Ksentini et Azzi: «La Charte pour la paix et la réconciliation nationale a besoin de mesures complémentaires»
Maitre Farouk Ksentini et maitre Merouane Azzi au Forum d’El Moudjahid :
«La Charte pour la paix et la réconciliation nationale a besoin de mesures complémentaires»
Quel bilan peut-on faire aujourd’hui de ce projet initié par le Président de la République et que le peuple a plébiscité le 29 septembre 2005?
El Moudjahid, 1er octobre 2011
A l’occasion du sixième anniversaire de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, le forum d’ El Moudjahid a accueilli, ce jeudi, Me Farouk Ksentini, président de la Commission nationale de la promotion et de la protection des droits de l’homme, et Me Merouane Azzi, président de la cellule d’assistance judiciaire pour l’application des dispositions de la charte. Quel bilan peut-on faire aujourd’hui de ce projet initié par le Président de la République et que le peuple a plébiscité le 29 septembre 2005?
Les deux hommes de loi ont convenu que le texte qui a permis au pays de retrouver la stabilité est arrivé à son terme. Les objectifs qui lui ont été assignés ont été atteints. Et de ce fait d’autres dispositions doivent venir en complémentarité pour prendre en charge d’autres catégories qui n’ont pas été concernés par les mesures contenues dans ce texte et que beaucoup appellent les oubliés de la réconciliation nationale. Dans son exposé, Me Azzi a tenu à rappeler que la Charte pour la paix et la réconciliation nationale concerne trois catégories : les terroristes qui ont choisi la voie de la repentance, les familles des terroristes, les disparus et les travailleurs licenciés.
Plus de 7.000 personnes ont bénéficié des mesures de la charte
Selon les chiffres avancés par Me Azzi, plus de 7.000 personnes ont bénéficié, à juin 2010, des mesures prévues par la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. L’invité du forum a indiqué que « 7.544 terroristes repentis ont bénéficié de ces mesures depuis février 2006, début de la mise en œuvre des décrets exécutifs de la Charte ». Mais, dira-t-il, cela ne veut pas dire qu’un climat d’impunité a régné. En effet, en dépit de la promulgation de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, la lutte antiterroriste se poursuit toujours. Pour preuve 1.257 terroristes ont été abattus entre 2006 et 2011. Selon le président de la Commission d’assistance judiciaire pour l’application des dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, le nombre total des familles des terroristes abattus (17.000 selon les statistiques des services de sécurité) indemnisées s’élève à 11 200. Certaines familles « ont rejeté ces mesures », a-t-il précisé. Pour Me Azzi, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale a grandement contribué à mettre fin à la crise ayant marqué la tragédie nationale, notamment l’arrêt des massacres collectifs et des attentats, à l’exception de certains cas minimes. « Entre 8.000 et 10.000 citoyens ont été assassinés avant la promulgation de la charte », a rappelé Me Azzi, ajoutant que ce chiffre a reculé après pour se situer entre « 600 et 700 personnes jusqu’en 2010 ».
Le dossier des disparus objet de manipulation
Concernant les disparus, ce dossier fait l’objet de manipulation de la part de certaines associations, selon Me Azzi. « Sur les 6.543 dossiers de disparus, 6.520 ont été indemnisés à juin 2011 » dira-t-il, tout en s’interrogeant sur les desseins de ceux qui marchandent avec les familles des disparus. Concernant les personnes licenciées pour leur implication dans le terrorisme (90% appartenant au syndicat islamiste du travail relevant du FIS dissous), l’intervenant a déclaré que « 6.000 personnes ont été indemnisées, et certains ont été réintégrés dans leurs postes de travail ». Seuls ceux qui occupaient le poste d’enseignant ou d’imam n’ont pu être réintégrés. En tout, 35 000 dossiers, toutes catégories confondues, ont été réceptionnés par les commissions de wilaya chargées de la mise en œuvre de la charte depuis février 2006 à 2011.
15 propositions pour parachever le processus
M. Azzi a indiqué que la cellule qu’il supervise avait présenté à la Présidence de la République 15 propositions relatives aux catégories n’ayant pas été mentionnées dans la charte. Parmi les catégories dont la prise en charge rapide et l’indemnisation ont été proposées, figurent les prisonniers accusés de participation dans des actes terroristes, y compris ceux qui ont fait l’objet de jugements judiciaires à l’époque des tribunaux spéciaux (de 1992 à 1994). M. Azzi a précisé que les dossiers déposés par les personnes accusées de soutien et d’assistance aux groupes terroristes en vue de bénéficier des mesures de la réconciliation nationale étaient au nombre de 120, soulignant qu’après leur examen, ces dossiers ne contenaient aucune des trois exceptions prévues par la charte, à savoir les massacres, les attentats ciblant des lieux publics et les viols. Parmi les principales suggestions présentées par la cellule, figure la prise en charge de la catégorie des victimes du terrorisme « qui se dit marginalisée », rappelle M. Azzi, soulignant la nécessité de « mettre en place des statuts pour cette catégorie et une ins- tance permanente chargée de suivre ses dossiers et de revaloriser les pensions qui leur sont allouées en fonction de leurs conditions de vie ». « Nous demandons que ces primes soient attribuées jusqu’à l’âge de la majorité ou de la retrai-te », a-t-il dit, soulignant que cette mesure est à même de réhabiliter cette catégorie. M. Azzi est revenu sur les propositions qu’il a faites à la Présidence de la République concernant les enfants, âgés entre 3 et 15 ans, nés dans les maquis, indiquant qu’en vue de remédier à ce problème, la cellule a proposé « le recours aux tests ADN pour déterminer la filiation de l’enfant ». La cellule a, par ailleurs, proposé d’allouer des pensions aux personnes qui ont été détenues dans le sud du pays et aux femmes violées durant la décennie noire. M. Ksentini partage les revendications de Merouane Azzi et ajoute que parmi les catégories qu’il convient d’indemniser, figurent les personnes qui ont été emprisonnées puis relaxées sans procès, ainsi que les personnes qui ont subi des pertes matérielles (économiques) durant cette période. L’Algérie « a les moyens matériels pour indemniser toutes les personnes touchées par la tragédie nationale », précisant que « toutes les personnes touchées par la tragédie doivent être indemnisées sans hésitation ».
