Le Maroc veut intégrer l’UA : La manœuvre de Mohammed VI
Amin Fassi-Fihri, Maghreb Emergent, 19 juillet 2016
Le Maroc ne va pas réintégrer cette année ni probablement l’année prochaine l’Union africaine, sa demande d’admission étant gelée après le report au prochain sommet de l’élection d’un nouveau président de la Commission de l’Union africaine.
Lundi à Kigali, une ville des hautes plaines africaines, qui garde encore les stigmates de la terrible guerre civile de 1994 où plus de 1,4 million de tutsis ont été massacrés par les hutus, la commission africaine a reporté le vote pour désigner un (ou une) successeur à la sud africaine Nkozazana Dlamini-Zuma. Un report du, selon des sources diplomatiques proches du 27eme sommet de l’UA, à l’absence d’un candidat à la taille du poste de Président de la commission de l’Union africaine. Du coup, la demande d’admission du Maroc, présentée officiellement dimanche au président en exercice de l’UA, le président Tchadien Idriss Deby, a été également reportée »sine die ». Dans sa lettre de demande d’admission, le Roi du Maroc confirme en fait sa politique d’occupation du Sahara Occidental, estimant que la RASD doit être exclue de l’organisation, car de plus de plus de pays lui retirent leur reconnaissance, selon la lettre du Maroc. »Le Maroc, qui a quitté l’OUA n’a jamais quitté l’Afrique. Il a seulement quitté une institution, en 1984, dans des circonstances toutes particulières. De l’admission de la RASD en 1982, l’histoire retiendra cet épisode comme une tromperie, un détournement de procédures, au service d’on ne sait quels intérêts. Un acte comparable à un détournement de mineur, l’OUA étant encore, adolescente à cette époque », écrit le roi du Maroc dans cette lettre. Il poursuit: »Comment en sommes-nous arrivés là ? La réponse, j’en suis certain, tout le monde la connait, et s’impose d’elle-même. Le temps est venu d’écarter les manipulations, le financement des séparatismes, de cesser d’entretenir, en Afrique, des conflits d’un autre âge, pour ne privilégier qu’un choix, celui du développement humain et durable, de la lutte contre la pauvreté et la malnutrition, de la promotion de la santé de nos peuples, de l’éducation de nos enfants, et de l’élévation du niveau de vie de tous. »
La lettre du Roi
Plus loin, le souverain marocain va jusqu’à demander donc l’exclusion de la RASD de l’Union africaine, en s’interrogeant: »l’UA resterait-elle, en déphasage avec la position nationale de ses propres Etats membres, puisqu’au moins 34 pays ne reconnaissent pas ou plus cette entité ? Même parmi les 26 pays qui s’étaient placés dans le camp de la division en 1984, seule une stricte minorité d’une dizaine de pays subsiste. Cette évolution positive est, d’ailleurs, conforme à la tendance observée au niveau mondial. Depuis l’année 2000, 36 pays ont retiré leur reconnaissance à l’Etat fantôme ». Ayant quitté en 1984 l’ex Organisation de l’Unité africaine (OUA) pour protester contre l’admission en 1982 lors du sommet de Nairobi de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), le Maroc de Mohamed VI a en fait mis en place une grande offensive diplomatique pour réintégrer l’ensemble africain. »Le retrait de l’OUA était une erreur commise sous Hassan II et dont le Maroc continue de payer le prix », confiait récemment au journal »Le Monde » un spécialiste du Maroc.
Des mois de préparatifs
Les autorités marocaines préparent depuis quelques mois ce retour, avec notamment la visite à Rabat en juin du chef de l’Etat Rwandais Paul Kagame, et des émissaires marocains dans plusieurs capitales africaines, en particulier à Alger où le numéro 2 de la diplomatie marocaine Nacer Bourifa a été reçu par le Premier ministre Abdelmalek Sellal vendredi dernier. Et, depuis le début du mois de juillet, le ministre marocain des affaires étrangères Salahedine Mezouar a fait plusieurs déplacements sur le continent. Il a été reçu successivement par les présidents sénégalais Macky Sall et ivoirien Alassane Ouattara, Paul Biya du Cameroun, et s’est également rendu au Caire, à Khartoum, à Addis-Abeba et à Tunis. Le Roi du Maroc a envoyé à Alger son envoyé spécial, porteur d’un message au président Abdelaziz Bouteflika. Au coeur de la visite de l’envoyé spécial du souverain marocain, les démarches du Palais royal pour réintégrer l’Unité africaine, selon la presse marocaine.
