La Mauritanie plongée dans l’incertitude
Absence prolongée du président Ould Abdel Aziz et rumeurs insistantes de coup d’état
La Mauritanie plongée dans l’incertitude
M. Ould Abdel Aziz n’est plus réapparu à la télévision depuis son départ pour la France, le 14 octobre l Il s’est contenté d’adresser
un discours écrit à la population l Pour beaucoup, ce discours lu à télévision par un présentateur «a la même valeur qu’un acte de décès».
Nouakchott (Mauritanie), De notre envoyé spécial, El Watan, 3 novembre 2012
La période de grâce dont avait jusque-là bénéficié le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, au lendemain de sa blessure «accidentelle» par balle, le 13 octobre dernier dans la localité de Tweila (40 km de Nouakchott), est arrivée à sa fin. Alors que les Mauritaniens sont quotidiennement assaillis de rumeurs insistantes évoquant tantôt l’imminence d’un coup d’Etat ou la mise sur la touche, par les militaires, du Premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, tantôt la dégradation de l’état de santé de M. Ould Abdel Aziz qui se trouve depuis le 14 octobre en France pour, officiellement, y suivre sa convalescence, de nombreuses voix dans l’opposition sont montées, ces derniers jours, au créneau pour exiger des autorités «que soit dite la vérité aux Mauritaniens» concernant la réalité de la forme physique de leur président. On le devine : l’opposition soupçonne Mohamed Abdel Aziz et son entourage, en tenant secret son bulletin de santé, de vouloir gagner du temps.
Le but étant, bien entendu, de rester au pouvoir. Pour eux, son état serait en réalité beaucoup plus critique que ce qui est avancé officiellement. Toutes ces rumeurs redondantes n’auraient eu aucune chance de tenir la route, explique Khalilou Diagana, rédacteur en chef du Quotidien de Nouakchott, si les autorités, au lieu d’entretenir un black-out sur la santé du Président, avaient normalement communiqué et fourni un bulletin de santé. Surtout, ajoute-t-il, que plus personne ne croit vraiment à la thèse tirée par les cheveux du «tir ami ou accidentel». «Pour parler franchement, l’absence de communication officielle et l’opacité avec laquelle est gérée cette affaire ont rajouté à l’incertitude qui pèse sur la Mauritanie et ont ouvert la voie à toutes les supputations. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, on ne parle que de la santé de Mohamed Ould Abdel Aziz», explique posément Khalilou Diagana.
Même son de cloche du côté de l’hebdomadaire indépendant Le Calame. Inquiet de l’évolution de la situation politique, Ahmed Ould Cheikh, directeur de ce titre connu pour la pertinence de ses articles, a demandé jeudi à ce qu’il soit mis fin à cette «incertitude» et «que l’on cesse de prendre les Mauritaniens pour des enfants» car «le pays est trop fragile pour supporter longtemps de tels atermoiements» et que le contexte régional, actuellement explosif, n’est pas propice à des intrigues pareilles. Il faut dire que le report du retour au pays du chef de l’Etat (il devait revenir à Nouakchott après la fête de l’Aïd El Adha) a donné de la matière à moudre aux lectures les plus pessimistes, surtout que M. Ould Abdel Aziz n’est plus réapparu à la télévision depuis son départ pour la France, le 14 octobre. Il s’est contenté d’adresser un discours écrit à la population. Pour beaucoup, ce discours lu à télévision par un présentateur «a la même valeur qu’un acte de décès».
Le numéro deux du pouvoir en convalescence aussi
Malgré ses efforts pour calmer le jeu en assurant, notamment mercredi après-midi, avoir eu un entretien téléphonique avec M. Ould Abdel Aziz et que celui-ci «va bien et qu’il rentrera au pays dans pas longtemps», le président de l’Assemblée nationale mauritanienne, Messaoud Ould Boulkheir, n’est pas parvenu à tirer les Mauritaniens de leur torpeur et à ramener la sérénité dans le pays. Le comble est que même le président du Sénat, Ba Mbaré, qui est censé assurer la relève du président de la République, est lui aussi…en convalescence en France. Les Mauritaniens ont sans doute raison de s’inquiéter : leur pays est connu pour enregistrer le plus fort taux de coups d’Etat en Afrique. En moyenne un tous les trois ans. Et cette fois, l’on craint effectivement que ce soit encore le cas. Des sources proches des milieux diplomatiques à Nouakchott expliquent, à cet effet, que «beaucoup voulaient la peau du Président et ce qui s’est produit le 13 octobre dernier n’a pas surpris». D’ailleurs, c’est pour cela que «l’on pense que le coup qui a visé Mohamed Ould Abdel Aziz a un lien direct avec la popote politique interne et que cela n’a rien à voir avec l’extérieur».
