Graham Hand: «On s’apprête à vendre des équipements militaires à l’ANP»
GRAHAM HAND, Ambassadeur du Royaume-Uni à Alger
«On s’apprête à vendre des équipements militaires à l’ANP»
El Watan, 26 janvier 2003
La Grande-Bretagne vient d’autoriser des sociétés britanniques de vente d’équipements militaires à examiner les demandes de l’Algérie dans ce domaine. C’est ce qu’a révélé l’ambassadeur du Royaume-Uni, Graham Hand, dans cet entretien qu’il nous a accordé.
Ne pensez-vous pas que ces opérations en milieu islamiste, en particulier algérien, viennent un peu tard ?
Il fallait accélérer les vérifications de nos connaissances sur ces gens. Avant, il n’était pas possible de les arrêter parce qu’ils n’ont rien fait sur notre sol. Cette fois-ci, nous sommes face à des extrémistes qui avaient l’intention de commettre des attentats chez nous.
Mais qu’en est-il de ceux qui vendent des enregistrements vidéo sur les massacres en Algérie, qui appellent au meurtre et qui revendiquent les attentats terroristes à partir de Londres ?
Pour nos services, il fallait trouver les sources de ces enregistrements, identifier ceux qui les enregistrent, et dans le même sens, il nous fallait petit à petit arriver aux véritables terroristes. Les résultats, vous les voyez aujourd’hui avec les arrestations opérées par nos forces de police.
Toutes ces informations vous ont pourtant été révélées par les services algériens et à temps…
Les informations fournies par les Algériens et les Français ont été très importantes. Cependant, il nous fallait du temps. Il fallait aussi le 11 septembre pour créer dans l’esprit des Britanniques l’idée que les terroristes sont également implantés en Grande-Bretagne. Chez nous, les gens tiennent trop à la liberté d’expression et réagissent mal lorsque les autorités veulent la limiter. Maintenant, tout le monde est conscient du fait que cette liberté ne peut être sans limite pour les gens qui s’adonnent aux activités terroristes. Les arrestations vont d’ailleurs se poursuivre dans les milieux extrémistes. Pendant trop longtemps, nous avons toléré à cause de nos traditions très libérales. Pour nous, il était difficile de croire que parmi ceux que nous avons accueillis et hébergés, il y avait ce cancer. Il faut reconnaître qu’il nous a fallu des années. La découverte de traces de ricine est très importante à mon avis.
Mais à ce jour, les services britanniques ne l’ont pas trouvée…
La ricine existe. Nous savons que quelqu’un parmi le groupe l’a cachée quelque part. Ce produit est très dangereux, et les spécialistes savent qu’il ne peut être transporté aussi facilement. Il nécessite des moyens assez particuliers. Ce qui nous laisse penser que la ricine a été fabriquée pour être utilisée en Grande-Bretagne.
Vous partez sur des suppositions, alors pourquoi en ce qui concerne l’Algérie, vous vouliez arriver à des preuves matérielles ?
C’est à cause de notre conception de la liberté. Après le 11 septembre, les gens ont compris que rester figé sur cette idée était une bêtise. Maintenant, les concepts ont changé et beaucoup de pays l’ont compris. Je peux dire que ce décalage est la conséquence de la violence qui régnait chez vous. Au niveau du Foreing Office (Affaires étrangères), les responsables savent que l’Algérie est un pays important ; mais ils préfèrent ne pas essayer de le comprendre et nous avons donc perdu cette compréhension, probablement à cause de la distance qui nous sépare.
Vous reconnaissez qu’on aurait pu limiter le nombre de victimes en Algérie, si votre pays avait réagi un peu plus tôt…
Oui. Nous étions en décalage par rapport à ce qui se passait chez vous. Ce n’est qu’aujourd’hui, après la découverte de ce poison, la ricine, chez les extrémistes islamistes, que l’opinion publique commence à s’intéresser à l’Algérie. Néanmoins, j’ai peur que cette même opinion puisse penser que ce qui se passe en Grande-Bretagne soit la faute de l’Algérie.
Peut-on avoir une idée sur le nombre des Algériens installés en Grande-Bretagne ?
