L’Afrique vit une situation explosive…

Réunion des experts du renseignement africains

L’Afrique vit une situation explosive…

El Watan, 12 décembre 2013

C’est un constat des plus alarmants et une situation des plus explosives que le directeur du Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme (Caert), Francisco Madeira, a dressé hier à Alger. Le commissaire pour la paix et la sécurité de l’Union africaine, Smaïl Chergui, a annoncé le lancement d’une force d’intervention africaine pour aider les pays faisant face à un attentat terroriste d’envergure.

En ouvrant les travaux de la 7e réunion annuelle des experts du renseignement africains à Alger, le directeur du Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme (Caert), Francisco Madeira, a d’abord rendu hommage à Nelson Mandela, à travers une minute de silence à sa mémoire, puis mis l’accent sur «l’importance de l’échange d’expériences et d’informations entre les participants à cette rencontre pour mieux contrer les tentatives multiples des groupes terroristes». M. Madeira n’y va pas avec le dos de la cuillère pour décrire la situation en Afrique. «Le trafic de drogue est de plus en plus dangereux et menace chaque jour nos pays. Notre continent n’est plus une région de transit, mais un marché de drogue dure.

Dans la région sahélo-saharienne, après l’opération Serval au nord du Mali, nous constatons une reconstitution, un changement de mode opératoire des groupes terroristes sur le terrain. Ils ont mué en petits groupes extrêmement mobiles, éparpillés dans les campagnes et les petits villages, se déplacent partout, infiltrent les camps de réfugiés, reconstituent les réseaux de logistiques, pratiquent le trafic de drogue, l’extorsion de fonds, pour consolider leur cartel de ressource financière. Serval n’a pas neutralisé ces groupes. Ils sont encore vivants au Sahel parce qu’ils n’ont pas perdu la guerre», révèle l’orateur. Selon lui, «l’après-printemps arabes» a laissé place à «des groupes extrémistes terriblement dangereux en Libye, au Mali et en Tunisie. L’armée tunisienne mène un combat acharné contre des groupes violents, dont certains membres ont fait partie de ceux qui se trouvent au nord du Mali. Nous assistons à la résurrection des groupes djihadistes violents en Tunisie et en Libye.

En Afrique de l’Est, les terroristes ont créé des cellules dans plusieurs régions, certains ont construit des passerelles vers l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. Ils sont coupables de toutes les attaques en RDC et en Ouganda. Toutes les formes d’extrémisme violent naissent de la marginalisation sociale, des faiblesses des systèmes d’éducation, de l’instabilité politique, des frustrations, des mauvaises gouvernances, facteurs qui constituent un cocktail hautement explosif. Au Mali, le crime organisé et le terrorisme se sont établis dans des zones hors la loi, d’où ils planifient les attentats. Ils ont maîtrisé les techniques de réseautage, en tissant des liens étroits avec les communautés locales et d’autres groupes locaux, en offrant des services à leurs familles, en donnant du travail à leurs enfants, ou en épousant leurs filles». M. Madeira a conclu : «La menace terroriste est réelle. Elle continue de nous prendre par surprise. Nous sommes de mieux en mieux organisés. L’Union africaine, l’Union européenne et les Nations unies ont développé des stratégies pour l’Afrique et souligné le fait que la sécurité et le développement vont de pair. Il ne suffit pas d’envoyer des armes pour lutter contre le terrorisme. Il faut aider à lutter contre toutes les formes de sous-développement et trouver dans quel domaine il faut renforcer les capacités des pays et comprendre pourquoi les terroristes nous surprennent par leurs attaques.»

Allant dans le même sens, Issaac Mayo, secrétaire exécutif du Comité des services de renseignements et de sécurités africains (Cissa), évoque les mutations que connaît le terrorisme et parle de situation préoccupante en Afrique : «En dépit du fait que Serval a réussi au Mali, il n’en demeure pas moins que les rebelles touareg constituent un danger pour la stabilité du Mali. En RDC, les rebelles M23 ont accepté la paix mais la menace n’est pas éliminée. D’autres groupes risquent d’entraîner l’est de la RDC. En Somalie, les shebab ont perdu une grande partie de leur territoire, mais leur présence est notée jusqu’au Kenya, où ils ont commis des attentats. En Libye, c’est la pire des situations, alors qu’au Nigeria, les Boco Haram continuent de tuer. Au Soudan, les groupes armés causent des dommages et au Mozambique, ils menacent de reprendre le conflit réglé il y a 20. Ce sont là les grands défis auxquels fait face l’Afrique (…).»

