Ministres vacants, inertie institutionnelle et absence de visibilité

Sept ministères sans ministre depuis trois mois

Le provisoire qui dure

Par : Arab Chih, Liberté, 30 juillet 2012

À un peu plus d’un mois de la rentrée sociale qui s’annonce houleuse, le chef de l’État n’a toujours pas procédé à l’installation d’un nouveau gouvernement qui devait être mis en place au sortir des législatives du 10 mai remportées par le Front de libération nationale (FLN). Conséquence : depuis trois mois, pas moins de sept ministères (l’Enseignement supérieur, l’Environnement, les Transports, Travaux publics, Travail et Emploi, Poste et technologies de l’information et la Justice) sont toujours sans titulaires. Aussi, des secteurs à problème, comme l’enseignement supérieur, risquent de connaître de sérieuses perturbations. Dans un entretien accordé le 27 juillet à El Watan, le coordinateur national du Cnes, Abdelmalek Rahmani, a tiré la sonnette d’alarme sur les conséquences de la vacance du poste de ministre de tutelle sur la gestion du secteur.
“Vous devez savoir que cette vacance, qui dure depuis déjà plus de quatre mois, a paralysé l’ensemble de la dynamique de partenariat durement établi avec l’ancienne équipe, ce qui a provoqué de nombreux débrayages dans plusieurs universités durant les mois de juin et juillet, et qui risque de compromettre la rentrée dans plusieurs établissements. Ce dysfonctionnement a été contre-productif pour notre secteur (…)”, a-t-il, en effet, constaté.
Il est vrai que fin mai dernier, le président Bouteflika a désigné des ministres de l’actuel gouvernement pour assurer l’intérim des ministères vacants jusqu’à nouvel ordre. Le recours de Bouteflika à ce pis-aller pour parer au plus pressé peut se justifier pendant une courte période. Le hic est que ce provisoire a duré plus de trois mois, ce qui ne manquera pas de déteindre sur le bon fonctionnement des secteurs concernés.
Certes, la Constitution ne fait aucune obligation au président de la République de nommer un nouveau gouvernement au sortir de chaque élection législative. Mais la logique et le bon sens auraient voulu que le président procède à la mise en place, comme cela se fait sous d’autres cieux, d’une nouvelle équipe gouvernementale qui réponde au mieux à la nouvelle donne politique née des législatives du 10 mai.
D’aucuns mettront cet attentisme sur le compte d’un trait de la personnalité de Bouteflika qui aime tant faire durer le suspense et se faire désirer. Au lendemain de la présidentielle de 1999 qui l’ont porté à la tête de l’État, Bouteflika a mis six mois pour former son gouvernement.
D’autres encore avancent les crises au sein du Mouvement pour la société de la paix (MSP) et du Front des forces socialistes (FFS) pour justifier le statu quo. Voulant les intégrer dans le prochain gouvernement, Bouteflika attendrait donc que des décantations se fassent au sein de ces partis pour nommer un nouveau gouvernement représentatif des trois courants (“nationaliste”, “islamiste” et “démocrate”).
En outre, des désaccords au sommet sur la composante du prochain gouvernement seraient à prendre en considération. Surtout que la prochaine équipe gouvernementale est appelée à gérer des rendez-vous politiques importants : les élections locales, la nouvelle constitution et surtout la préparation de la présidentielle de 2014.

A. C.


ministres vacants, inertie institutionnelle et absence de visibilité

La classe politique dénonce l’immobilisme

Par : Karim Kebir

L’absence de volonté politique d’aller à de profondes réformes, l’enjeu de la présidentielle de 2014 et les divergences autour du contenu de la révision constitutionnelle et les tiraillements qui minent les partis au pouvoir sont, dans une large mesure, à l’origine de ce qui s’apparente à une prise en otage du pays.

