Réconciliation, discours guerriers

Réconciliation, discours guerriers

par Abdou B., Le Quotidien d’Oran, 1 avril 2010

«Un sot sera plus souvent méchant qu’un homme d’esprit.» Diderot

Les petits soucis et les grands arrangements partagés par les appareils partisans qui gouvernent et l’administration qui a la mainmise sur tous les mécanismes qui bloquent la vie politique et démocratique ne laissent indemne aucun secteur et aucun domaine. Comme il n’y a aucune différence programmatique entre les partis en question, l’espace public et même privé, le rôle des citoyens, l’éventuelle émergence d’élites féminines et jeunes, les pratiques institutionnalisées d’un grand parti unique aux composantes solidaires cadenassent les initiatives, la réflexion et le pays avec. Dans un immobilisme très inquiétant pour l’avenir, le champ médiatique algérien ne connaît aucune avancée notable depuis l’apparition de la presse privée au forceps dans l’élan des réformes initiées au début des années 90 qui ont ouvert des brèches vite refermées et laissé pointer des espérances très vite balayées. Les médias algériens, au sens large du terme, ne connaissent qu’une caractéristique parfaitement incompréhensible qui foule aux poids des textes toujours en vigueur, les lois élémentaires du marché avec une inflation de quotidiens inconnue dans les grands pays industrialisés qui ont inventé et développé les médias au stade actuel. Cette caractéristique, elle aussi «spécifique», concerne la presse écrite dans laquelle fleurissent des titres qui ne se vendent pas, d’autres tenus sous une perfusion de publicités étatiques massives au détriment de mécanismes basiques pour ce qui est d’une saine gestion des deniers publics, conforme à l’offre et la demande, faciles à identifier après de simples enquêtes et sondages au-dessus de tout soupçon. On importe du papier, on entasse des ardoises fort salées auprès des imprimeries, on gruge le fisc, la sécurité sociale faute de cotisations et de mutuelles, on habite des «maisons de la presse» subventionnées directement ou indirectement, on laisse se développer une faune hétéroclite de diffuseurs sans même avoir un listing à jour et conforme des kiosques qui ferment tous les jours fériés très nombreux. Les termes d’opacité et d’anarchie structurelles ne sont pas inadaptés pour décrire la presse écrite dans laquelle survivent des titres étatiques sans lecteurs, sans audace, confinés à des statuts peu honorables de simples reproducteurs des discours officiels alors qu’ils abritent des talents, des rentes de situation, une manne publicitaire publique administrée au petit bonheur la chance.

Dans une totale cacophonie maîtrisée par les seuls kiosques qui, faute de place, savent ce qu’il faut présenter en fonction des ventes (la demande), des professionnels essayent sans cesse de structurer le métier, des instances pour l’éthique avec un parfait immobilisme des pouvoirs publics qui annoncent régulièrement des projets de loi pour la publicité, des méthodes pour l’attribution de la carte de presse alors que le bâton de «l’ordre de mission» est brandi à chaque fois que nécessaire, à l’heure de l’internet in vivo. «L’ordre de mission» aux accents policiers sévit alors que les blogs, les sites, la parabole informent, donnent de la culture, des sciences et disent l’Algérie de toutes les couleurs, de tous les sons, dans tous ses états.

Devant des citoyens, les plus accros au monde de la parabole, aux sites interdits, aux émeutes et à la harga, la gouvernance dans les secteurs fait «la guerre» en empruntant des discours, des accents et des décisions guerriers. La leçon de la décennie rouge ne semble pas avoir été tirée. La guerre pourtant récente, faite à l’Algérie et à toutes les couches de la population, par des Algériens à part entière est encore vivace dans la mémoire collective.

