30e Sommet des chefs d’Etat de l’UA: Lutte contre la corruption et «raison d’Etat»

30e Sommet des chefs d’Etat de l’UA: Lutte contre la corruption et «raison d’Etat»

par Ghania Oukazi, Le Quotidien d’Oran, 31 janvier 2018

Rompus au traitement des sales affaires particulièrement avec la France, nombreux décideurs africains savent que la lutte contre la corruption ne se suffit pas d’une simple déclaration d’intention au détour d’un sommet, notamment quand «la raison d’Etat» est le mobile du délit.

Les décideurs africains se sont enfin rendus compte que la corruption ronge leur continent et lui «extorque» chaque année 50 milliards de dollars. Le chiffre a été rendu public lors du 30ème Sommet de l’Union africaine (UA) dont les travaux se sont achevés lundi à Addis-Abeba. Le fléau, tel une gangrène, a pris dans toutes les institutions, corporations, jusqu’au sein des groupes sociaux les plus vulnérables. Les exemples sont légion. L’on sait qu’en Algérie, les citoyens soudoient les agents de l’état civil dans les APC pour obtenir un simple extrait de naissance. Les personnels des collectivités locales se nourrissent de la corruption. Le fléau n’est ni nouveau ni limité. Il a évolué à une vitesse fulgurante dans des secteurs ou des domaines censés pourtant moraliser la société. La justice, l’école, l’enseignement supérieur, le sport, la santé…se fourvoient tous dans le dédale le plus sombre de pratiques les unes plus malsaines que les autres…Le mal est profond. En érigeant l’impunité en mode de gouvernance, le pouvoir a décrété en évidence la mise à mort des institutions avec en tête l’appareil judiciaire et ses démembrements. La déliquescence de l’Etat est de fait.

Beaucoup a été écrit, relaté, diffusé sur la corruption chez les Etats africains. Présidents, ministres, gouverneurs, hauts fonctionnaires, commissaires, policiers, gendarmes, aucun corps n’a été épargné. La corruption est pratiquement une seconde nature en Afrique.

La décision du dernier Sommet des chefs d’Etats africains de lutter contre est un fait nouveau. Mais l’on peine à croire qu’elle sera suivie d’effets, du moins dans le peu d’années à venir si des processus de changement radical ne sont pas enclenchés. L’instauration de nouveaux systèmes politiques, légitimes, crédibles, démocratiques et transparents devient ainsi impérative….

L’affaire Sarkozy-Kadhafi

Des transformations que les sociétés africaines devront entreprendre sur plusieurs générations…

Au-delà du fait que la morale n’admet aucune circonstance atténuante à un délit de corruption, il est cependant connu que les cas les plus ravageurs en Afrique l’ont été en raison de demandes, pressions et sollicitations incessantes exprimées par des chefs d’Etats et responsables de pays occidentaux réputés être les exemples de la probité et de l’intégrité. La France en est l’un des plus concernés pour avoir des liens historiques profonds avec l’Afrique francophone et même au-delà. Tout au long de l’histoire, la France coloniale n’a lésiné sur aucun moyen de pression pour faire plier les décideurs africains, très souvent en provoquant dans leurs pays de fortes déstabilisations sociales, des confrontations ethniques, des guerres. L’affaire Kadhafi-Sarkozy est celle qui s’est déroulée tout au long des années 2000. «Quand la France fait voler en éclats toutes ses valeurs sur l’autel de l’argent sale et de la raison d’Etat…», résument à ce propos les laborieuses investigations qu’ont menées deux journalistes français pendant six longues années pour cerner l’affaire. «Avec les compliments du guide, Sarkozy-Kadhafi, l’histoire secrète», le livre qu’ils ont fait édités, retrace, est-il noté en dernière page, «pour la première fois, grâce à des témoignages inédits, l’histoire secrète de compromissions, à visages multiples avec la Libye de Kadhafi (….)» Il est souligné sur cette même page que «de la corruption aux mensonges sur l’intervention militaire de 2011, des morts suspectes qui tétanisent les témoins aux dessous d’une enquête parsemée d’embûches pour les juges et les policiers(…)» Note-verdict, les deux journalistes, lit-on encore, «révèlent les coulisses d’un naufrage français sans précédent». Les enquêtes menées par les auteurs tournent autour des 50 millions de dollars que le Guide a, selon les conclusions de nombreux rapports, remis à Sarkozy -à sa demande- pour financer sa campagne électorale présidentielle. L’implication du personnel politique français de haut rang dans une affaire aussi sale est hallucinante. Brice Hortefeux (ancien ministre de l’Intérieur), Gérard Longuet (ancien ministre de la Défense), Claude Guéant (ancien patron de la police, ancien ministre de l’Intérieur, ancien secrétaire général de l’Elysée(…), Dominique De Villepin (ancien 1er ministre) sont parmi les noms cités plusieurs fois dans le livre tant ils constituent les fils d’une trame de délits de corruption avérée (corrupteurs libyens-corrompus français). «Il ne s’agit pas, est-il écrit en dernière page, d’une «affaire» comme les autres. Parce qu’au-delà de l’argent, il y a cette fois-ci une guerre».

