le général Mahmoud Djerahi, vice-ministre de la Défense, chargé du soutien des forces armées iraniennes. Rappelons que lors de la visite de M. Bouteflika en Iran cinq accords de coopération furent signés entre les deux pays. Ces protocoles d’accord ont touché notamment les domaines des finances, de la justice, de l’industrie et du transport maritime.
Par A. Benchabane
Khatami propose un «pacte pour la paix»
Le président iranien, Mohammad Khatami, en visite officielle de trois jours en Algérie, a prononcé hier, à la tribune de l’APN, un discours plus didactique que politique. Dans son exposé, l’orateur, très applaudi, a multiplié ses appels au «dialogue de civilisations entre l’Orient et l’Occident».
Ce dialogue est, selon lui, la seule voie à même de concrétiser ce qu’il appelle une «justice universelle». «Le souhait de l’ensemble des habitants de la planète, dans ses deux hémisphères, est de voir la balle céder la place à la fleur et de voir la haine laisser le terrain à l’entraide et à la tolérance», a-t-il lancé. Néanmoins, l’hôte de l’Algérie a déploré l’«oppression» pratiquée par certains «tyrans» qui continuent, selon lui, à «sacraliser la violence». Les musulmans, qui, enchaînera Khatami, «ont vécu le colonialisme et la violence, se doivent de tenir un nouveau discours et de proposer une nouvelle méthode (…). Au nom de l’Islam, nous réitérons nos appels pour l’instauration d’un vrai dialogue». Ce dialogue entre les civilisations doit aboutir, dira Khatami, à «un pacte pour la paix et pour une vraie renaissance de la démocratie». Pour lui, «ce dialogue doit non seulement être considéré comme un appel à la concertation, mais aussi et surtout comme une exhortation à la coopération et au travail commun». Quelle sera la tâche du monde musulman dans le cadre de ce dialogue ? «Le devoir des musulmans est de donner une image saine et tolérante de la religion musulmane», a-t-il préconisé. Dans sa lancée, le Président iranien a expliqué que «les menaces qui guettent le monde musulman sont une partie des menaces qui guettent l’humanité dans son ensemble». Comme pour épingler les Etats-Unis qui ont envahi l’Irak, le président Khatami a estimé que «l’expansionnisme vorace, l’unilatéralisme, la violation du territoire des autres, la violence, l’oppression et le sous-développement conduisent nécessairement à la dégradation du climat sécuritaire dans le monde». Pour endiguer ces «fléaux, les musulmans, au nom de l’Islam, doivent inciter le monde entier à promouvoir la liberté et la démocratie». Plus loin, Khatami a souligné que «l’Islam est voisin de l’Europe et qu’aucun peuple n’est en mesure de choisir son voisin». De ce fait, les deux civilisations sont «condamnées à œuvrer ensemble pour consolider leurs relations économiques, culturelles et politiques», a-t-il déclaré.
Par A. B.
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Par la voix du président de l’APN
Soutien des parlementaires algériens à l’Iran
Le Quotidien d’Oran, 4 octobre 2004
«L’Algérie suit avec intérêt l’évolution de la situation en Iran qui subit des pressions visant à entraver sa marche vers le développement scientifique et sa volonté de posséder les technologies modernes à usage exclusivement pacifique.
Nous considérons qu’il s’agit d’un droit légitime auquel les peuples en développement doivent accéder». Ce passage est extrait du discours que le président de l’APN, Amar Saïdani, a lu hier devant son invité le président iranien Mohamed Khatami. Les mots qu’il contient peuvent sembler peu clairs aux non-initiés, ils expriment néanmoins le soutien du Parlement algérien à Téhéran dans la bataille qui l’oppose aux puissances occidentales et à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui s’alarment du programme nucléaire iranien.
Amar Saïdani a d’ailleurs motivé plus tard ce soutien et déclaré que l’Algérie rejette «la politique des deux poids, deux mesures» qui «permet à Israël de se soustraire aux obligations édictées par la légalité internationale et la convention de non-prolifération des armes nucléaires». Signé par le président de l’Assemblée nationale populaire (APN), qui ne devrait pas réagir de son propre chef, ce message a cette particularité d’intervenir à un moment où pèse sur l’Iran la menace d’une saisine du Conseil de sécurité de l’ONU. Sa valeur politique est donc indiscutable et paraît avoir été bien reçue par le président iranien qui a salué la solidarité de l’Algérie avec son pays ainsi que la nécessité d’aller plus loin dans le rapprochement avec Alger.
M. Khatami n’a pas cependant abordé le dossier du nucléaire dans son discours devant les députés algériens. Dans son intervention, en persan et en arabe lorsqu’il s’agit pour lui de conclure, M. Khatami a préféré louer les vertus du «dialogue» des peuples et des civilisations.
Son plaidoyer pour une meilleure compréhension entre l’Occident et le monde musulman ne l’a pas empêché, cependant, de stipendier «ceux dont le défaut est de sacraliser la violence» et ceux dont la puissance a engendré «une vision négative et destructrice de l’Autre». Le propos a été philosophique et intellectuel, certes, il n’en demeure pas moins qu’il s’adressait aux Etats-Unis et aux trois grands Etats européens (Allemagne, France et Grande-Bretagne) qui s’inquiètent de la maîtrise du combustible nucléaire par l’Iran et doutent de son usage à des fins civiles.
En octobre 2003, Téhéran a accepté de suspendre ses activités d’enrichissement d’uranium. Mais ses déboires avec l’Agence internationale de l’énergie atomique n’ont pas cessé pour autant. L’AIEA prévoit d’étudier à nouveau le dossier iranien en novembre prochain. Son président, Mohamed El Baradei, évoque une «remise en cause des engagements» pris par l’Iran et menace d’envoyer le dossier nucléaire iranien devant le Conseil de sécurité. Elle presse ce pays de suspendre «immédiatement» toutes ses activités, y compris les opérations dites préalables, telles la construction de centrifugeuses et la production d’hexafluorure d’uranium (UF6), constitutives, selon l’Agence, du processus d’enrichissement. Réaction iranienne, le Parlement travaille actuellement à la rédaction d’une proposition de loi donnant au gouvernement mandat de reprendre l’enrichissement.
Des sources occidentales indiquent également que des parlementaires «ultra-conservateurs» collectent des signatures en faveur d’une proposition de loi pour un «désengagement iranien du TNP, à la manière nord-coréenne», si l’AIEA ne retire pas l’Iran de son ordre du jour.
Noureddine Azzouz