Tension extrême au nord du Mali

Tension extrême au nord du Mali

Les rebelles touareg attaquent Tinzaouatène

El Watan, 15 septembre 2007

L’armée malienne a repoussé hier une attaque de rebelles touareg sur Tinzaouatène et contrôle toujours cette localité frontalière de l’Algérie, située à quelque 2000 km au nord-est de Bamako, a-t-on indiqué de source militaire.

« Nos troupes tiennent toujours leur position dans la localité de Tinzaouatène. La technique du harcèlement que voulaient utiliser “les bandits armés” a échoué. On ne les voit plus », a déclaré à l’AFP un responsable du commandement militaire de la région de Kidal ayant requis l’anonymat. Les échanges de tirs « ont cessé », selon lui. Un habitant de Tinzaouatène joint par téléphone a confirmé que l’armée contrôlait la localité. « Le dernier coup de feu a été entendu vers 13h00 (GMT) », selon lui. L’attaque avait été lancée hier matin faisant ainsi voler en éclats une fragile trêve conclue il y a deux semaines et provoquant une nouvelle escalade dans la crise. « Les bandits armés ont attaqué ce (vendredi) matin nos troupes stationnées dans la localité de Tinzaouatène. Nos troupes sont en train de riposter », a déclaré à l’AFP un responsable du gouvernorat de Kidal, chef-lieu de la région. « C’est Bahanga qui a attaqué le premier. Nous ripostons », a précisé la même source. Des coups de feu étaient entendus à la mi-journée dans la localité, selon des témoins. Les hommes d’Ibrahim Ag Bahanga, chef des rebelles touareg de cette zone, détiennent depuis fin août une trentaine de personnes, des civils et des militaires, et ont tiré mercredi sur un avion militaire américain venu ravitailler l’armée régulière isolée à Tinzaouatène. Ils observaient depuis le 31 août une trêve, s’engageant à ne plus attaquer l’armée régulière et ne plus procéder à des enlèvements. Après avoir miné la route reliant Tinzaouatène au sud du pays, rendant ainsi difficile l’acheminement de renforts, Bahanga tenterait maintenant, selon les observateurs de prendre le contrôle de toute la région de Tinzaouatène, zone d’intenses trafics entre le Maghreb et l’Afrique sub-saharienne. Au vu de l’urgence de la situation, des renforts de troupes sont toutefois partis hier de Kidal, chef-lieu de région, vers Tinzaouatène, selon des sources militaires. Des témoins affirment avoir vu partir une quinzaine de véhicules de militaires. Mercredi, ces mêmes rebelles touareg maliens avaient tiré sur un avion militaire américain qui larguait des « vivres », selon les Américains, à des troupes gouvernementales isolées à Tinzaouatène. L’appareil de type C-130 avait été touché par des armes légères, sans faire de blessés. Il se trouvait au Mali dans le cadre d’un exercice, Flintlock 2007 (22 août-7 septembre), organisé dans le cadre d’un programme dit de « partenariat transsaharien de lutte contre le terrorisme » (TSCTP). Le 10 septembre, les ambassadeurs à Bamako de l’Union européenne (UE), de la Suisse, des Etats-Unis et du Canada avaient exprimé leur « vive préoccupation » après les attaques suivies d’enlèvements perpétrées fin août dans le nord du Mali. Bamako avait, la semaine dernière, officiellement sollicité Alger pour une médiation.


Pourquoi les troubles ont repris ?

Depuis l’attaque menée par Ibrahim Bahanga contre un poste militaire à Tinzaouatène, opération par laquelle l’ancien cadre de l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement entendait marquer sa rupture d’avec le plan de paix passé avec le gouvernement ATT, la rébellion touareg dans la région du Sahel n’a eu de cesse de multiplier les assauts tant au Mali qu’au Niger.