Corruption, démocratie et anarchie créatrice

En épilogue, en page 387 du livre, les journalistes pensent avoir décrypté «un moment à part dans la République, l’argent et le sang, les billets et les bombes, l’histoire d’une haute trahison, en quelque sorte». Pour la morale française, il est plus question de dénoncer «Kadhafi le dictateur» que de condamner «Sarkozy le corrompu». Pourtant, en plus des affaires de corruption, il a bien été à l’origine du déclenchement d’une guerre abominable en Libye. Entre autres méfaits de la France, les journalistes font part de la vente à Kadhafi «sous l’égide de Sarkozy «d’un matériel d’espionnage (qui s’est avéré) très utile contre l’insurrection». C’est ce que le monde moderne a qualifié de «printemps arabes» annonciateurs de…démocratie selon les Européens ou «d’anarchie créatrice» selon les Américains. Au chapitre 25, les auteurs se penchent alors sur «la guerre à tout prix où la France déclenche une guerre à partir d’informations erronées». Bernard-Henri Lévy était présent quand le président français a décidé de bombarder la Libye pour que, en tant que témoin encombrant, Kadhafi ne s’en sorte pas vivant. Sarkozy réussit à décrocher la résolution onusienne 1973 établissant une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye. La France et d’autres forces atlantiques larguent des tonnes de bombes et d’armes sur le pays. Aujourd’hui, ce sont près de 6 millions de Libyens qui vivent des situations cauchemardesques au milieu de 26 millions d’armes. La guerre pensée et décidée par la France au Mali n’en a pas fait mieux en termes d’instabilité, de prolifération de groupes terroristes, d’armes, de narcotrafiquants et de détérioration de la paix et de mort d’innocents.

La France-Afrique est une politique à laquelle les présidents français de tous bords n’hésitent pas à mettre en œuvre pour garder la mainmise sur le continent et ses ressources. Peu importe les moyens ou les conséquences ! Coups d’Etat, liquidations physiques d’opposants africains, corruption, malversations, guerres, tout est permis sous couvert de la raison d’Etat. La télévision publique française en a donné les preuves suffisantes dans les années 90.

La lutte contre la corruption en Afrique n’est pas simple tant les pouvoirs civils et militaires ne se maintiennent que grâce à un jeu de compromissions qui les asservissent particulièrement à la France. Le 30ème Sommet des chefs d’Etats africains en a mis en avant le principe. Il a aussi décidé de réformer l’UA et les mécanismes du Nepad. Si les Africains pensent à des réformes de l’UA comme l’ont déjà fait avant eux les Arabes pour leur Ligue, il faudra repasser