Après Belkhadem, Benyounes ou les servitudes de « l’animation politique » dans une Algérie bloquée

Après Belkhadem, Benyounes ou les servitudes de « l’animation politique » dans une Algérie bloquée

Saïd Djaafer, Huffington post, 25 juillet 2015

Amara Benyounes est officiellement en congé « d’expectative », cette situation particulière dans laquelle se retrouvent des ministres et des hauts-cadres qui perdent leurs postes sans être appelés « à d’autres fonctions ».

Les collaborateurs du président – Ahmed Ouyahia, par exemple – n’ont pas eu l’élégance de l’avertir suffisamment à temps pour lui éviter de donner, quelques heures avant le limogeage, une interview d’un ministre donnant l’impression d’être encore au gouvernement pour longtemps.

Mais dans un quatrième mandat très problématique, pour utiliser un euphémisme, la brutalité du limogeage – qui fait partie des mœurs du système – est un message en soi. Quoi de plus « actif » qu’un président qui limoge, sans explication comme le lui permet la Constitution, un de ses plus fervents partisans ?

Le traitement humiliant et inélégant subit par Benyounes n’est pas sans rappeler la manière, on ne peut plus insultante, avec laquelle Abdelaziz Belkhadem a été démis, le 27 aout 2014, de ses fonctions de ministre d’Etat, conseiller spécial du président.

Le plus sidérant dans le renvoi de ce fidèle serviteur de Bouteflika est que le président ne s’est pas contenté d’exercer ses attributions de nommer et de démettre un ministre. Un communiqué de la présidence a également enjoint aux responsables du FLN – et donc à Amar Saadani – d’interdire à Abdelaziz Belkhadem toute activité au sein du parti.

Abdelaziz Belkhadem n’a rien d’un modèle politique, c’est le type même du « fonctionnaire politique » embusqué qui n’a pas d’idées particulières – même si les « modernistes » croient en déceler beaucoup dans sa barbe – et qui a constamment servi et applaudit Bouteflika.

Son « bannissement » de la vie du parti – et donc de la vie publique – annoncé dans le communiqué de la présidence était néanmoins un extraordinaire saut dans la régression.

Un communiqué officiel créait, sous la RADP, un crime de « lèse-majesté » qui relève des monarchies moyenâgeuses. La « brutalité » du procédé était, là également, le message en soi : le président préside et tient encore les choses en main.

Tout ce que Benyounes a dit sera retenu contre lui

Certes, aujourd’hui le président Bouteflika ne peut pas se permettre d’enjoindre au MPA (Mouvement populaire algérien), ce soutien « indéfectible » au 4ème mandat et du programme du président, de « bannir » Amara Benyounes. Mais en a-t-il besoin ?

Le déjà « ancien » ministre du commerce n’a pas de marges, il a les rieurs contre lui, ce qui est la pire des situations. Tout ce qu’il a dit sur Bouteflika, sur sa clairvoyance et sa tête bien faite – son « alacrité » pour reprendre le langage « précieux » de Monsieur Hollande – est retenu contre lui.

Il y avait une grosse dose de cynisme politique dans sa manière de défendre le quatrième mandat et dans ses sommations à l’opposition de « comprendre que la prochaine présidentielle interviendra en 2019… ».

Ce cynisme se retourne contre lui. Il est désormais le moins « habilité » à critiquer Bouteflika. Sauf à prendre le risque de passer pour un aigri. Il ne peut même pas faire du (MPA) un parti « d’opposition ».

Comme quoi, un homme politique ou présumé tel gagne à peser ses mots, à ne pas trop en faire, à ne pas en rajouter. Et Amara Benyounes en a effectivement trop fait et il en a rajouté. Comme s’il avait la conviction – à tort – qu’il fera partie de l’attelage jusqu’en 2019 et que d’ici-là il pouvait voir venir.