La question qui coule de source est évidemment de savoir pourquoi un tel retour à l’action militaire, et ce, au moment où les « sages » de l’ex-rébellion, Iyad Ag Ghali en tête, n’ont eu de cesse de multiplier de leur côté un appel à la raison en martelant que l’action armée ne règle rien et que le cap de la paix devrait être une option irréversible. Dans une interview récente accordée à un organe malien, Bahanga justifiait en ces termes le mobile de son soulèvement : « Nous avons repris les armes car au lendemain des accords d’Alger, l’application du document n’était pas normale. Cela s’est constaté par le renforcement du dispositif militaire dans la zone, la création des postes de sécurité et les fouilles dans les maisons. » (L’Indépendant du 30 août 2007). Il reprend : « Il y a eu des accords de paix qui n’ont jamais été respectés par les autorités. Il ne faut pas que chaque fois que des gens revendiquent leurs droits, on leur colle des étiquettes négatives. Nous sommes là pour la défense de nos droits. » Et de renchérir : « C’est un avertissement au gouvernement malien. Les problèmes que nous avons au Mali sont les mêmes que ceux que rencontrent les rebelles nigériens. Militairement, nous avons une alliance qui est là. Politiquement, ça viendra. » Et c’est venu, en effet, avec la création tout dernièrement de l’Alliance touareg Niger-Mali (ATNM). Son porte-parole (et néanmoins beau-père de Ibrahim Bahanga) Hama Ag Sidahmed, déclarait il y a quelques jours à notre journal pour expliquer ce regain d’agitation : « Depuis un an, l’accord d’Alger souffre d’un manque d’application et du détournement de ses articles prioritaires. L’Etat du Mali le réaménage sans cesse à sa guise et sans concertation avec les Touareg à l’origine des événements du 23 mai 2006. » (El Watan du 9 septembre 2007). Historiquement, la rébellion touareg au Mali a connu trois importants soulèvements : celui de 1963, celui de 1990 avec Iyad Ag Ghali, et celui de mai 2006 sous l’impulsion de Hassan Fagaga et Ibrahim Bahanga. L’ensemble de ces soulèvements se justifiait par un déni de droits au peuple touareg du Mali, notamment sous les différentes dictatures qui se sont succédées à Bamako, de Modibo Keita à Moussa Traoré. Depuis l’arrivée d’ATT au pouvoir en 1991, la politique gouvernementale à l’endroit de la population du nord a connu un net changement, faut-il le reconnaître, matérialisé par le Pacte national de 1992, un document censé prendre en charge toutes les revendications des communautés touareg de Kidal, Gao et Tombouctou. Seulement, les chefs rebelles reprochent à ce pacte sa faible mise en application, ce qui a conduit au soulèvement de 2006. La dernière vague d’attaques est donc à interpréter comme une riposte aux lenteurs relevées, selon les rebelles, dans l’application de l’accord d’Alger. Une source algérienne proche du dossier avait prévenu que si l’Algérie ne s’impliquait pas en profondeur dans ce conflit, en injectant des fonds conséquents pour la prise en charge des problèmes socio-économiques de la région, les rangs de la rébellion risquent de grossir, surtout à tenir compte d’intérêts occultes dans la région. La nouvelle désertion de Hassan Fagaga n’en est-elle pas un signe patent ?


Mustapha Benfodil

Qui est Ibrahim Bahanga ?

On ne lui connaît ni âge, ni visage, et depuis qu’il s’est fondu dans la nature après avoir lancé une attaque à Tinzaouatène le 11 mai dernier, il ne fait parler de lui que par frappes interposées. Sur une photo improbable, on le voit, le teint mat, la tête enroulée dans un chèche beige, portant des lunettes de soleil, une barbe couvrant son menton. Ibrahim Ag Bahanga est issu de la région de Kidal. Il est précisément originaire de Tin-Essako, de la tribu dominante des Ifoghas. Il n’était qu’un simple berger, assure-t-on, avant de rejoindre les rangs de la rébellion. Des sources soulignent qu’entre temps, il avait intégré l’armée malienne où il se hissa au grade de lieutenant. L’homme s’est distingué une première fois en décembre 2001 en tenant en otage une dizaine de militaires. Sa revendication ? Eriger son village en commune, exigence qui se verra vite satisfaite suite à la bonne médiation de Abdelkrim Ghrib, notre ambassadeur à Bamako. Le nom de Bahanga surgit de nouveau lors de l’affaire des 32 otages occidentaux enlevés par le GSPC dans le désert algérien en février 2003 et qui avaient transité par le nord du Mali. Bahanga avait fait partie alors d’un comité de négociation mis en place par le président malien Amadou Toumani Touré. Le mutin incorrigible fait à nouveau parler de lui en prenant part à la grande attaque du 23 mai 2006 contre deux garnisons à Kidal et Ménaka aux côtés du lieutenant-colonel Hassan Fagaga, et qui seront rejoints par l’ex-rebelle historique Iyad Ag Ghali. Ensemble, ils fondent l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement (ADC). A ce titre, Bahanga adhère pleinement à l’accord d’Alger passé entre le gouvernement malien et la rébellion touareg le 4 juillet 2006. L’ancien insurgé connaît alors une ascension fulgurante. Il devient membre du Haut conseil aux collectivités au même titre que son mentor Iyad. Le 11 mai 2007, l’homme défraie une nouvelle fois la chronique en attaquant avec des rebelles nigériens un poste de sécurité à Tinzaouatène, attaque qui se soldera par une dizaine de morts dont huit rebelles. Trois mois plus tard, le 26 août, il récidive en tendant une embuscade à une troupe de l’armée régulière dans la région de Tedjeret. Il enlève une soixantaine de militaires dont une trentaine sont toujours retenues en otages. Qu’est-ce qui fait courir Bahanga à la fin ? Pour les uns, ce n’est qu’un esbroufe en mal de célébrité, pour d’autres un brigand, un trafiquant de drogue et de cigarettes. Mais pour beaucoup, Bahanga est un « justicier » qui fait trembler tous les gouvernements de la sous-région.

Mustapha Benfodil