Le G8 et l’Afrique: Les enjeux géostratégiques
Le G8 et l’Afrique
Les enjeux géostratégiques
par Abderrahmane Mebtoul*, Le Quotidien d’Oran, 18 juin 2007
1ere partie
A été abordée également la problématique du développement en Afrique avec, comme toile de fond, la coopération euro-méditerranéenne et le Nepad, du fait qu’en ce début du 21ème siècle, des disparités de niveau de vie criantes font de notre planète un monde particulièrement cruel et dangereusement déséquilibré, l’abondance et l’opulence y côtoyant d’une manière insupportable la pauvreté et le dénuement. C’est l’objet de cette modeste contribution sur le G8 et l’Afrique à travers les enjeux géostratégiques.
Mondialisation et bipolarisation
La configuration boursière mondiale récente 2005/2006 subit une profonde mutation et les 10 premières capitalisations totales (marché domestique) en milliards de dollars US en 2005 sont : Nyse 13.310 milliards de dollars US, Tokyo Stock Exchange 4.573, Nasdaq 3.604, London Stock Exchange 3.058, Euronext 2.707, TSX Group 1.482, Deutsche Börse 1221, Hong Kong Exchanges 1.055, AME Spanish Exchanges 960, Swiss Exchange 935. L’Europe des 15 avant le récent élargissement regroupe 25% de la capitalisation mondiale, les USA plus de 40% et le Japon 15%. Et la reprise assez forte de l’économie mondiale entre 2003/2006 avec des pays émergents à forte croissance comme le Brésil, la Chine, l’Inde et l’entrée de la Russie à travers la stratégie du groupe international Gazprom. En effet, le monde économique a fondamentalement changé et en 2006, la physionomie des poids lourds mondiaux reflète la nouvelle géopolitique du business. Car, en l’espace de vingt ans, les vingt premières capitalisations au monde ont été multipliées par dix, et quatorze de leurs membres ont été remplacés. C’est ce que révèle une étude réalisée par Fidelity International, publiée en juin 2006. Seuls cinq groupes se sont maintenus dans le classement depuis 1986 : Exxon Mobil, passé de la 2ème à la 1ère place avec 371,2 milliards de dollars, (plus de trois fois et demie le PIB algérien), General Electric (342,7 milliards), de la 3ème à la 2ème place, ainsi que BP, Wal-Mart et Toyota. Mais c’est le russe Gazprom, nouvellement coté, qui émerge (246,3 milliards). Microsoft est l’entreprise qui enregistre la plus belle progression, passant de la 573ème place en 1986 à la cinquième aujourd’hui (238 milliard de dollars). Les plus fortes chutes concernent pour 2006 les constructeurs automobiles Ford qui passe du 16ème au 596ème rang, Général Motors de la 7ème à la 424ème place, IBM, le n°1 il y a vingt ans avec 90 milliards de capitalisation, qui se retrouve à la 28ème place mondiale aujourd’hui. Cela n’a pas empêché les Etats-Unis d’accroître leur emprise sur ce Top 20 avec pas moins de douze entreprises contre 11 en 1986. Cependant, récemment, des pays émergents bousculent la hiérarchie pesant de plus en plus lourd sur les marchés, entièrement dominée il y a vingt ans par les Américains et les Japonais : Industrial and Commercial Bank of China (ICBC) ; le géant de l’énergie russe Gazprom, coté depuis 1996 ; l’opérateur de télécommunications China Mobile, coté à Hongkong depuis 1997, compte parmi les trente premiers du classement et Tata Steel, un des plus grands sidérurgistes indiens cotés à Bombay. Ainsi, la mondialisation en marche de l’économie s’accompagne de sa financiarisation croissante. Et des éléments centraux de cette globalisation concernent le capital financier qui devient de plus en plus dominant avec le rôle central des actionnaires où nous avons deux types de détention d’actions. La détention directe (ceux qui les détiennent en propres) et la détention indirecte (ceux qui les détiennent par le biais d’un intermédiaire : organismes de gestion, sociétés d’assurances-vie, caisses de retraite, SICAV). Le fait nouveau réside dans la modification rapide et importante du type d’actions détenues par les ménages. La détention directe d’actions devient minoritaire, pendant que la détention indirecte s’est fort développée. Ce sont aujourd’hui les fonds de pension qui contrôlent Wall Street gérant aujourd’hui 10 000 milliards $ dont la moitié en actions, soit 30% de la capitalisation boursière des USA et contrôlent une bonne partie des bourses européennes, alors qu’en 1950, les fonds de pension et les fonds mutuels possédaient moins de 3% du stock des actions cotées. Le dernier rapport du FMI et de la Banque mondiale constate que les prochaines années verront une croissance mondiale soutenue tirée surtout par les pays émergents. Les pays en développement ont atteint en 2006 un niveau de croissance quasi record de 7 %. Et bien qu’il faille s’attendre à un ralentissement en 2007 et 2008, cette croissance restera probablement supérieure à 6 %, soit plus du double de celle des pays à revenu élevé, laquelle devrait