Les stigmates, les veuves, les orphelins, les handicapés, les souvenirs des disparus, des tortures, travaillent encore durablement la société. «Je leur ferai la guerre» assène un ministre de la République en parlant des praticiens de la santé. Or un ministre, dans tous les pays du monde, se remplace le temps d’une décision, mais pas un spécialiste qui a dans sa tête bac + 10 ou 12. Même si un parlementaire et un ministre touchent 4 ou 6 fois le salaire d’une femme et d’un homme qui sauvent des vies et ouvrent un corps humain pour en extraire une tumeur ou un organe pour le remettre en état de fonctionner. On fait la guerre aux blouses blanches parce qu’ils risquent de contaminer d’autres catégories professionnelles et d’élargir les droits à l’expression, à la critique et aux manifestations pacifiques. On fait la même guerre aux enseignants, donc à toutes les couches moyennes qui sont le squelette essentiel pour une économie, une démocratie, qui ont des ambitions nationales tournées vers l’avenir, la croissance et le bien-être de tous.

La réconciliation nationale est un principe civilisé, politique et social de la première importance pour et dans toutes les sociétés humaines qui ont connu ou qui traversent de graves turbulences désastreuses. Elle est un processus qui englobe le sécuritaire, le politique, le culturel, l’économie, l’égalité des droits et des chances, l’égalité des sexes, des croyances, des régions Si un ou plusieurs secteurs, catégories ou groupes politiques se voient imposer «la guerre», cette réconciliation risque de prendre l’eau pour être noyée.

Des syndicats, plus ou moins représentatifs, sont marginalisés. Des formations politiques plus ou moins représentatives mais néanmoins reconnues par la loi sont empêchées d’accès aux médias lourds, à l’espace public et aux citoyens. Des associations de défense des droits de l’homme tiennent des assises semi-clandestines sous «la protection» de diplomates et d’ONG étrangers, quelle que soit leur représentativité. Ces composantes algériennes ne sont ni des organisations terroristes ni clandestines et encore moins des sectes aux différents habillages religieux qui ont pignon sur rue. Elles sont de fait exclues de la grande cause de la réconciliation nationale.

Pour quoi faire et pour quels intérêts stratégiques à même de hisser le pays au rang de grande démocratie dont la parole est portée à l’extérieur par toutes les composantes au sein de ladite communauté internationale ? Si un seul opposant n’est pas respecté dans son pays, n’est pas protégé par la loi dans le respect de celle-ci, le pays en question n’est pas respecté par les dirigeants des démocraties où le syndicaliste et l’opposition ont les mêmes droits et devoirs que ceux qui gouvernent.

Il y a des guerres justes qui sont menées contre la drogue, le bidonville, les retards dans les technologies de la communication et leur accès au plus grand nombre, la corruption qui atteint des sommes et des sommets invraisemblables, les retards dangereux dans l’ouverture médiatique et la production culturelle, cinématographique et audiovisuelle, la faible qualité de la recherche et des soins, etc.

Les chantiers retardataires ou sous-développés sont nombreux. Tous nécessitent non pas la guerre entre Algériens mais des compromis, des négociations et des consensus durables et utiles au pays. Aucun parti d’opposition ne détient à lui seul la science infuse et génétiquement transmise.

Aucune majorité gouvernementale n’a, à elle seule, les compétences, l’intégrité et les savoirs. Nulle part au monde. Lorsqu’une voix crédible algérienne ne voit imposée «la guerre», c’est le pays qui est privé d’une opinion, d’une éventuelle bonne idée, d’un programme sérieux à soumettre au débat, donc de la réconciliation.

De nombreuses élites, les citoyens qui sont tous branchés ailleurs suivent le fonctionnement démocratique de grands pays. Obama a galéré avec son parti pour chercher une à une les voix pour sa réforme sur la santé.

Il est entré dans l’histoire de son pays. Beaucoup d’Algériens ont suivi, ne serait-ce que pour l’intérêt porté à l’émigration, au débat français sur l’identité, les débats avant et après les régionales remportées par la gauche et ses alliés. Ils ont vu, en direct, des femmes et des hommes politiques parler politique et en faire, pour tout le spectre de leur société.

Qu’ont-ils de plus, ces millions de citoyens informés non-stop et libres de dire ? Leur classe politique, toutes tendances confondues, enrichit leur démocratie pour que l’urne tranche en dernière instance sous la protection de la loi. Sans que personne ne déclare la guerre aux autres.