Que va-t-il faire dans les semaines ou les mois qui viennent ? Pour le moment, il est K.O et sans doute pour un certain temps ! Il ne peut même pas donner une « noblesse » à son limogeage en prétendant qu’il est du à sa décision (annulée par Sellal) de supprimer le blocage administratif sur la vente des boissons alcoolisées qui a suscité une levée de bouclier chez les islamistes comme au sein du FLN. Personne ne croit à cette fable…

Du régime à la cour

Il y a eu plusieurs tentatives d’explication sur la mise à l’écart de ce « mortellement Bouteflikien » qui a choisi de rester dans la partie quand Said Saadi, le chef de son parti à l’époque, le RCD, a cessé d’être l’ami du président Bouteflika. Saadi a aussi laissé de sa période bouteflikienne une « lettre à mes amis de la presse » qu’il souhaite probablement ne pas avoir écrite…

Aucune des explications avancées sur le limogeage de Benyounes n’est réellement probante. La seule qui tienne plus ou moins la route relève de ses relations, tendues, avec Abdelmalek Sellal, devenu de facto la « parole » officielle d’un président qui ne parle pas mais qui écrit des messages. Beaucoup de messages. Et qui signe des nominations et de fins de fonction.

Et il n’y a pas besoin de grande « alacrité » pour constater que l’on n’est pas dans la politique, au sens moderne et républicain du terme, mais dans les jeux de sérail. Certes, cela n’a rien de bien nouveau, mais on est, en raison d’un effet d’entropie, dans une amplification caricaturale.

Avant la présidentielle, Amar Saadani s’est attaqué au général Mohamed Médiene, chef du DRS, et a essayé de vendre l’idée qu’il y avait une bataille au sein du régime entre un « Etat civil » et un « ‘Etat DRS ». Saadani s’est lancé dans une opération classique d’appropriation d’un vieux thème de l’opposition, du FFS précisément contre la domination de la police politique. C’était trop beau pour être vrai.

En tout cas, est loin de passer vers un Etat « civil ». On peut constater que le domaine de la « loyauté » se rétrécit vers une sorte de néo-makhzen algérien. Pendant longtemps – et il n’est pas certain que cela soit fini – c’est le DRS qui s’assurait d’une loyauté générale du personnel politique – y compris de l’opposition – au régime.

Désormais le domaine de la loyauté est plus personnalisé, d’où son rétrécissement vers des logiques de cour et de courtisans. Dans la société, comme en reflet à cette dégradation au sommet et à l’image de ce qui se passe à Ghardaïa ou des batailles de gangs dans les villes, le repère national se brouille au profit du clan, de la tribu, du douar ou du quartier.

Humilier son intelligence

Le système n’a jamais accepté qu’il y ait de vrais hommes politiques. Il accepte des serviteurs, des profiteurs, il peut même supporter des cabotins et des hurleurs, mais des hommes politiques, au sens moderne du terme, il n’en veut pas.

Toute une génération d’Algériens instruits, âgés entre 40 et 60 ans, des femmes et des hommes politiques potentiels qui auraient dû être aux commandes du pays – et à son service – se sont heurtés à cette logique qui leur impose un auto-asservissement.

Pour exister dans ce système, il faut humilier son intelligence. Beaucoup, on ne le dira pas assez, ont choisi de ne pas humilier leur intelligence. Le plus souvent en choisissant de quitter le pays ou de rester en marge afin de ne pas avoir à se soumettre aux logiques d’un système à la rationalité très « spécifique ».

Ces élites auraient pu donner des politiques qui agissent énergiquement sur une scène politique sérieuse. Ce n’est pas le cas. L’option offerte, la seule, était de jouer la partition fixée ou de se faire bâillonner.

Cette génération, encore marquée par le combat du mouvement national et la guerre d’indépendance a, aujourd’hui, le sentiment d’avoir tout raté. Elle est entre l’exil, le silence (un exil intérieur) ou dans le cynisme rentier. Le ratage de l’Algérie est en grande partie dû à l’état d’indignité où a été placée l’élite algérienne.