Coup d’Etat en Mauritanie: Rabat se place, Alger observe, Tunis condamne

Les pays de l’UMA entre condamnation et attentisme après le coup d’Etat en Mauritanie

Rabat se place, Alger observe, Tunis condamne

Le Quotidien d’Oran, 6 août 2005

A l’exception de la Tunisie, les pays du Maghreb ont choisi d’attendre et de voir venir après le coup d’Etat qui a renversé Moâouiya Ould Taya. Rabat a cependant pris les devants en dépêchant rapidement un envoyé spécial du Roi à Nouakchott.

Privilège de l’éloignement, la Tunisie, contrairement aux autres pays de l’Union du Maghreb Arabe, a rapidement affiché une «position de principe» hostile au coup d’Etat qui a renversé Moâouiya Ould Taya.

C’est la loi du genre! Plus les intérêts sont immédiats et concrets et moins on est enclin à faire dans les «principes». Tunis est loin de Nouakchott et cela permet, à peu de frais, au pouvoir tunisien, d’exprimer une «constante position de principe quant à la condamnation de la prise du pouvoir par la force et par les moyens anticonstitutionnels». Et de réaffirmer son attachement au «respect du cadre institutionnel et démocratique, par l’alternance au pouvoir de façon à assurer la sécurité et la stabilité». Une leçon de démocratie en somme, conforme en tous points à celle de l’Union Africaine, mais qui ne pèsera sans doute pas sur le déroulement des évènements.

La Tunisie n’a pas d’intérêt particulier en Mauritanie et c’est ce qui explique sa prise de position rapide et sans ambages. Mais les affirmations de «principe» peuvent n’être qu’un exercice formel qui cache mal une certaine satisfaction. C’est le cas de la France, autre Etat «maghrébin» plutôt en froid avec le président déchu, qui s’est dit préoccupée et a rappelé «sa position de principe qui condamne toute prise de pouvoir par la force et appelle au respect de la démocratie et du cadre institutionnel légal». Ceci pour la forme car des «experts» cités par la presse française qualifient la chute de Ould Taya de «bonne nouvelle» et affirment avec jubilation que le «clan des francophiles a gagné». Bref, si on n’applaudit pas franchement, c’est que cela ne se «fait pas». En tout cas, l’attitude des Etats-Unis est, formellement du moins, beaucoup plus franche puisqu’elle a réclamé le retour au pouvoir constitutionnel, donc à Ould Taya.

Contrairement à la position de «principe» affichée par la Tunisie -le rejet des pouvoirs issus des coups d’Etat figure désormais dans la charte de l’Union Africaine-, le Maroc et l’Algérie ont choisi de faire dans le mutisme.

C’est le cas également de la Libye qui avait des relations détestables avec le président déchu. Ould Taya avait accusé le régime libyen d’avoir fomenté une tentative de coup d’Etat contre lui et les rapports étaient si envenimés que c’est devenu un élément de plus dans les blocages de l’UMA. Le nouvel homme fort du régime, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, président du nouveau Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie a reçu jeudi l’ambassadeur d’Algérie et les chargés d’affaires de Tunisie et de Libye. Une première prise de contact avec les représentants sur place des pays de l’UMA qui s’est faite à l’initiative du nouveau pouvoir.

Par contre le Maroc, dont Ould Taya était très proche, s’est empressé de prendre acte de sa chute et a émis un signal fort en direction du nouveau pouvoir en dépêchant un envoyé spécial du Roi à Nouakchott. Un conseiller spécial du Roi marocain,

M. Yassine Mansouri est arrivé dès jeudi dans la capitale mauritanienne, c’est-à-dire au lendemain du coup d’Etat, et a été reçu par le colonel Ely Ould Mohamed Vall. S’agit-il seulement de «négocier» avec les nouveaux dirigeants mauritaniens l’éventuelle installation de Ould Taya au Maroc en donnant des assurances qu’il n’aura pas d’activités politiques? C’est une lecture possible, mais la rapidité de l’arrivée d’un officiel marocain pourrait être l’indice que les Marocains étaient au «parfum» des préparatifs du putsch et qu’ils ont pris des «assurances», ce qui explique qu’ils s’abstiennent de regretter publiquement la chute de leur ami.

L’Algérie dont les relations n’étaient pas au beau fixe avec le régime mauritanien (la décision de la Mauritanie d’établir des relations avec Israël avait suscité des commentaires peu amènes du Président Bouteflika), mais tendaient à se stabiliser, semble plus attentiste.

L’absence de condamnation du coup d’Etat est significative (dans des cas similaires en Afrique, Alger, au nom de la charte de l’Union Africaine avait énoncé des condamnations sans équivoque) d’un souci d’en savoir plus sur les intentions du nouveau régime et une volonté de ne pas obstruer l’avenir.

Un réalisme que certains qualifieront de compréhensible mais qui montre aussi que la diplomatie a du mal à intégrer de manière absolue les principes proclamés. Il est vrai que les Mauritaniens paraissent réellement soulagés de la chute de Ould Taya… mais cela ne vaut pas argument.

M.Saâdoune