Il est très difficile de l’avoir tout simplement parce que chez nous, il n’y a pas le système de carte d’identité. Cependant, nous pensons qu’ils sont 10 000 Algériens à être en règle, et autant en situation irrégulière. Parmi toute cette communauté, les islamistes ne représentent qu’un noyau très réduit mais qui sème le trouble et la terreur parmi leurs compatriotes. Ces gens-là sont les plus aptes à commettre des attentats. Il faut reconnaître que la majorité des autres Algériens est bien intégrée et occupe des postes de responsabilité assez élevés. Il existe de nombreux professeurs d’université de très haut niveau, qui font honneur à leur pays.
Pourquoi d’après-vous, ces islamistes que votre pays connaît assez bien pour les avoir accueillis et bien hébergés, versent dans des activités terroristes ?
Les islamistes sont installés chez nous depuis des années sans aucun problème. Il y avait ceux qui encouragent par les discours Al Qaîda et ceux qui y activent en versant dans le terrorisme. Certains sont très discrets et ne s’affichent jamais. D’autres s’exhibent publiquement. Après la chute des talibans, nous savons que de nombreux terroristes sont rentrés en Grande-Bretagne. Ces gens servent peut-être de noyaux aux extrémistes islamistes qui se trouvent déjà sur le sol britannique.
Est-il vrai que le démantèlement du réseau de terroristes algériens à Londres et à Edimbourg est le fruit d’informations fournies par les services algériens ?
Il y a les Algériens, mais les Français également. Dans ce genre d’opérations, la coopération entre les pays est très importante.
L’Algérie a présenté une liste d’une centaine de terroristes algériens vivant en Grande-Bretagne, et vos autorités n’y ont jamais donné suite. Qu’en pensez-vous ?
Je refuse de répondre à cette question qui relève du domaine du renseignement.
L’Algérie est toujours soumise à un embargo sur la vente d’équipements militaires nécessaires à la lutte contre le terrorisme. Quelle appréciation portez-vous à ce sujet ?
C’est vrai et ce n’est plus un secret maintenant. Depuis le début des années 90, les sociétés privées de vente d’équipements et d’armes ont coupé tout contact avec l’Algérie. Peut-être parce que la société civile jugeait vos forces de sécurité par rapport aux atteintes aux droits de l’homme. Je peux vous dire néanmoins que les choses ont changé depuis peu. D’ailleurs, une délégation de notre ministère de la Défense s’est rendue en Algérie récemment. Les sociétés privées d’armement ont été autorisées donc à examiner les besoins de l’Algérie en matière d’équipements militaires d’abord et après l’armement. Il faut dire que même formel, l’embargo existait, alors qu’avant 90 nos sociétés privées de vente d’armes avaient des contrats de vente avec l’Algérie. Aujourd’hui, avec la signature de ce contrat, c’est le deuxième domaine économique, après les hydrocarbures, dans lequel la Grande-Bretagne va être présente en force. Ce qui est important, c’est de recréer les liens réciproques, par les visites de haut niveau, suivies de celles des hommes d’affaires.
Pensez-vous que le marché algérien puisse intéresser les Britanniques ?
L’Algérie perd beaucoup, surtout en matière de niveau de vie, parce que les réformes ne sont pas terminées. Il ne s’agit pas d’améliorer l’image du pays, mais de créer toutes les conditions nécessaires pour encourager les investissements. Qu’est-ce qui a fait de l’Angleterre un pays qui reçoit le plus de fonds d’investissement, si ce n’est pas les mesures incitatives et surtout l’environnement qui encouragent les hommes d’affaires à s’installer. En fait, ce n’est pas l’image d’un pays dangereux qui repousse les investisseurs, mais de voir que ces derniers se rendent compte qu’ils sont dans un pays qui n’arrive pas à réformer son économie en dépit des discours de ses ministres faisant l’apologie du progrès. La bureaucratie persiste et Alger doit prendre sérieusement en compte cet aspect des affaires pour faciliter les voies d’investissement.
Comment se fait-il qu’avec cet environnement aussi fermé à l’investissement, vos compagnies pétrolières soient très présentes dans le Sahara ?
