La «distanciation» du général Lamari

Sur fond de misères partisanes et de déchirements de la nomenklatura

La «distanciation» du général Lamari

Le Quotidien d’Oran, 22 juin 2003

Le général Lamari prend des distances à l’égard de la politique, Benflis organise la résistance, Djaballah s’échauffe, Nahnah est parti, la peste est revenue.

Chronique de la semaine « politique »…

Des sept candidats aux présidentielles de 1999 un seul, Hocine Aït Ahmed était mandaté par un parti politique, tous les autres ont été des candidats indépendants. Y compris Abdallah Djaballah qui a été contraint à abandonner le parti Ennahda pour pouvoir satisfaire son ambition présidentielle.

La plupart des autres partis ont du s’incliner devant « le choix des décideurs pour le candidat du consensus», selon le bon mot du patron du FLN à l’époque, Boualem Benhamouda qui avait eu l’imprudence de le dire au colonel Youcef Khatib, lequel ne se priva pas d’en informer les Algériens. Les alignements partisans se sont faits exclusivement sur des arguments de pouvoir et non sur la base d’une négociation politique. L’autonomie des partis politiques, acteurs importants d’une démocratie digne de ce nom, n’était pas à l’ordre du jour. C’est cette autonomie qui permet l’existence d’une scène politique sérieuse fondée sur une compétition politique arbitrée par des électeurs. Le coté superficiel – pour ne pas dire surréaliste – de la vie politique nationale dépend en grande partie de cet état de fait. Les fonctionnaires de la politique l’ont emporté sur les hommes politiques élargissant l’impression d’irréalité aux institutions et notamment au parlement.

A moins de dix mois des présidentielles, les évènements tragi-comiques qui se déroulent autour du FLN montrent que le fait partisan demeure profondément contesté. Les protagonistes de cette « compétition » à coup de barres de fer et de déclarations incendiaires baignent dans une même culture. Benflis et ses hommes ont la forme du droit pour eux, cela ne signifie pas qu’ils sont porteurs d’un projet novateur. La résistance exprimée par les actuels détenteurs de l’appareil ne sera significative que si elle se donne un contenu politique. Ce qui n’est guère aisé dans un parti lié corps et âme au régime.

Pour Abdallah Djaballah, candidat sans le moindre doute, le test pour Benflis sera la consigne qu’il donnera à ses députés au sujet du projet d’amendement de la loi électorale présenté par El-Islah.

Pour d’autres, comme la ligue algérienne de défense des droits de l’homme, ce sera son engagement pour la levée de l’état d’urgence. Pour l’heure, les partisans de Benflis – qui ont, lors du 8ème congrès, décidé de retarder le plus tard possible le choix du candidat aux présidentielles – sont pour la tenue rapide d’un congrès extraordinaire. Le calcul est simple : plus le congrès tarde et plus le jeu des partisans de Bouteflika risque de causer des dommages. Un congrès extraordinaire consacrant définitivement Benflis comme candidat verrouillera, selon eux, le jeu.

Pour l’heure, cette « bataille du FLN » prend des allures de déchirements au sein de la nomenklatura. Des représentants attitrés de celle-ci sont montés au créneau pour mettre en garde le ministre de l’Intérieur contre la tentation de s’immiscer dans les affaires du parti en « invalidant » le 8ème congrès. L’on aura remarqué à ce propos que l’ancien ministre de l’Intérieur, El-Hadi Khediri a mis en garde Yazid Zerhouni tout en faisant l’éloge d’un ancien ministre de l’Intérieur, le général Larbi Belkheir.

Il y a manifestement une situation de quasi-rupture au sein de cette nomenklatura politique. Outre le fait qu’ils confirment que la régression politique a atteint des niveaux inégalés, les débordements publics de cette guerre ont tendance à rendre difficile un arrangement interne. La «candidature du consensus » a déjà vécu à moins d’un retournement de situation qui parait, pour l’heure, improbable.

Surtout que les propos «distants» du général Mohamed Lamari ne comportent aucun indice d’un penchant en faveur d’une candidature y compris celle de Bouteflika. On aura surtout remarqué qu’il se lave franchement les mains de la question de la levée de l’état d’urgence.

Pour lui, il ne constitue pas un obstacle à la lutte antiterroriste ôtant, de fait, le seul argument valable opposable par les « civils », Bouteflika et Yazid Zerhouni.

Plusieurs partis et des personnalités politiques ont lancé autour de la Laddh, une campagne pour la levée de l’état d’urgence qu’ils qualifient de « source de toutes les fraudes et manipulations politico-judiciaires». Cette campagne pour la levée de l’état d’urgence et le projet d’amendement de la loi électorale traduisent la suspicion préalable à l’égard des organisateurs du processus électoral.

Pourtant, Abdallah Djaballah se prépare déjà et il a trouvé agréable à ses oreilles les propos du général Lamari promettant de ne pas barrer la route à un islamiste élu s’il respecte les valeurs républicaines. « C’est un bon début qui augure qu’on a tiré les enseignements des expériences passées et d’un désir de tourner la page de l’éradication et de s’orienter courageusement vers la consécration de la démocratie » a déclaré le président d’El-Islah. Comme d’habitude, chacun aura trouvé dans les propos de Lamari ce qui l’arrange le plus.

Les « éradicateurs » ont oublié les assurances données aux islamistes et à Djaballah pour focaliser sur le fait que l’armée ne soutient pas Bouteflika.

D’autres candidats potentiels sont demeurés silencieux en estimant implicitement que ces déclarations ne sont pas une garantie d’un jeu ouvert. Autre constat du général Lamari, en 2002 le GSPC a recruté plus de membres qu’il n’en a perdus, chose qu’il impute à l’absence d’un discours politique venant en soutien à la lutte anti-terroriste. Cela est sans doute juste. Encore faut-il qu’il y ait une véritable scène politique compétitive, à même d’élaborer des discours sérieux.

La faiblesse des institutions politiques et la vie partisane végétative ont entraîné un monopole du discours d’en haut, manifestement sans effet réel sur la société. Quand les médiations politiques disponibles sont discréditées, il est vain d’attendre qu’elles développent un discours politique crédible.

Au cours de cette semaine le général Lamari a pris quelques distances à l’égard de la politique. Benflis a organisé la résistance, Djaballah s’est échauffé, Nahnah est parti en laissant une possibilité qui n’a pas été explorée.

Et puis à Oran, la peste est revenue, inquiétante comme ce réel qui semble si loin de la « politique » telle qu’elle se mène encore..

M. Saâdoune