Bilan du gouvernement: Des chiffres et des contradictions

BILAN DU GOUVERNEMENT

Des chiffres et des contradictions

L’Expression, 28 décembre 2006

La réalité du terrain remet en cause les chiffres avancés par les organismes étatiques.

La Banque d’Algérie a été sommée par le chef de l’Etat de vérifier l’exactitude des chiffres avancés, incessamment, par les membres du gouvernement et d’instruire la presse et, à travers elle, les citoyens, si la duperie est constatée. On ne peut plus clair, le chef de l’Etat a fait savoir à M.Laksaci, le gouverneur de la Banque des banques que «si certains chiffres se révèlent faux, il faut le dire à l’opinion publique via la presse…il faut que la vérité soit dite à notre peuple». Cette défiance affichée par le premier magistrat du pays quant à la véracité des chiffres du gouvernement, n’est, en fait, que la traduction officielle des contradictions sautant aux yeux des plus simples des Algériens. Lesquels, en examinant certains chiffres avancés par de hauts responsables, croiraient que ces derniers parlent d’un autre pays.
Il n’est secret pour personne, d’ailleurs, que les données lancées de part et d’autre, laissent perplexe le plus naïf de nos concitoyens. Les vérités tangibles que l’on vit quotidiennement sont là, démentant, dans beaucoup de cas, ce qu’on déclare au sujet du taux de chômage, de la pauvreté et autres données inhérentes aux monumentaux exploits réalisés dans les secteurs de l’habitat, de la santé et les taux d’avancement atteints dans la réalisation des projets. Les chiffres du ministère de la Solidarité nationale, situant le taux de chômage en 2005, aux alentours de 12%, puis leur infirmation par les statistiques de l’ONS (Office national de statistiques) les situant à 15%, seraient, vraisemblablement, l’une des raisons ayant poussé Bouteflika, à appeler le chat par son nom. Ce fait n’est pas le premier en son genre, puisqu’il y a quelques mois, le président est allé jusqu’à qualifier certains ministres et walis de «menteurs».
Loin des rapports du FMI et de la Banque mondiale, auxquels on peut coller, aisément, l’étiquette de la mauvaise foi, les rapports de conjoncture du Cnes (Conseil économique et social), ont remis en cause, à maintes reprises, les chiffres avancés par des organismes étatiques. A titre d’exemple, dans son dernier rapport concernant le premier semestre 2006, le Cnes a dressé un tableau très critique à l’égard des secteurs de l’éducation, de l’emploi et de la formation professionnelle. En avançant un taux de chômage de 34%, touchant la tranche d’âge de 16 à 19 ans, le Cnes avait étalé au grand jour les défaillances du système éducatif qui a enregistré, en 2004, un niveau de déperdition scolaire touchant 534.000 jeunes. Même cas de figure pour le secteur de la formation professionnelle qui a enregistré, en 2005, un taux d’abandon de l’ordre de 68.818 apprenants. Malgré l’effort fourni par cet organisme, son président, M.Mohamed Seghir Babès, a reconnu, récemment, que l’élaboration d’un rapport de conjoncture crédible et fiable, nécessite une «volonté politique au plus haut niveau de l’Etat afin d’accompagner et soutenir les efforts du Cnes». Faisant allusion, par là, aux contraintes que rencontre son instance dans la collecte de données et de statistiques concernant les divers secteurs.
La problématique traitant de la vérification des données émanant de sources officielles est des plus délicates. La Banque d’Algérie, la seule à en posséder les moyens, ne fait pas de cette tâche une priorité bien qu’elle soit incontournable si l’on veut briser l’opacité entourant la gestion des affaires de la nation. La presse, censée informer le peuple et éclairer son lectorat sur des questions touchant directement sa vie de tous les jours, se trouve le plus souvent, incapable de se frayer un chemin parmi le flot de chiffres dont on l’assiège. Un situation induite par le fait que cette presse n’a pas l’accès aux sources lui permettant de vérifier telle ou telle information.
Dans le meilleur des cas, la presse procède à la comparaison des données des différentes sources ou se contente de faire le lien de ce qu’on lui avance avec ce que vit, quotidiennement, le commun des mortels.
Ces facteurs, ajoutés à l ’inexistence d’organismes indépendants, en mesure d’effectuer des enquêtes crédibles, de disséquer les bilans officiels et officieux, ont fait en sorte que les tendances prenant le peuple pour dupe, deviennent monnaie courante au sein des multiples cercles de responsabilité.

Farouk DJOUADI