Tout simplement parce que notre esprit dans ce domaine est très intéressant. Nous avons de l’expérience, acquise au Moyen-Orient. Nous sommes en train de nous préparer à entrer également dans le domaine de l’offshore. Beaucoup d’autres secteurs nous intéressent, comme celui des produits pharmaceutiques où de gros investissements de montage d’une unité de production à Boumerdès sont à leur phase finale. Il y a aussi les secteurs de l’hydraulique, de l’informatique, de l’agriculture, des détergents et de l’agroalimentaire. A Oran, nous finaliserons un projet de construction d’une usine de produits de base (détergents) très prochainement. J’espère que notre expérience sera utile aux Algériens, et que ce retour dans votre pays puisse rétablir les relations, coupées, entre les deux pays.
Ne pensez-vous pas que ce réchauffement des relations algéro-britanniques risque d’être voué à l’échec à cause des frappes éventuelles contre l’Irak ?
La guerre n’est jamais souhaitable. Elle est terrible. Mais Saddam ne nous laisse pas le choix…
Mais aucune preuve n’existe sur la présence d’armes chimiques en Irak
Notre gouvernement possède des éléments d’informations qui prouvent que Saddam a fabriqué de l’armement chimique. La résolution 1441 du Conseil de sécurité de l’ONU a été approuvée par l’ensemble des membres, y compris par son voisin la Syrie. Il faut donc qu’il comprenne qu’il doit cesser de fabriquer ces armes.
Mais, même s’il en fabrique, Israël aussi possède ce genre d’armements à destruction massive et pourtant personne ne l’inquiète…
N’oubliez pas que Saddam est un homme unique dans la mesure où il a utilisé l’arme chimique contre son peuple et Israël. Nous avons peur qu’il l’utilise une deuxième fois. C’est un régime non démocratique qui fait souffrir son peuple. Dans les régimes démocratiques, il n’y a jamais eu de guerre contre la population. Pour nous, il est inacceptable que Saddam continue à agir en dictateur.
Pourtant dans de nombreux pays, notamment dans les monarchies du Golfe, les droits de l’homme et la démocratie sont quotidiennement bafoués et les dirigeants ne sont jamais qualifiés de dictateurs…
Le respect des droits de l’homme n’est pas perçu comme cela. La différence est que vous êtes face à un pays qui est dirigé par quelqu’un qui fait ce qu’il veut et de plus possède l’arme de destruction massive.
Avez-vous pensé à l’après-guerre et à la réaction du peuple irakien ?
Je pense que quelques mois après l’euphorie de la libération, le peuple irakien sera peu favorable à notre égard. Il faudra qu’il sache que nous ne cherchons pas à contrôler ses réserves pétrolières comme cela se dit çà et là. Nous savons que le pétrole irakien est en baisse, faute de maintenance et donc nous ferons tout pour aider à la reconstruction de ses capacités de production. En fait, nous voulons l’acheter et non pas le contrôler.
Donc vous êtes sûr que la guerre est inévitable…
Il existe actuellement 200 000 hommes dans la région. Nous voulons juste faire comprendre à Saddam que nous sommes sérieux dans nos menaces.
C’est juste pour le menacer que vous avez déplacé toute une armada et avec tout le budget que cela suppose ?
Il est évident que ce n’est pas pour faire de l’exercice que l’on envoie des troupes d’une aussi grande importance dans la région. Mais la guerre est pour nous la dernière ressource pour faire abdiquer Saddam.
Quelle est la position de votre pays par rapport au conflit du Sahara-Occidental ?
Sur le plan humanitaire, il s’agit d’une tragédie. Je voudrais tant que les parties acceptent les propositions de James Baker, pour mettre fin à cette situation assez tragique non seulement pour le peuple sahraoui, mais également pour les relations algéro-marocaines.
Ne sommes-nous pas ici devant une situation de non-application des résolutions de l’ONU ?
Effectivement. Mais les choses ont changé. A mon avis, c’est un piège de rester bloqué à l’année 1974. Je pense que tout accord non accepté par la population sahraouie ne peut aboutir.
Par S. T.