Sur le même ton, Smaïl Chergui, commissaire pour la sécurité et la paix de l’Union africaine, met l’accent sur les défis «imposés durant ces deux dernières années», et rend hommage «aux hommes et aux femmes qui se sont sacrifiés». Il cite les cas du Mali et de la Somalie, en disant : «Le succès militaire obtenu dans ces deux pays doit être doublé d’une lutte multidimensionnelle, touchant aux questions sociales, culturelles, de droit de l’homme, etc.» Et parce que «le terrorisme ne connaît pas de frontière, il faut adapter les compétences afin qu’elles soient à la hauteur de la menace, qui est en pleine mutation à travers une interconnexion avec les narcotrafiquants, pour une plus grande maximalisation des profits». Il termine son intervention en annonçant le lancement incessamment d’une force africaine qui a pour mission d’intervenir rapidement pour aider un pays qui fait l’objet d’une grande attaque terroriste. Conseiller auprès de la Présidence, chargé de la coopération antiterroriste, Abderrazak Bara, souligne l’importance «des échange d’expériences, de nouvelles méthodes de lutte», en insistant sur «les leçons à tirer» des cas du Mali et de la Somalie.

Selon lui, le terrorisme «se nourrit des conflits et des turbulences internes qui n’ont pas été traités à temps». Il conclut en mettant en avant l’expérience de l’Algérie dans sa lutte contre le terrorisme. A signaler que les travaux de cette rencontre de trois jours se tiendront à huis clos et se termineront avec des recommandations internes.
Salima Tlemçani


Smaïl chergui. Commissaire à la paix et la sécurité de l’Union africaine

«Serval a déstructuré les groupes terroristes, mais n’a pas réduit leur menace»

El Watan, 12 décembre 2013

– Le directeur général du Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme (Caert) a parlé d’une situation explosive au nord du Mali, notamment après l’intervention Serval. Partagez-vous cet avis ?

C’est effectivement une situation explosive et préoccupante. L’intervention Serval a certes déstructuré les groupes qui agissaient au nord du Mali, mais elle n’a pas réduit ou anéanti leur menace, qui est encore là. Ces groupes se sont dispersés pour mieux se préparer à d’autres attaques terroristes. Il faut se préparer et avoir une approche régionale pour ce problème, parce que nous l’avons vérifié, ces groupes pourraient avoir d’autres prolongements avec les shebab en Afrique de l’Est et ont des liens avec Boco Haram au Nigeria. Il faut donc avoir une réaction robuste mais également coordonnée avec tous les acteurs de la région, avec le soutien des Nations unies de l’Union africaine et du Caert.

– Vous avez annoncé le lancement prochain d’une force d’intervention africaine en cas d’attaque terroriste contre un pays. Qu’en est-il au juste ?

Nous avions parlé de solutions africaines aux problèmes africains. Nous avions déjà une force africaine en attente, lancée en 2003, nous sommes en train d’évaluer l’opérationnalisation de cette force au niveau des cinq régions du continent ; ce sera en janvier.
Ce qui s’est passé au Mali a amené à réfléchir à avoir cette capacité de réaction immédiate à ce genre de crise. Nous avons bien avancé dans cette étude et, comme je l’ai annoncé, une des causes pouvant amener le lancement de cette capacité, une fois mise en place, serait une attaque ou une menace terroriste d’envergure, où un pays n’aurait pas de moyens de riposte. Ace moment-là, l’Afrique doit être solidaire avec lui.

– Est-ce pour éviter toute intervention étrangère comme cela a été le cas au Mali ou en Afrique centrale ?

Nous voulons que les Africains prennent en charge leurs propres problèmes, y compris ceux liés à la paix et la sécurité. Mais parallèlement, nous n’excluons pas ce partenariat avec de grands pays qui étaient à leurs côtés. Comme vous le voyez, nous allons déployer nouveaux contingents en Centrafrique, avec les Américains, et donc il ne faut pas voir tel ou tel pays en particulier mais voir la détermination de l’Afrique à se prendre en charge pour régler ses propres problèmes elle-même et, à chaque que fois que c’est possible, avoir le soutien du partenariat de nos amis.

Salima Tlemçani