Près de trois mois après les élections législatives, assimilées par Bouteflika à la fête d’Indépendance, force est de constater que le pays est installé dans une congélation que dissimule à peine le mois de Ramadhan. Un mois durant lequel, d’ordinaire, le rythme de fonctionnement du pays est réduit au “Smig” syndical. Une présidence dont l’activité est presque réduite à des communiqués, un gouvernement “intérimaire” et “provisoire” et de rares interventions de quelques ministres dans les médias entretiennent l’illusion d’un État qui fonctionne. Mais ni le maintien de la dynamique desdites réformes, ni la concrétisation de certaines promesses prévues pour le mois de juillet données par certains ministres, encore moins l’amorce de quelques perspectives politiques et sociales pour la rentrée sociale, tant redoutée, ne semble faire partie de l’agenda de l’Exécutif. Passée l’épreuve du 10 mai, sous le regard de la communauté internationale, tout se passe comme si le pays s’est mis définitivement à l’abri des soubresauts qu’a connus la région. Cette apathie, mais que trouble, de façon sporadique, “l’Algérie d’en bas”, à travers quelques grognements et autres émeutes par-ci par-là commencent pourtant à inquiéter sérieusement certains partis politiques. Dans un communiqué rendu public samedi à l’issue de la session ordinaire de son madjliss echourra, le MSP a insisté sur “le traitement de la situation de gel politique et de tension sociale dans les plus brefs délais”. Le parti, en proie à une crise interne, note “la poursuite des revendications légitimes de la société, toutes catégories confondues, sur fond de gel politique imputé aux résultats des législatives du 10 mai 2012 qui n’ont pas reflété la volonté du peuple qui aspire à un changement pacifique et serein par les urnes et qui ont exacerbé l’état de désespoir et de tension des citoyens”. Il appelle le gouvernement à “prendre en charge de manière sérieuse et responsable le front social pour éviter une rentrée sociale perturbée”. Présentée par certains comme proche de Bouteflika, la porte-parole du PT, Louisa Hanoune, a estimé vendredi dernier que “l’état de paralysie politique actuel nécessite des décisions déterminantes”. Pour sa part, le Mouvement populaire algérien (MPA) d’Amara Benyounès note que “deux mois après les élections législatives, le nouveau gouvernement n’est pas encore nommé et, pire, des départements ministériels sont sans titulaires”. “Le pays donne l’impression d’être à l’arrêt au moment où des perspectives économiques cohérentes et crédibles font défaut et où les tensions sociales sont très fortes, aggravées par une inflation à deux chiffres avec, comme conséquence, l’effritement du pouvoir d’achat des citoyens”, écrit le MPA dans un communiqué rendu public hier à l’issue de la réunion de son bureau national. Le MPA s’interroge s’il faille faire le rapprochement entre ce retard et la crise qui secouent certains politiques dont notamment le FLN et le RND ou alors le résultat de manœuvres en perspective de l’élection présidentielle. En juillet dernier déjà, le RCD, seul parti à avoir boycotté l’élection du 10 main, tirait la sonnette d’alarme. “Le simulacre législatif du 10 mai dernier illustre, on ne peut mieux, la faillite du système et donne une image affligeante d’un État installé durablement dans le provisoire, la prébende et le mépris. Le mutisme aussi incompréhensible qu’humiliant d’un chef d’État en convalescence perpétuelle et le maintien d’un “gouvernement intérimaire” témoignent de l’incapacité à appréhender les enjeux nationaux et planétaires”, écrivait le RCD. Seuls pour l’heure, le FLN et le RND, deux partis-béquilles du pouvoir, se complaisent dans le silence. Alors à quoi est due cette paralysie ? En l’absence de transparence et eu égard aux traditions du sérail, il serait illusoire de se hasarder à quelques pistes de lecture, mais il reste que l’absence de volonté politique d’aller à de profondes réformes ; l’enjeu de la présidentielle de 2014 et les divergences autour du contenu de la révision constitutionnelle, sans compter les tiraillements qui minent les partis au pouvoir sont, dans une large mesure, à l’origine de ce qui s’apparente à une prise d’otages du pays. Mais jusqu’à quand ?

K K