Omar Benderra: «Une énième manipulation du régime»

INTERVIEW

«Une énième manipulation du régime»

Omar Benderra, économiste de haut niveau, vit en France depuis treize ans. Signataire de l’appel <http://appelalgerie.africa-web.org/article.php3?id_article=1> des syndicats algériens autonomes pour « les libertés publiques et syndicales », il explique pourquoi il ne participera pas à la consultation référendaire de jeudi.

Par Judith RUEFF, Libération, 29 septembre 2005

*«Une insulte à ceux qui souffrent»* « Je ne vais pas voter, je ne suis absolument pas d’accord avec cette procédure qui consiste à demander pardon sans justice ni vérité. C’est une aberration, une insulte envers ceux qui souffrent, qui demandent légitimement des informations sur leurs proches disparus ou tués. Seuls ceux qui ont perdu des proches pourraient éventuellement pardonner. Pourquoi cautionner une énième manipulation du régime pour amnistier les criminels de tous bords, qu’ils soient sous la responsabilité de l’Etat ou terroristes, manipulés ou non ?

*«Aucun débat…») « Je ne voterai ni oui ni non, c’est ridicule : à part la brève période d’ouverture entre 1989 et 1991, toutes les consultations électorales en Algérie n’ont été que tromperie de l’opinion et fraude générale. On sait déjà que le oui sera écrasant puisqu’il en a été décidé ainsi. Regardez la télé algérienne, c’est hilarant! Même Kim il Sung ne fait pas autant dans la propagande de glorification… Il n’y a aucun débat sur la charte. Ce qu’on propose aux Algériens, c’est un contrat d’adhésion, comme on en passe avec son opérateur téléphonique : on ne négocie pas les clauses, vous signez sans discuter et vous rentrez chez vous.*

**«L’inanité politique des islamistes»* « De soi-disant émirs font campagne aux côtés des responsables de l’Etat en faveur de la charte : c’est révélateur des mœurs du régime. Il est interdit de revendiquer des droits sans violence, d’exprimer une opinion non autorisée, mais si vous tuez des gens, on vous intègre dans le système de distribution de la rente. On ne peut que constater la convergence de tous les violents, qui partagent une vision du monde patriarcale et autoritaire. Le seul point positif, c’est que cela démontre, s’il en était besoin, l’inanité politique des dirigeants du mouvement islamiste.*

**«Les intérêts à court terme de la France»* « Le référendum fait partie d’une opération politique graduelle : elle a commencé il y a quatre ans avec la “concorde civile” ; la deuxième étape, c’est cette charte incongrue de “paix et réconciliation”. Derrière, il y a les marchandages en cours entre Bouteflika et les militaires. Je pense que Bouteflika négocie un troisième mandat contre une amnistie générale. Il a vendu aux généraux l’idée qu’une stratégie lente et progressive était plus acceptable pour les partenaires extérieurs de l’Algérie. La France joue ses intérêts économiques et sécuritaires à court terme, et puis il y a une grande connivence entre les élites politiques françaises et algériennes. Quant à l’opinion intérieure, on s’en fout : on a la matraque. »