Nora Chergui
Selon maitre Farouk Ksentini
12 Algériens encore détenus à Guantanamo
Entre 10 et 12 Algériens sont encore détenus à Guantanamo, a déclaré jeudi le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme. M. Ksentini a affirmé que ces Algériens « croupissent encore dans la prison de Guantanamo sans procès ». Cette situation ne saurait durer, d’autant plus qu’il s’agit d’une grave violation de toutes les lois dont les Etats-Unis sont signataires, a martelé M. Ksentini. La majorité des détenus algériens étaient venus de Bosnie-Herzégovine où ils avaient été jugés et acquittés, a rappelé M. Ksentini affirmant que « ces derniers ont été enlevés par les forces américaines et mis en détention dans la prison de Guantanamo sans procès ». D’autres Algériens anciens détenus de Guantanamo ont été libérés et jugés par le tribunal criminel près la Cour d’Alger. Ils ont tous été acquittés, hormis un cas condamné par contumace à la prison en raison de son absence du procès. Dans ce contexte, M. Ksentini a rappelé la promesse faite par le président américain de fermer la base de Guantanamo, « une promesse qui n’a pas été tenue en raison de pressions sur le président américain ». A une question sur les démarches entreprises par la CNCPPDH pour assister ces détenus algériens, M. Ksentini a affirmé avoir contacté à cet effet certaines organisations humanitaires aux Etats-Unis en vue de trouver une solution définitive.
« Un pardon sincère»
Le 29 septembre 2005, le peuple algérien a, en toute souveraineté, choisi de pardonner et de tourner une page douloureuse de son histoire. En plébiscitant la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, les Algériens ont accordé un « pardon sincère », comme l’a si bien souligné Me Farouk Ksentini, invité, jeudi, du forum d’El Moudjahid. Pour cet homme de loi, la réconciliation algéro- algérienne qui a été menée de main de maître, a atteint les objectifs tracés dans un délai très court. Cependant d’aucuns attendent que d’autres dispositions viennent en complémentarité pour pouvoir résoudre les dossiers en suspens. Car l’objectif de ce projet porteur de paix et de stabilité est de ne laisser personne au bord de la route. Maître Ksentini, qui a refusé qu’on lui prête des propos qui ne sont pas les siens, estime que l’amnistie générale relève des prérogatives du Président de la République seul habilité à prendre une telle décision éminemment politique. Farouk Ksentini a tenu à rappeler les craintes et les appréhensions légitimes des uns et des autres. Des voix, a-t-il dit, se sont élevées ici et là et ont émis des réserves sur l’initiative du Président de la République. Ils avaient peur des règlements de compte qui suivront le retour des repentis dans leur quartier. Hormis un cas, il n’ y a jamais eu de vendetta ou acte de vengeance, a-t-il tenu à rappeler. Pour le défenseur des droits de l’homme, nombreux sont ceux qui font l’amalgame entre la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et Sant’Egidio. Maître Ksentini a remis les pendules à l’heure. Le premier projet a appelé les terroristes à se repentir ; en revanche le deuxième voulait la reddition de l’Etat. Et c’est là toute la différence.
Nora C.
Amnistie générale aux terroristes : La mise au point de M. Ouyahia
Le prompt et solennel démenti apporté hier lors de la conférence de presse à l’issue des travaux de la tripartite par le Premier ministre Ahmed Ouyahia à l’information faisant état de l’annonce d’une amnistie générale pour les terroristes, aura le mérite de dispenser le pays d’une polémique qui n’a pas sa place à l’heure actuelle. En effet, dès lors que l’Algérie est engagée sur de nombreux autres fronts, dont celui de mener à terme le chantier des réformes politiques globales que le Président de la République a annoncé dans son discours du 15 avril dernier, le gouvernement a ses priorités de l’heure. Partant le « faux, faux, sur toute la ligne », de M. Ouyahia apporté en réponse aux allégations de certains titres de la presse, prend toute sa signification. A savoir qu’il n’existe aucune volonté politique d’aller vers une amnistie générale pour les terroristes. Il est vrai aussi que de plus en plus de voix s’élèvent pour dire que la Charte pour paix et la réconciliation nationale est arrivée à son terme, et qu’il y a lieu, de ce fait, de prendre des mesures complémentaires en vue de traiter tous les dossiers qui restent en suspens ou pour trouver les solutions à d’autres questions n’ayant pas été réglées en vertu des dispositions contenues dans la charte actuelle ; soutenant au passage que la prise de ces nouvelles mesures ne pourra que promouvoir et consacrer la réconciliation nationale. Sauf qu’il ne s’agira point d’amnistie générale si l’on se fie au démenti du Premier ministre. Aux raisons politiques qui peuvent être évoquées pour expliquer le refus de cette option, il y en a d’autres qui relèvent du domaine du sécuritaire. En effet, si le dispositif antiterroriste n’a pas échoué, comme tient à le souligner M. Ahmed Ouyahia , « on ne peut, cependant, affirmer qu’il s’agit d’une réussite totale tant que le terrorisme n’a pas été définitivement éradiqué ». Une réalité qui fait que l’idée d’une amnistie générale pour les terroristes ne peut être que mal- venue.
Nadia Kerraz