Sellal à Oum El-Bouaghi : Une visite et des contestations
par Notre Envoyée Spéciale A Oum El-Bouaghi : Ghania Oukazi, Le Quotidien d’Oran, 14 novembre 2013
Abdelmalek Sellal vient d’effectuer une visite dans deux wilayas où la contestation populaire était la plus marquée et la plus acharnée.
Il s’agit de Khenchela et Oum El-Bouaghi où Sellal y a séjourné mardi et mercredi derniers pour s’enquérir de la situation économique et sociale de leurs populations. De prime abord, ce sont des régions où le développement traîne sur toutes les longueurs. Manque d’infrastructures, et si elles existent, elles manquent atrocement de commodités. Les étudiants des deux wilayas ont été les premiers à exprimer leur mécontentement face au 1er ministre. Ils manquent pratiquement de tout, de l’encadrement pédagogique, aux transports, à l’absence d’une oreille d’écoute pour les orienter en ces temps où l’option du LMD (licence, master, doctorat) bat de l’aile après avoir été présentée par ses initiateurs du ministère de l’Enseignement supérieur comme étant la solution miracle pour réformer en profondeur l’apprentissage et la formation des universités du pays. Sur le terrain, on relève cependant, que l’on est bien loin de ce discours politique qui se veut prometteur et rassurant tant l’accumulation des problèmes et des contraintes se fait pesante, notamment dans les régions éloignées. Hier, à Aïn El-Beïda, dans la wilaya d’Oum El-Bouaghi, ce sont des citoyens en colère qui ont accueilli Sellal. Ils étaient là, tôt le matin sous un froid glacial et une pluie qui a transformé pratiquement tout le réseau routier en un vaste terrain boueux.
Il est curieux que les listes additives de nouveaux logements, dont les bénéficiaires habitent le bidonville du quartier Falih, aient été publiées la veille de l’arrivée du 1er ministre dans une région qui a sociologiquement les nerfs à fleur de peau. Les exclus de ces listes étaient décidés à en découdre avec des autorités locales qu’ils jugent incompétentes. Les citoyens ont même renié la légitimité des élus de leur région, notamment les parlementaires.
PROTESTA ET FROID GLACIAL
«Wali, dégage !», scandaient les populations venues faire part de leur désarroi à Sellal. Une jeune femme avait même bravé le passage à toute vitesse du cortège officiel pour tenter d’attirer son attention. Mais en vain. Le cortège quitte en trombe la faculté de technologies et des sciences où la délégation officielle effectuait une visite, sous un jet de pierres de citoyens en colère.
Il est rare que le 1er ministre soit accueilli avec un tel vent de contestation. Il en a été servi pour cette fois. Il a eu même à apaiser les esprits des journalistes accrédités pour la couverture de sa visite qui ont été logés dans des conditions exécrables. C’est dans un hôtel privé dont le propriétaire est, dit-on, un membre du Conseil de la nation et qui avant était président de la chambre de commerce et d’industrie régionale. Il se plaît à l’appeler «Dar Edhiaf». Les journalistes y ont passé une affreuse nuit dans des draps sales, des couettes infectes, un tapis pourri, des oreillers qui sentent mauvais en plus de leur couleur noircie par les têtes qui s’y sont frottées.
L’on se demande à quoi sert le ministère du Tourisme qui de surcroît se targue d’organiser le salon international. Les responsables se sont toujours vantés de gérer un pays qui possède 1.200 km de côtes et un désert sublime. Mais ils sont incapables de contrôler les rares infrastructures hôtelières existantes dont les normes ne répondent à rien, excepté à la grande saleté qui s’y impose. Les chambres de l’hôtel qui se trouve à Khenchela étaient dans un état lamentable, pas d’eau chaude, ou pas d’eau tout court, et là où il y en avait, ça fuyait de partout. Le dîner était infect.
«AVEZ-VOUS UN CARNET DE FAMILLE ?»
Un journaliste a vomi ses tripes. Enfin, un établissement qui doit être fermé immédiatement tout autant que beaucoup d’autres qui sont dans le même état si le gouvernement faisait convenablement son travail et l’Etat avait cette impérative rigueur qui oblige au respect des usagers et des citoyens. Il faut croire que la région n’a pas de traditions touristiques.
Et comme le ridicule ne tue pas, au lieu de s’inquiéter de l’état pitoyable de l’hôtel, ses gestionnaires ont demandé à un couple de journalistes s’ils avaient le carnet de famille… Les journalistes devaient même remplir la fiche de police alors qu’ils figuraient sur les listes de la DSP (Direction de la sécurité de la présidence) dont les éléments accompagnent le 1er ministre dans toutes ses sorties.
C’est le 1er ministre en personne qui est venu s’excuser auprès des journalistes qui voulaient boycotter la visite. Il a promis tout autant que le ministre de l’Intérieur que «ça ne se répètera plus».
Il serait judicieux d’obliger le ministère du Tourisme à obliger les hôtels à procéder au nettoiement de leurs édifices, à défaut de risquer la fermeture.
Il faut avouer que ces sont des régions où le portrait du président de la République tapisse les murs de toutes les grandes artères. Comme pour rappeler les populations au bon souvenir des trois campagnes électorales passées et les préparer pour la 4e à venir. Un agriculteur privé qui devait recevoir la visite des officiels a demandé à un de ses agents de faire vite de ramener le portrait du président pour le placarder sur la façade de l’entrée. C’est dire que les citoyens jouent le jeu à chaque fois qu’il s’agit de se mettre «avec celui qui est debout». Khenchela et Oum El-Bouaghi, ce sont d’ailleurs les deux wilayas qui ont demandé publiquement, au cours des rencontres de Sellal avec la société civile, à Bouteflika de se présenter pour un 4e mandat.