La justice transitionnelle comme mécanisme de réconciliation

Une trentaine de commissions de vérité créées dans le monde

La justice transitionnelle comme mécanisme de réconciliation

par Mekioussa Chekir, Le Jeune Indépendant, 4 juillet 2005

La multiplication des conflits et autres crises internes dans nombre de pays a donné lieu à un nouveau concept dans le lexique des relations internationales : celui de la justice transitionnelle illustrée par les commissions de vérité, dont la première a vu le jour en 1974 alors que d’autres sont en cours de création, à l’instar de celle du Maroc.

Au moment où l’Algérie s’apprête à ouvrir officiellement la page d’une amnistie générale, le débat sur la nécessité d’une commission de vérité s’imposera fatalement au sein de la société, notamment parmi ceux qui n’entendent pas dissocier la réconciliation de la justice.

Qu’il s’agisse du passage de la guerre à la paix ou d’un régime autoritaire à la démocratie, le concept de la justice transitionnelle s’est imposé dans plusieurs pays comme une étape nécessaire pour passer «d’un passé divisé à un avenir partagé», selon la définition du Centre international pour la justice transitionnelle (CIJT).

Basé à New York, ce centre est une organisation non gouvernementale (ONG) qui se propose d’apporter une aide technique aux pays en transition. L’Algérie étant concernée par ce processus, le CIJT a organisé, du 28 au 30 juin dernier, un voyage d’étude au Maroc au profit d’une délégation algérienne composée de représentants d’associations de victimes du terrorisme, de ligues de défense des droits de l’homme et de médias.

Co-organisé par le bureau d’Alger de l’ONG américaine Freedom House et l’Institut arabe des droits de l’homme, cet atelier avait pour objectif d’expliquer le concept de la justice transitionnelle à travers son mécanisme de mise en œuvre qu’est, le plus souvent, une commission dont la dénomination comporte, selon les cas, les notions de vérité, de réconciliation, d’équité ou de justice.

L’atelier a été animé par le canadien Mark Freeman, l’un des rares spécialistes de la question pour avoir étudié et analysé l’ensemble des expériences mises sur pied à travers le monde. Au moins 25 commissions de vérité ont été créées à partir de 1974, la plupart en Amérique latine (celles de l’Afrique du Sud et du Guatemala sont les plus illustres), alors que d’autres sont en cours de création ou récemment installées, vers la mi-2003, au Panama, en République fédérale de Yougoslavie, au Monténégro, au Nigeria, au Timor oriental, en Sierra Léone, au Ghana et au Pérou.

Présentée comme l’instrument le plus populaire pour rechercher la vérité, la commission ad hoc permet aux sociétés concernées de faire face aux souffrances et d’affronter les pages les plus sombres d’un passé douloureux et particulièrement violent.

«Rendre compte de l’histoire par la divulgation de la vérité est l’une des étapes les plus importantes de réconciliation», estime l’animateur de l’atelier. Avec cette précision que le concept de réconciliation peut revêtir plusieurs connotations comme l’a démontré une étude réalisée par le Centre pour l’étude de la violence et de la réconciliation de Johannesburg sur la commission «Vérité et Réconciliation» en Afrique du Sud qui a sondé les avis de ses habitants.

Ce qu’il y a lieu de retenir de ce cas, c’est qu’il a été le seul à proposer une amnistie générale, entre autres options, mais qui n’a été retenue que sous la condition du jugement pour éviter l’impunité. «Dans le contexte du travail d’une commission de vérité, la distinction la plus importante à faire est celle qui sépare la réconciliation individuelle de la réconciliation nationale ou politique, la première étant plus complexe et difficile à atteindre par le biais d’une commission ad hoc.

Le pardon, la cicatrisation et la réconciliation des processus profondément personnels et les besoins, ainsi que les réactions de chacun vis-à-vis de la pacification et de la divulgation de la vérité peuvent être différents», enseigne Mark Freeman.

D’une durée temporelle, ces commissions opèrent généralement pendant un à deux ans et achèvent leur travail par un rapport final contenant des conclusions et des recommandations. L’intérêt étant d’éviter de les rendre lassantes aux yeux de l’opinion publique et leur finalité est, outre d’offrir aux victimes une tribune publique pour témoigner, d’empêcher que ne se répètent les erreurs du passé.

Les témoignages recueillis permettent surtout d’écrire une page sombre de l’histoire du pays concerné et d’en informer les futures générations. C’est également un mécanisme qui recommande la réparation pour les victimes (morale ou financière), les réformes juridiques et institutionnelles nécessaires mais ne peut être un organe judiciaire à même de juger les auteurs des violations des droits de l’homme.

Officiellement autorisées ou sanctionnées par l’Etat, ces commissions peuvent l’être également par l’opposition armée (le vainqueur) ou par un accord de paix. Certaines ont eu le pouvoir de citer publiquement les noms des auteurs de violations des droits de l’homme, à l’image de celles du Salvador, du Tchad et de l’Afrique du Sud.

D’autres ont trouvé des moyens indirects pour ce faire ou l’ont fait par le biais de fuites – intentionnelles ou pas – de la presse. La citation des noms des responsables a toujours constitué le point le plus controversé des différentes commissions alors que les auditions publiques ont été le point le plus fort de ces expériences.

Celles organisées en Afrique du Sud restent parmi les plus marquantes en ce sens qu’elles ont mis à nu non seulement la gravité des violations commises sous le régime de l’apartheid mais également leurs commanditaires. Il y a lieu de souligner ici les cas particuliers de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda, dont l’ampleur des génocides qui y ont été perpétrés a nécessité un traitement spécifique dans le cadre du Tribunal pénal international (TPI).

L’étude faite par le CIJT a abouti à deux conclusions de taille : la première, c’est qu’aucune expérience ne ressemble à une autre et chaque commission se doit de tenir compte des spécificités du contexte politique, social, économique, sécuritaire du pays concerné en s’inspirant toutefois du travail des autres commissions ayant déjà opéré ailleurs.

La seconde, c’est que la commission de vérité ne peut en aucun cas être la solution idéale et parfaite aux cas de transition de par le monde. Mais c’est le meilleur mécanisme qui, à ce jour, a été trouvé, quoi qu’on puisse dire les lacunes et les imperfections des différentes commissions.

M. C.