L’Afrique et le droit au nucléaire
Par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 10 janvier 2007
Des Africains parlant à Alger des applications pacifiques de l’énergie nucléaire avec la collaboration de l’AIEA: en apparence, on est dans la sérénité pour un continent qui a globalement adhéré au Traité de non-prolifération (TNP). Mais les échanges d’amabilités ne doivent pas servir de leurre. C’est globalement à sa faiblesse technologique que l’Afrique doit de ne pas paraître une «zone critique» pour les détenteurs du monopole nucléaire. Sinon, les pays qui s’engagent dans la maîtrise de la technologie nucléaire seront considérés avec suspicion.
Le Traité de non-prolifération est devenu de fait un instrument pour préserver le monopole des Etats disposant d’armes nucléaires, tandis que les dispositions sur le désarmement (art. 6) ne sont pas appliquées et le droit reconnu à la maîtrise de la technologie à des fins pacifiques (art. 5) contesté.
On est dans un rapport de force et non dans une logique de droit. Impossible de ne pas relever l’absence totale de réactions à l’aveu public du Premier ministre israélien sur l’existence d’un arsenal nucléaire et les sanctions et les menaces de bombardement contre l’Iran, coupable de vouloir maîtriser le processus technologique. Le double standard est là: l’Iran est punissable parce qu’il a signé le TNP et s’est engagé à n’utiliser le nucléaire qu’à des fins civiles (les Occidentaux ne sont pas en mesure de prouver le contraire), tandis qu’Israël peut dormir tranquille car n’ayant pas signé le TNP.
On est dans un déséquilibre qui participe d’une logique de domination et de préservation de monopole. Car sur le fond, la véritable exigence des Occidentaux à l’égard de l’Iran, et sans doute de l’ensemble des pays du Sud, a été formulée très clairement par Ségolène Royal, candidate socialiste française à la présidence: il faut interdire à l’Iran même le nucléaire civil.
Si les diplomates occidentaux ont feint de ne pas être d’accord avec cette «royale abrogation» de l’art. 5 du TNP, cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas dans ce même état d’esprit. Le discours sur l’arme nucléaire sert surtout à masquer le fait qu’on veut priver toute une partie de l’humanité non agréée par le «centre» à accéder au savoir et à la technologie nucléaire. Ségolène Royal n’a pas exagéré, elle a seulement dit les choses crûment et brutalement.
Et surtout, il ne faut pas croire que ces dénaturations du TNP ne concernent que l’Iran. C’est applicable à d’autres Etats pour peu qu’ils manifestent un certain souci d’indépendance. Il ne faut pas oublier que l’Algérie fait régulièrement l’objet de pseudo-révélations sur un programme nucléaire secret.
C’est la maîtrise de la technologie nucléaire et du savoir-faire à des fins civiles qui constitue une menace aux yeux des détenteurs du monopole. La crainte de la prolifération nucléaire n’est qu’un prétexte. La vraie question pour les Africains, comme pour la plupart des pays du tiers-monde, est de savoir s’ils doivent accepter que le TNP soit aussi ouvertement bafoué par les puissances dominantes.
Bedjaoui : la véritable menace est ailleurs
Le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, a souligné, hier, lors d’une séance plénière devant les ministres africains et scientifiques internationaux, que cette première conférence organisée en Algérie en collaboration avec l’AIEA « est un témoignage fort de l’engagement résolu de l’Afrique, d’une part, en faveur de l’oeuvre de désarmement et, d’autre part, de son attachement à son droit légitime d’accéder à l’énergie nucléaire à des fins pacifiques ». Parce que les énergies d’origine fossile ne peuvent pas répondre indéfiniment aux besoins énergétiques de la planète, il devient, soutient Bedjaoui, impératif de trouver des modes de substitution qui permettent de diversifier les sources d’approvisionnement en énergie. Le ministre des Affaires étrangères qui regrette le « déséquilibre énergétique mondial de plus en plus manifeste » soulignera que l’énergie nucléaire constitue incontestablement l’alternative aux énergies fossiles polluantes et coûteuses.
L’adhésion de presque tous les pays africains au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et au Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) ainsi que la soumission, sans exception aucune, de toutes leurs installations nucléaires aux garanties de l’AIEA sont un témoignage de cet engagement en faveur de la promotion de la paix et de la sécurité internationales.
Cependant, le chef de la diplomatie algérienne n’hésitera pas à interpeller certaines puissances en déclarant que la non-prolifération, qui constitue un des trois piliers fondamentaux sur lesquels repose le TNP, ne devrait pas dispenser les Etats nucléaires d’assumer les obligations qui leur incombent aux termes du même traité, ni priver ceux des Etats qui ont souverainement renoncé à l’option nucléaire militaire du droit de bénéficier du libre accès à l’énergie et à la technologie nucléaires à des fins pacifiques, garanti, dit-il, par ce même traité.