Respect de la procédure
Par ailleurs, le vice-Président de la Commission africaine, Erasmus Mwencha a indiqué dans une conférence de presse vendredi à Kigali, à;la veille de l’ouverture du sommet de l’UA, que la procédure d’admission doit être respectée. »Le Maroc doit manifester sa volonté de réadmission, il y a ensuite réunion et vote. L’admission se fait à la majorité simple », a t-il expliqué à des journalistes. Reste cependant à régler le problème de la RASD, membre à part entière de l’UA, car deux pays ne peuvent représenter un même territoire et siéger en même temps à l’UA. La démarche marocaine a été douchée dimanche à l’ouverture du sommet de Kigali par la présidente sortante de la Commission de l’Union africaine, lorsqu’elle a renouvelé le soutien de l’UA à la RASD, à l’ouverture du 27e sommet de l’UA dimanche à Kigali. Pis, le report de l’élection d’un successeur à Nkozazana au prochain sommet de l’UA prévu en janvier 2017, met d’office sous le boisseau les objectifs du Maroc, qui comptait sur l’élection de l’un des trois candidats en lice (la ministre des Affaires étrangères du Botswana, Pelonomi Venson-Moitoi, l’ancienne vice-présidente ougandaise, Speciosa Wandira Kazibwe, et le ministre des Affaires étrangères de la Guinée équatoriale, Agapito Mba Mokuy) pour soutenir sa demande d’admission. Le Maroc occupe depuis 1975 le Sahara Occidental, juste après le retrait de l’Espagne, qui administrait ce territoire.
Le Maroc veut intégrer l’UA : La manœuvre de Mohammed VI
El Watan, 19 juillet 2016
Trente-deux ans après avoir quitté OUA, en 1984, suite à l’admission de la RASD, le Maroc «veut» de nouveau siéger au sein de l’actuelle Union africaine.
Cette fois, ce ne sont plus de simples supputations, faisant état d’une démarche marocaine en vue de siéger au sein de l’ Union africaine (UA). Le souverain marocain, Mohammed VI, a effectivement annoncé dimanche, alors que s’ouvrait le 27e Sommet de l’UA, que le moment était «arrivé» pour que le Maroc retrouve sa «place naturelle» au sein de l’instance africaine 32 années après avoir quitté l’Organisation de l’unité africaine (OUA), qui a cessé d’exister en 2000, lors du Sommet de Syrte en Libye, et a été remplacée par l’UA.
Bien entendu, le souverain marocain se garde de dire de quelle manière devrait se faire cette adhésion, car il ne peut s’agir que de cela, et nullement de réintégration. Rappelons que le Maroc avait quitté l’OUA en 1984, lorsque celle-ci avait admis en son sein la République arabe sahraouie démocratique (RASD) proclamée quelques années auparavant. Ce qui avait été alors considéré comme la manifestation du soutien de l’Afrique à la lutte du peuple sahraoui et un net rejet de la politique du Maroc qui avait violé une règle fondamentale de la Charte de l’OUA, celle de l’inviolabilité des frontières héritées de la colonisation.
Ou encore de son non-respect de la décision de la Cour internationale de justice de La Haye (CIJ) rejetant les thèses marocaines. Depuis cette date, l’Afrique a constamment soutenu le peuple sahraoui, considérant que le conflit qui l’oppose au Maroc relève de la décolonisation, et sa position n’est en aucun cas «une erreur historique», comme l’affirme le souverain marocain, évoquant la légalité internationale que son pays bafoue en envahissant ce territoire considéré par l’ONU, depuis 1964, comme non autonome.
Une position à laquelle Rabat avait pourtant souscrit en concluant un accord de paix avec le Front Polisario, endossé par l’ONU en 1990, et devenu le sien depuis cette date. Cet accord reconnaissait le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental. Un processus mis en œuvre en septembre 1991, et contrarié par le Maroc depuis cette date. L’ONU, qui n’a jamais renié ses positions comme en témoignent ses différentes résolutions et leurs nombreux référents au processus de décolonisation, envisage depuis 2014 d’autres moyens pour surmonter l’obstacle marocain.
La démarche marocaine ne serait-elle pas, dans ce cas, liée à ce projet, sachant qu’il n’est plus possible de bloquer encore et toujours l’organisation internationale ? La réponse se trouve dans la position de l’UA qui avait désigné l’ancien chef de l’Etat mozambicain en tant qu’envoyé spécial. Joaquim Chissano a, à ce titre, participé aux travaux du Conseil de sécurité liés à la question du Sahara occidental. Il s’agit pour le continent africain d’aider à trouver les moyens à même d’appliquer les résolutions en question.
De ce point de vue, l’Afrique n’a jamais été en deçà des positions internationales sur cette question. Que veut donc le Maroc en cherchant à siéger au sein de la plus haute instance africaine, mais en posant de telles conditions, consistant pour l’Afrique de se déjuger et renier ses propres positions qui sont celles de la communauté internationale, et rien d’autre.
Mohammed Larbi