s’établir à 2,6%. Considérant l’incidence qu’aura la mondialisation sur les perspectives des 25 prochaines années, le rapport de la Banque trace un scénario de base qui verra l’économie mondiale progresser de 35 000 milliards de dollars en 2005 à 72 000 milliards en 2030. Mais cela ne va pas sans poser de véritables problèmes soulevés récemment au G8. Selon le rapport, le réchauffement planétaire constitue un risque grave, la hausse de la production signifiant que les émissions annuelles de gaz à effet de serre augmenteront de l’ordre de 50 % d’ici à 2030, et qu’elles doubleront probablement d’ici à 2050, en l’absence de réformes de grande portée. Pour éviter cela, les politiques à mettre en oeuvre devront promouvoir une croissance «propre», de manière à restreindre les émissions à des niveaux qui finiront par se traduire par une stabilisation des concentrations dans l’atmosphère. En outre, les pays pauvres auront besoin d’appuis au titre de l’aide au développement pour pouvoir s’adapter aux changements à venir sur le plan environnemental, et un soutien devra notamment leur être fourni pour qu’ils puissent participer au marché du carbone. Par ailleurs, cette richesse ne doit pas voiler les disparités tant mondiales à travers la concentration des richesses au Nord, qu’au sein même des nations des pays développés. En effet, face à cette euphorie financière, dans le monde, 300 millions de personnes, soit 5% de la population mondiale, la moitié aux USA, détiennent la quasi-totalité de la richesse boursière de la planète. Encore qu’existe une concentration à l’intérieur des pays développés. En effet, en Europe, comme aux Etats-Unis, 1% des ménages détiennent presque la moitié du patrimoine en action du pays. Selon une étude de Cap Gemini – 2005 – sur les citoyens les plus riches du monde, moins de 15 millions de personnes détiennent 31.000 milliards de dollars US, soit 30% du stock de richesses mondiales. Et au sein de ces « très riches », se trouvent les « ultrariches » : ceux qui possèdent au minimum 30 millions de dollars d’actifs financiers. Or, sur les six milliards d’habitants que compte la planète, un cinquième – dont 44% en Asie du Sud – ont moins d’un (01) dollar par jour de revenu et le taux est plus important pour l’Afrique. Le revenu moyen des 2O pays les plus riches est 37 fois plus élevé que celui des 2O pays les plus pauvres qui appartiennent à l’Afrique subsaharienne, à l’Asie du Sud et à l’Amérique Latine. Quand on sait que, dans les 25 prochaines années, la population mondiale augmentera de deux milliards d’individus – dont 1,94 milliard pour les seuls pays en voie de développement – on peut imaginer aisément le désastre qui menace cette partie de l’humanité si rien de décisif n’est entrepris dès aujourd’hui. Encore que les taux de pauvreté au niveau mondial ont continué de baisser au cours des quatre premières années du XXIème siècle, d’après de nouvelles estimations publiées dans les « Indicateurs du développement dans le monde de 2007 » par la Banque mondiale. La proportion de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour est passée à 18,4 % en 2004, ce qui veut dire qu’environ 985 millions de personnes vivaient encore dans une pauvreté extrême, contre 1,25 milliard en 1990. Le nombre de personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour baisse aussi, mais on estime que 2,6 milliards de pauvres, soit presque la moitié de la population des pays en développement, appartenaient encore à cette catégorie en 2004. En Afrique subsaharienne, 298 millions de personnes vivaient dans l’extrême pauvreté en 2004, pratiquement le même nombre qu’en 1999, alors que ce chiffre n’avait cessé d’augmenter au cours des 20 années précédentes. Il ressort de ce rapport que la réduction de la pauvreté n’a pas toujours, ni partout, été proportionnelle à la croissance du revenu pendant la dernière décennie. Dans certains pays ou régions, les inégalités se sont creusées, les pauvres ne tirant pas parti de l’expansion économique du fait de l’absence de possibilités d’emploi, du manque d’instruction ou d’une mauvaise santé. « Pour faire reculer la pauvreté, la croissance est une condition nécessaire mais non suffisante. Les indicateurs du développement dans le monde ne s’arrêtent pas aux taux de croissance et de pauvreté, mais s’intéressent à la distribution du revenu, à l’amélioration des soins de santé et de l’éducation, et au cadre d’activité économique. Tous ces facteurs influent sur la vie des pauvres » selon François Bourguignon, chef économiste et premier vice-président, développement économique, à la Banque mondiale. L »injustice au niveau mondial est due à une répartition inéquitable des richesses mais aussi à la gouvernance, des plus discutables, qu’exercent les élites politiques des pays du Tiers-Monde. Tout cela renvoie à des enjeux géostratégiques.
