Comment le DRS est devenu une coquille vide

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Comment le DRS est devenu une coquille vide

Yacine Babouche, TSA, 6 septembre 2015

Le 16 juillet 2013, date du retour du président Bouteflika en Algérie après un séjour de 80 jours en France pour raisons médicales, a marqué le coup d’envoi d’une vaste opération menée par le clan présidentiel en vue de déstructurer et vider de sa substance le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS). Deux ans après, la « restructuration » a pris fin. Retour sur deux années de décisions qui ont transformé le département du Général Toufik en une coquille vide.

De retour du Val de Grâce, le président Bouteflika a d’abord limogé en juillet 2013 le colonel Faouzi, le chef du Centre de communication et de diffusion (CCD), le service de presse du DRS. Le limogeage du colonel Faouzi a été suivi par le transfert du CCD à l’état-major, avant qu’il ne soit purement et simplement dissous. Deux ans plus tard, la gestion des enquêtes pour les accréditations des journalistes algériens travaillant pour les médias étrangers, qui était du ressort du CCD, a été confiée à la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA).

Extraire de la zone d’influence…

Le limogeage du colonel Faouzi donne le coup d’envoi à une série de changements et de restructurations au sein du DRS. En septembre, le général Bachir Tartag, à la tête de la Direction de la sécurité intérieure (DSI, contre-espionnage) depuis décembre 2011, est démis de ses fonctions. Il est remplacé par le général Bendaoud. Néanmoins, le choix de ce dernier ne s’est avéré être qu’un coup intermédiaire, le général Bendaoud ayant ensuite été lui-même limogé en juillet 2015. Dans la foulée, la DSI est placée sous l’autorité directe de la présidence de la République. Entre temps, le général Tartag a rejoint la présidence de la République en septembre 2014 en qualité de Conseiller du président Bouteflika en charge des affaires de sécurité.

La Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA) a quant à elle été placée, en septembre 2013, sous l’autorité directe du chef d’état-major et vice-ministre de la Défense, le général Ahmed Gaid Salah. Depuis, cette Direction a récupéré progressivement toutes les prérogatives du DRS. A sa tête depuis 2005, le général Djebbar, un proche de Toufik, est démis de ses fonctions en septembre 2013 et est remplacé à ce poste par le général Lakhdar. Depuis, la DCSA récupère une partie des missions et des prérogatives du DRS.

La Direction de la documentation et de la sécurité intérieure (DDSE) est elle aussi rattachée à l’état-major en septembre 2013, et le général Bouzit est nommé à sa tête. Le Groupe d’intervention spécial (GIS), l’unité d’élite appartenant au DRS, passe lui aussi sous la tutelle de l’état-major. Enfin, la Direction générale de la sécurité et de la protection présidentielle (DGSPP), qui dépendait du DRS, a été également rattachée à l’état-major de l’armée en juillet 2015, sous l’autorité directe du général Ahmed Gaid Salah.

Au début de l’année 2014 le général Hassan, chef du Service de coordination opérationnel et de renseignement antiterroriste (SCORAT) et l’un des plus proches du patron du DRS, est démis de ses fonctions et remplacé par le colonel Youssef. En outre, le SCORAT passe en aout 2015 sous la tutelle de la DCSA, elle-même rattachée à l’état-major. Il y a quinze jours, le général Hassan est arrêté chez lui. Depuis, il est à la prison de Blida dans l’attente d’être interrogé par le juge sur des faits qui seraient graves, selon des sources proches du dossier.

…Et réduire cette dernière

En plus d’extraire ces directions de la zone d’influence du patron du DRS, le clan présidentiel s’est évertué à réduire ladite zone d’influence en retirant les prérogatives majeures donnant au DRS l’influence qu’on lui connaissait.

Le 22 septembre 2013, le service central de la police judiciaire du DRS, qui avait notamment mené les enquêtes sur la corruption, dont l’affaire Sonatrach, est dissous par décret présidentiel. Huit mois plus tard, en juin 2014, un service d’investigation judiciaire est créé et placé sous l’autorité de la DSI, passée depuis dans le giron de la présidence.

Fin aout 2015, le service de l’intelligence économique dépendant du DRS est lui aussi dissous. De plus, le DRS a perdu la gestion logistique du service d’écoutes téléphoniques. Ce dernier est passé sous l’autorité d’une commission mixte composée des ministères de la Défense, de l’Intérieur, des Télécommunications et de la Gendarmerie. Le pouvoir exécutif réduit aussi significativement, en août 2015, le champ d’action du DRS en encadrant l’interdiction de sortie du territoire lors de la dernière modification du code de procédure pénale. L’interdiction de sortie du territoire ne peut dorénavant être prononcée que par la justice. Avant, le DRS pouvait interdire à des personnes de quitter le territoire sans l’avis du juge.

Des changements, mais pourquoi ?

Aujourd’hui, le général Toufik, considéré il y a encore quelques mois comme le véritable patron de l’Algérie, règne sur une coquille vide. « Il lui reste son secrétaire particulier et deux femmes de ménage », ironise un connaisseur du système.

Mais énumérer les mesures prises par le président et son entourage pour réduire l’influence du DRS est une chose, comprendre pourquoi ces mesures ont été prises en est une autre. À ce stade, il est difficile de connaître les raisons exactes ayant poussé à cette campagne de déstructuration du DRS. Cela peut être la résultante de deux scénarios.

Le premier voudrait que le président ait eu la volonté de faire estomper ce « pouvoir parallèle » qui parasite les décisions et les actions du pouvoir civil, soutenu par l’armée. L’autre scénario voudrait que le clan présidentiel ait eu la volonté d’éliminer un adversaire, le DRS en l’occurrence, qui aurait peut-être évoqué la possibilité qu’un président malade et affaibli laisse sa place suite à son hospitalisation en France en 2013, remettant ainsi en cause le statu quo établi depuis quinze ans.

En définitive, peu importent les raisons motivant les mesures prises par le président et son entourage. La machine qui a été lancée en 2013 et qui s’est poursuivie tout au long des deux dernières années a mené à la situation actuelle qui fait qu’aujourd’hui le DRS n’est plus – en apparence – qu’une coquille vidée de sa substance.

Une déstructuration du même genre avait déjà eu lieu à la fin des années 1970 avec la prise de fonction du président Chadli Bendjedid. Les ressemblances entre cette époque et l’actuelle sont d’ailleurs frappantes. Outre la déstructuration de la Sécurité militaire, on a aussi assisté durant les années 1980 à la consolidation du FLN comme parti-État, comme c’est redevenu le cas actuellement, et une crise économique causée par la chute des cours de pétrole avait touché l’Algérie de plein fouet.

Ces événements avaient contribué aux émeutes de 1988 et à l’émergence de l’islamisme radical, qui a lui-même donné la décennie noire que l’Algérie a connue. En espérant que l’histoire ne se répète pas…