Les Algériens votent pour oublier la guerre civile
ALGÉRIE Le référendum sur la «charte de la paix et de la réconciliation nationale» devrait renforcer les pouvoirs du président Bouteflika
Les Algériens votent pour oublier la guerre civile
Alger : Arezki Aït-Larbi, Le Figaro, 29 septembre 2005
Des électrices algériennes patientent avec leur carte d’électeur devant un bureau de vote, le 24 septembre 2005 au palais des sports de Marseille. Les Algériens habitant à l’étranger ont commencé dès samedi dernier à voter.
«Du Japon à l’Argentine en passant par l’ex-Yougoslavie, je vous assure que cette charte est la seule formule qu’il m’a été possible de proposer !» Au terme d’une campagne marathon qui l’a mené aux quatre coins du pays, le président Bouteflika a planché, mardi, devant des universitaires, pour expliquer sa politique en faveur de «la paix et la réconciliation nationale» sur laquelle les électeurs se prononcent aujourd’hui, par référendum.
L’argumentaire rationnel qui a remplacé, le temps d’un discours, les incantations mystiques et les slogans populistes, n’a pas réussi à dissiper le flou qui entoure sa démarche.
En demandant aux Algériens, meurtris par une décennie de violences, s’ils sont pour ou contre la paix, Abdelaziz Bouteflika enfonce des portes ouvertes. Excepté les irréductibles du GSPC, la population qui porte le deuil de 150 000 morts et de milliers de disparus, aspire à une vie normale.
A travers ce plébiscite, le président algérien veut forcer les dernières lignes de résistance pour obtenir les pleins pouvoirs, remodeler le champ politique à sa main, et réviser la Constitution qui lui interdit de briguer un troisième mandat en 2009. Homme autoritaire, qui a fait ses classes dans les putschs et l’intrigue, il ne peut souffrir la moindre contradiction. «Je refuse d’être un trois quarts de président», répétait-il durant son premier mandat. Après avoir mis au pas toutes les institutions y compris l’armée, il est le seul maître à bord depuis la présidentielle d’avril 2004. Certains des hommes du président, accusés de graves violations des droits de l’homme par l’opposition et les ONG internationales, verront leur immunité assurée par la charte pour «la paix et la réconciliation nationale».
Pour dompter les islamistes radicaux qui «ont instrumentalisé l’Islam pour ensanglanter le pays», Bouteflika et ses partisans caressent, à leur tour la fibre religieuse des Algériens. Dans ce climat mystique qui fait feu de tous les archaïsmes, le président algérien est célébré par ses thuriféraires comme un prophète, «envoyé par Dieu pour apporter la bonne parole et panser nos plaies». Séduits par cette ferveur messianique, mais surtout par les promesses de reconversion politique, Madani Mezrag, Ahmed Bénaïcha et Mustapha Kertali, les «émirs» de l’AIS qui ont quitté le maquis en janvier 2000, soutiennent le président et mènent campagne pour son projet. Parmi les dirigeants du FIS en exil, le clan de Rabah Kébir, réfugié en Allemagne, appuie la démarche et prépare son retour au pays. Alors qu’ils sont interdits d’activité politique par Bouteflika, Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN et «représentant personnel du chef de l’Etat» offre de les accueillir au sein de son parti.
Pour sceller cette alliance entre les «barbéfélènes», les conservateurs de l’e-parti unique, et les islamistes radicaux ralliés au président, l’opposition démocratique est bâillonnée ; ses militants sont fustigés comme «des agents de l’étranger, ennemis de la nation». Alors que le président courtise les «frères égarés» du GSPC, et appelle la population à les accueillir «avec des dattes, du lait et du miel», la police pourchasse leurs adversaires pacifiques. A Alger et dans plusieurs localités de province, des militants du Front des forces socialistes de Hocine Aït-Ahmed et du Mouvement démocratique et social (MDS, ex-parti communiste) sont interpellés et inculpés d’«atteinte aux intérêts supérieurs de la nation». Leur crime : avoir distribué des tracts appelant à boycotter le référendum.
Ce retour du délit d’opinion, qui renvoie le pays aux années de plomb, est le prélude à une nouvelle restriction des libertés. Grâce à la Charte, qui lui donne carte blanche pour «prendre toutes les mesures visant à en concrétiser les dispositions», Abdelaziz Bouteflika aura les coudées franches pour fermer la parenthèse démocratique ouverte par les émeutes d’octobre 1988. Comme ce chef intégriste qui ordonnait aux Algériens, en décembre 1991, de «changer leurs habitudes alimentaires et vestimentaires», le président algérien annonce déjà la couleur : «Après le référendum, la société devra s’adapter avec de nouvelles méthodes de gestion.»