L’Afrique face aux enjeux stratégiques
Il est illusoire en ce XXIème siècle de raisonner en termes d’Etats Nations et toute politique locale doit prendre en compte le processus de mondialisation, rapport social complexe, produit du développement du capitalisme, processus non encore achevé tant à travers les flux commerciaux, de capitaux, les régimes de change, que de la stratégie militaire qui soutient l’économie. Aussi y a-t-il lieu de tenir compte de la stratégie tripolaire mondiale à travers l’Alena en Amérique, l’Apec avec l’Asie et l’entrée de la Chine qui entraîneront des bouleversements considérables sans compter les puissances régionales comme le Brésil, l’Inde et le Pakistan et le grand espace européen surtout avec son élargissement. La stratégie des USA du Grand Moyen-Orient obéit à cet impératif stratégique de contrôler les portes de l’Asie notamment l’énergie du fait d’une dépendance accrue de l’économie mondiale à l’égard du pétrole et du gaz. L’évolution des réserves mondiales, tenant compte de la révolution technologique, serait selon certaines prospectives la suivante : la part du pétrole et du gaz passerait respectivement entre 2000 et 2040 de 40 et 22% à 20 et 25% avec le retour du charbon 25% expliquant la stratégie américaine à la fois de geler son exploitation de charbon dont les réserves prouvées uniquement en charbon sont le double en termes d’efficacité énergétique que les réserves d’Arabie Saoudite, et d’étendre son influence politique et militaire sur les régions à forte potentialités énergétiques (Moyen-Orient) d’où, d’ailleurs, les rivalités économiques actuelles entre les USA et la Chine pour l’Afrique. Il est utile dans ce cadre de rappeler, qu’outre que face aux mécanismes de Barcelone, les USA ont initié également le plan Eisenstein, le projet du grand Moyen-Orient (GMO) qui demandent notamment à l’Arabie Saoudite, l’Egypte, le Syrie, l’Iran et la Tunisie une plus grande démocratisation. Le sommet de Rabat tenu le dernier trimestre 2004 souligne également que les pays de la région Mena doivent s’engager à poursuivre les réformes politiques, économiques et sociales. L’Union Européenne estime qu’elle souscrit parfaitement à l’initiative du Forum, manifestant sa volonté de contribuer aux réformes dans la région, mais en poursuivant, de son côté, le renforcement de sa politique euro-méditerranéenne et le processus de Barcelone qui « lie l’UE depuis dix ans aux pays de la région ». D’ailleurs, la stratégie du Président SARKOZY soutenue par l’Europe qui s’étend à la fois sur son flanc Est mais également du Sud de relance du partenariat méditerranéen rentre dans ce cadre sous-tendant une zone tampon de prospérité Europe—Afrique via la méditerranée avec comme pilier l’union du Maghreb supposant la résolution à terme du conflit du Sahara occidental comme condition d’attrait des investissements directs étrangers porteurs qui ont besoin d’un marché de plus de 100 millions d’habitants. Et fondamentalement, derrière ces rencontres, la préoccupation tant de l’Europe que des USA est le contrôle de l’énergie et de certaines matières premières stratégiques. En effet, le fort taux de croissance de l’économie mondiale, et principalement celui de la Chine, de l’Inde dont la population pour les deux pays approche les 30/35% de la planète, (le XXIème siècle sera celui de l’Asie avec 1,3 milliard de Chinois sur Terre et un (1) milliard d’Indiens : plus d’un homme sur trois (3) est donc Chinois ou Indien) et d’autres pays émergents ainsi que la dépendance de l’Europe et des USA à plus de 70% des sources énergétiques extérieures horizon 2020/2030, donnent à ces énergies fossiles un poids jamais égalé dans l’économie mondiale. Comment ne pas rappeler concernant le gaz du fait que les énergies renouvelables ne représentent que 6% de la consommation d’énergie pour l ‘Europe contre une moyenne mondiale de 14% (le Brésil ayant développé l’éthanol), en 2006, la part du gaz algérien représente 10%, 24% pour la Russie et 17% pour la Norvège et selon un rapport récent de la commission de Bruxelles cette part, si les tendances ne sont pas renversées, entre 2020/2040, cette part serait de 40% pour la Russie, 30% pour l’Algérie et 25% pour la Norvège.
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