10e anniversaire de la charte de l’impunité et de la supercherie nationale

10e anniversaire de la charte de l’impunité et de la supercherie nationale

« Les mécanismes de l’impunité installent au cœur de la République la négation du droit à la Justice »
(Esquivel Adolfo Perez, Prix Nobel de la Paix).

Salah-Eddine SIDHOUM, Le Quotidien d’Algérie, 29 septembre 2015

Il y a 10 ans, le pouvoir illégitime d’Alger imposait au Peuple Algérien meurtri par une sale guerre, la « charte de l’impunité et de la supercherie nationale », à travers un référendum-maison et avec un bourrage des urnes à la Naegelen.

Cette charte, d’emblée verrouillée, consacrait officiellement la politique d’éradication et d’exclusion. Elle n’était que le couronnement de négociations secrètes (entamées, faut-il le rappeler, fin 94) entre la police politique et l’un de ses éléments retournés, autoproclamé Emir de l’armée islamique du Salut. Une couverture politique et juridique fut donnée par le nouveau président du pouvoir apparent, désigné en 1999. Et pour rappel deux clauses importantes furent imposées par l’oligarchie au nouveau locataire d’El Mouradia : la couverture politique de l’accord police politique-AIS et l’impunité des criminels contre l’Humanité des deux bords.

Cette fausse réconciliation entre « fantômes » puisque les protagonistes du conflit ne sont pas désignés, était vouée d’emblée à l’échec car les véritables causes politiques de la crise n’ont jamais été abordées et la Nation jamais consultée. Une supercherie où le régime, à l’origine de la première violence, est juge et partie. Le pouvoir semble oublier, encore une fois, que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets et que toute solution qui n’emprunte pas le chemin du dialogue et de la concertation est vaine.

Éludant les causes profondes de la crise et de la tragédie qui en a découlé, l’oligarchie, sous couvert de son pouvoir apparent, avait décidé de régler de manière partiale et partielle les conséquences de ce drame national. Une véritable offense à la mémoire des victimes et une insane tentative de corruption de leurs familles.

En 2003, soit deux années avant cette supercherie, nous avons affirmé haut et fort que la Moussalaha (réconciliation) devait passer obligatoirement par une vaste moussaraha (dialogue franc) qui permettrait de cerner sans complaisance et en toute sérénité les causes réelles et profondes de la crise politique qui remontent en réalité à l’indépendance confisquée. Car nous étions et restons convaincus que la véritable réconciliation, celle du cœur et de la raison, à laquelle aspire l’écrasante majorité du peuple, ne peut être que l’aboutissement de cette moussaraha entre les principales volontés politiques et intellectuelles authentiquement représentatives de la société, afin d’aboutir à une solution politique. Car il ne s’agit pas de traiter seulement les conséquences de cette sale guerre, qui n’est qu’un maillon sanglant de la grave crise politique qui perdure depuis 1962, mais de traiter la cause principale qu’est l’illégitimité du pouvoir. C’est le volet politique du processus de la véritable réconciliation.

Le second volet est celui de la Vérité et de la Justice. Et ce volet ne peut se réaliser que dans un Etat de Droit, pas avec un régime illégitime, juge et partie. Il est impératif que les Algériens sachent ce qui s’est réellement passé durant ces années de sang et de larmes, période durant laquelle ont été commises les pires atrocités contre un peuple sans défense. Notre société meurtrie a besoin de cette nécessaire réconciliation, qui doit s’accompagner de pardon et de mansuétude. Mais elle ne peut se réaliser sans vérité et justice.

À l’instar des pays qui ont vécu des drames internes, il est nécessaire de mettre en place une commission nationale pour la vérité et la justice. Et soyons clairs sur ce point : vérité et justice ne signifient aucunement règlement de comptes ou vengeance. Et ce n’est qu’après cette indispensable phase de vérité et justice que pourra éventuellement intervenir l’amnistie par l’autorité politique légitime. Car « un assassin jugé et amnistié se comportera différemment d’un criminel innocenté. » pour reprendre notre compatriote Addi Lahouari.

La découverte de la vérité sur le drame national n’est pas seulement un droit pour les victimes et leurs familles, mais aussi un droit pour tous les Algériens afin d’en tirer les leçons et d’éviter d’autres tragédies à l’avenir et afin de mettre aussi un terme aux ardeurs criminelles des aventuriers de tous bords.

Car ce qui s’est passé comme horreurs durant plus d’une décennie, ce ne sont pas de simples faits banals à verser dans la rubrique des faits divers. La torture institutionnalisée, les exécutions sommaires, les disparitions, les viols et les horribles massacres sont des crimes contre l’humanité, imprescriptibles sur le plan du droit international et que nul décret ou référendum ne peut effacer.

Loin de tirer les leçons des Etats qui ont connu les mêmes conflits (en Afrique et en Amérique latine), le pouvoir, fidèle à ses manœuvres diaboliques et à ses intrigues, a préféré la fuite en avant. Nos incultes oligarques feignent ignorer les tristes expériences de Pinochet et de Videla qui ont essayé de se protéger et de protéger leurs criminels contre l’Humanité en promulguant des lois d’impunité (loi d’autoamnistie chilienne et lois dites d’« obéissance due » et « point final » pour l’Argentine) et le sort réservé à ces lois après l’instauration de régimes démocratiques.

Dix années après la promulgation de la charte de l’impunité et 23 ans après le début du drame national, des milliers de familles continuent à s’interroger sur le sort de leurs enfants disparus. Il y a 18 ans d’odieux massacres ont eu lieu dans diverses régions d’Algérie (Bentalha, Erraïs, Ramka, Sidi Youcef….). A ce jour pas une seule enquête sérieuse n’a été réalisée pour confondre les auteurs de ces abominations.

Il ne faudrait pas se faire d’illusions avec ce régime illégitime pour que la vérité éclate aujourd’hui et que la véritable réconciliation s’instaure. Mais nous devons garder espoir et rester optimistes. A toute chose malheur est bon. Cette tragédie a permis, lentement mais sûrement, une certaine décantation et une prise de conscience.

Le moment est venu d’œuvrer au rassemblement de toutes les volontés sincères et engagées, sans exclusion aucune, disloquées durant des décennies par de faux clivages idéologiques ou partisans, savamment entretenus par les officines de la fitna. Un rassemblement en vue d’un véritable changement du système politique et de l’élaboration d’une alternative sérieuse et réaliste. Une alternative pour une Algérie de toutes et de tous, sans exclusion ni exclusive. Une Algérie de justice, de liberté et de démocratie, profondément ancrée dans ses valeurs civilisationnelles et grandement ouverte sur l’Universel.

Une fois que le peuple ait recouvré sa souveraineté et les jalons de l’Etat de Droit posés, la charte de l’impunité deviendra inéluctablement caduque et la justice indépendante tranchera, loin des passions et de l’esprit de vengeance. L’Algérie réconciliée avec elle-même retrouvera alors la paix des cœurs.
Et ce jour n’est pas loin In Cha Allah.

Salah-Eddine SIDHOUM

Congrès du Changement Démocratique.

Alger le 29 septembre 2015.