L’on ajoute que la popularité du «chef» a aussi beaucoup baissé depuis le Printemps arabe, en témoignent toutes les manifestations qui se sont déroulées à Nouakchott ces derniers mois. Ainsi, comme annoncé au début de la semaine, c’était donc au tour, jeudi, de la Coordination de l’opposition démocratique (COD), qui rassemble une douzaine de formations politiques, de faire entendre sa voix…et surtout ses critiques, à l’occasion d’un meeting animé en fin de journée par ses leaders devant plusieurs centaines de partisans, sur la place jouxtant le stade Cheikha O. Boidiya.
Composée, entre autres, de l’influent parti d’obédience islamiste Tawassoul de Mohamed Jemil Ould Mansour, de Convergence démocratique nationale (CDN) de l’ancien ministre de la Justice Mahfoud Ould Bettah, de Hatem, la formation de l’enfant terrible de la politique mauritanienne Saleh Ould Hanenne qui se trouve être également le président de la COD, et de Ely Mohamed Vall, l’ancien président de la transition, la Coordination a carrément invité Mohamed Ould Abdel Aziz à quitter le pouvoir dans le cas où il serait dans l’incapacité à diriger le pays. La COD a, par ailleurs, appelé à l’amorce d’une période de transition consensuelle à laquelle doit prendre part l’ensemble de la classe politique pour combler le «vide» au sommet de l’Etat. «Nous appelons à l’ouverture d’une période de transition réelle, qui conduirait à une véritable démocratie. Il est nécessaire de combler le vide clairement constaté au sommet de l’Etat dont les conséquences sont dangereuses pour le pays, le peuple et la gestion quotidienne de l’Etat», a déclaré Saleh Ould Henenna devant une foule nombreuse (composée d’hommes, d’adolescents et de femmes de tous âges) visiblement acquise à sa cause.
Les militaires conviés à rester dans leurs casernes
Le président de la COD – structure qui organisait sa première manifestation depuis la suspension de ses activités au lendemain de la blessure du chef de l’Etat mauritanien – a suggéré d’«entamer dans l’immédiat une concertation nationale responsable qui n’exclue personne», estimant que «toutes les parties doivent ouvrir une page nouvelle dans leurs relations pour amener le pays à une sortie de crise consensuelle».
Les membres de la COD – qui redoutent que la Mauritanie fasse les frais de règlements de comptes au sommet et replonge dans l’instabilité chronique de ces dernières années – ont soutenu, en outre, qu’«il est urgent de pallier à cette situation», arguant que «si les institutions sont actuellement bloquées c’est parce que Mohamed Ould Abdel Aziz concentre tous les pouvoirs et qu’il n’a désigné personne pour assurer l’intérim». Le leader de Hatem a, de plus, réfuté la version de la blessure du Président par un tir accidentel défendue par le gouvernement et appelé à une enquête indépendante pour faire la lumière sur cette affaire.
Le président de la CDN, Mahfoud Ould Bettah, n’y va pas non plus de main morte ; dans une déclaration à la presse, il a insisté sur le fait que «le peuple mauritanien à le droit de savoir qui gouverne» avant d’ajouter que «l’objectif stratégique de la COD est de voir les Mauritaniens gagner le pari de la démocratie en mettant fin au régime despotique qui leur a été imposé, dont l’actuel pouvoir émane». En revanche, il est attendu des militaires – et particulièrement des généraux qui, pour tous le monde ici à Nouakchott, continuent à tirer les ficelles de derrière le rideau noir du pouvoir – de rester bien sagement dans leurs casernes et de ne pas céder à la tentation de commettre un énième coup d’Etat.
Pour des leaders de l’opposition, il ne fait pas l’ombre d’un doute, en effet, que «les rumeurs sur l’état de santé du Président sont la manifestation d’une lutte interne, au sein des cercles du système, autour de l’héritage d’un homme malade». Et si, justement, le message adressé par l’opposition aux principaux décideurs militaires est particulièrement insistant, c’est parce que tout le monde sait, ici, que le sérail politique mauritanien fonctionne selon une règle d’or qui veut que «qui va à la chasse, perd sa place».
Zine Cherfaoui