Bedjaoui qui intervenait en présence du ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil, affirmera que la véritable menace qui pèse aujourd’hui sur l’Afrique n’est pas l’oeuvre des armes de destruction massive, mais d’une tout autre nature, à savoir la famine, la pauvreté, la malnutrition, les maladies pandémiques, la sécheresse et le non accès à l’eau potable. La solution à toutes ces déficiences, estime le ministre, réside dans l’énergie nucléaire, à travers ses différentes applications pacifiques énergétiques et non énergétiques et qui peut, soutient-il, encore apporter une contribution majeure et ainsi réduire considérablement les souffrances qu’endurent les populations africaines au quotidien. « L’apport de l’énergie nucléaire peut se révéler déterminant dans les domaines de l’agriculture, de la santé, des ressources en eau et de l’électricité », poursuit le ministre qui saluera au passage l’engagement de l’AIEA pour avoir pris une part active dans la réalisation des objectifs de sécurité mondiale et a permis à de nombreux pays de tirer pleinement profit des applications pacifiques de l’énergie nucléaire. Le ministre des Affaires étrangères affirmera par ailleurs que la disponibilité des ressources en matière d’approvisionnement énergétique à des prix accessibles constitue un véritable défi pour les pays en développement, en particulier pour les pays africains confrontés également à un autre défi majeur qui est celui de trouver des capitaux pour la réalisation des projets. « Notre coopération avec l’agence internationale atomique doit rester un partenariat véritablement stratégique de lutte contre la pauvreté par le soutien au développement socioéconomique durable », dira le ministre qui plaidera pour une énergie nucléaire au service de la paix et du développement durable en Afrique en formulant le voeu que l’étape d’Alger marque le début de la conquête de l’atome pour atteindre ce but.
Z. Mehdaoui
El-Baradei trace les limites à ne pas franchir
Si Mohamed El-Baradei, qui a été décoré de la médaille El-Athir, promet que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)
qu’il préside poursuivra sa coopération technique avec l’Afrique, il ne manquera pas cependant de lui tracer implicitement les limites à ne pas franchir si elle prétend à l’acquisition de l’énergie atomique, en lui précisant les domaines auxquels elle a droit.
« L’AIEA continuera à promouvoir la coopération technique avec les pays en voie de développement, notamment ceux de l’Afrique», a promis Mohamed El-Baradei, hier, à partir de l’hôtel El-Aurassi, où il assistait en tant que parrain à l’ouverture de la conférence régionale africaine sur la contribution de l’énergie atomique à la paix et au développement durable.
Il a qualifié la coopération de son agence avec le continent de «particulière», au regard des défis auxquels il fait face essentiellement dans la gestion de l’eau, l’agriculture, la santé, l’industrie et l’énergie. Il a insisté sur le besoin de l’Afrique d’investir dans la science et la technologie «pour affronter les défis nationaux et globaux associés aux différents domaines socio-économiques comme les besoins basiques des citoyens, à savoir le droit de bénéficier de l’eau, de l’alimentation, de l’énergie, d’un toit et de l’éducation». El-Baradei note que l’AIEA coopère « à travers les nouvelles technologies nucléaires » avec les Etats africains en leur garantissant l’assistance technique et la formation en matière de lutte contre certaines maladies comme le cancer, le sida, la malaria, la tuberculose ou la peste. El-Baradei rappellera que durant ces cinq dernières années, l’Afrique a bénéficié de six nouveaux centres de médecine nucléaire et de radiothérapie « avec une assistance significative de l’AIEA ». Sur 53 pays africains, 25 seulement ont, selon lui, des facilités à utiliser la radiothérapie.
Il précisera que 38 pays africains sont membres de l’AIEA. 26 d’entre eux y sont liés par des accords de recherche ou des programmes de développement technologique et scientifique. Dans le cadre de l’AFRA, l’accord de coopération régionale pour la promotion des sciences nucléaires et de la technologie en Afrique, l’AIEA assure à ce jour son expertise à 19 pays africains pour rentabiliser et perfectionner l’utilisation de leurs infrastructures nucléaires. Le DG de l’Agence abordera dans le détail les applications de l’énergie nucléaire dont voudrait bénéficier le continent africain. Il rappellera pour cela tous les problèmes et difficultés auxquels les pays africains font face et pour la solution desquels ils ont le droit d’acquérir le savoir-faire et les moyens pour les traiter. La sécurité alimentaire sera mise en tête de liste, dont la garantie par l’Afrique dépendra de son droit d’utiliser les techniques nucléaires. Il fait savoir que depuis 2001, six nouvelles variétés de produits agricoles ont bénéficié de ces techniques pour leur développement et leur préservation, à l’exemple du grain de sésame en Egypte et du coton en Zambie. El-Baradei affirme que l’Algérie figure parmi les pays africains qui ont exprimé la demande d’utiliser l’énergie nucléaire pour le développement de la santé, l’agriculture ou les ressources en eau. Il citera aussi l’Algérie parmi les pays qui ont bénéficié de cours de formation en matière de lutte contre tout trafic illicite. L’assistance technique et l’expertise qu’assure l’AIEA à l’Afrique en matière de nucléaire se veulent aussi une prévention contre les accidents comme celui en 1986 de Chernobyl. El-Baradei en précise les aspects en conditionnant l’accès et l’acquisition à l’énergie nucléaire par l’établissement d’une réglementation et un encadrement qualifié.
Il ne manquera pas de souligner la nécessité de l’AIEA d’inspecter les infrastructures nucléaires des pays et son droit de regard sur leurs programmes nucléaires. Il ne dira rien de particulier à propos de la non-prolifération des armes nucléaires que les puissants de ce monde ne sont pas prêts à respecter, encore moins sur le désarmement. Sauf de noter le nombre de pays qui ont signé le TNP et ceux qui prennent du temps pour le faire.
Ghania Oukazi