Les démentis de Ali Bensaâd

Les démentis de Ali Bensaâd

Par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 27 janvier 2005

Ali Tounsi veut amender la fiche bleue. Ali Bensaâd reste une fiche bleue.

Ali Bensaâd est un homme aussi encombrant que chanceux. Expulsé par la porte du nord, il est le revenu par la fenêtre du sud. Intronisé par le terrorisme, il a été consacré par les tenants de la modernité. Victime de Mohamed Betchine pendant les dramatiques années 1990, il reprend du service, une décennie plus tard, toujours dans le rôle de victime. Cette fois-ci, il met en cause des spécialistes de l’enlèvement, suivi de la mise en cagoule et de l’interrogatoire discret mais très significatif. C’est là une méthode très connue, bien que rarement évoquée par la presse, une méthode que l’auteur de ces lignes a expérimentée bien malgré lui le 10 octobre 1988. Mais au-delà de cet aspect répétitif de ce qui lui arrive et de ses ennuis avec les puissants du pays, Ali Bensaâd est d’abord un démenti à répétitions à ce qui se dit quotidiennement dans le pays en termes de droit, de normalisation, de justice et d’Etat de droit. Il suffit de suivre son itinéraire pour y trouver une succession de faits qui montrent que le discours politique officiel est faux et très souvent hypocrite. Il y a dix ans, Bensaâd a été un démenti pour ceux qui pensaient que les violations du droit étaient acceptables tant que les victimes en étaient les «autres», les islamistes et autres porteurs de «barbes hirsutes». Barricadé dans son confort d’Algérie «utile», d’Algérie «moderne», d’Algérie «qui avance» ou simplement d’Algérie proche du pouvoir, tout un pan de la société avait alors fermé les yeux sur les graves violations des Droits de l’Homme qui avaient cours à cette époque. Parfois, ces courants sont allés plus loin, pour soutenir le dérapage et lui apporter la caution «morale» et «intellectuelle», notamment pour faire face aux critiques externes. Car les critiques internes n’avaient plus de valeur, depuis longtemps. Les saloperies n’arrivent qu’aux autres, disait-on dans les milieux bien pensants de la périphérie du Club des Pins. Khaled Nezzar et les siens, sauveurs de la République et protecteurs des libertés, ne s’en prendraient jamais aux «amis».

Jusqu’au jour où on a découvert, par l’affaire Bensaâd, que le terrorisme pouvait constituer un alibi très commode pour régler des comptes et éliminer les adversaires politiques. Condamné à tort, contraint à l’exil, Ali Bensaâd a vu sa vie complètement bouleversée. Dans son malheur, il a eu beaucoup de chance de trouver des médias qui relaient ses déclarations, tirant probablement profit d’une conjoncture favorable, marquée par la disgrâce de Mohamed Betchine. D’ailleurs, on se demande encore si Bensaâd aurait bénéficié de la même campagne si Betchine était resté au pouvoir.

Mais d’autres victimes de l’arbitraire n’ont pas trouvé des oreilles aussi attentives. Bien au contraire, Hamid M., ancien «cadre», arrêté, torturé, hospitalisé, avant d’être acquitté, n’a jamais fait l’objet d’une ligne dans la presse. Il appartenait au mauvais «camp»: il n’était pas islamiste, mais il n’était pas non plus un éradicateur forcené.

Bensaâd, malgré lui, constitue ainsi un autre démenti: les Algériens ne sont pas égaux devant la justice. Ou plutôt devant l’injustice. Car si Bensaâd a été assez rapidement entendu par la presse, Salah Eddine Sidhoum, également condamné à tort, a passé de longues années à tenter de se faire entendre. En vain. Il était dans le camp du diable.

Et c’est bien le diable si on sait quelle signification il faut donner à cette nouvelle arrestation de Bensaâd à Tamanrasset. On ne trouve, de prime abord, aucune motivation sérieuse. Y compris dans la fameuse logique de la «guerre des clans»: qui joue à quoi contre qui en procédant ainsi ? Difficile de trouver une réponse, même s’il y en a une qui s’impose sérieusement, comme toujours: un interrogatoire est un acte normal, banal, dans un système policier.

De ce point de vue, Bensaâd représente un autre démenti: il détruit l’opération de charme lancée par Ali Tounsi en vue de «relooker» les services de sécurité. Rejetant les méthodes utilisées pour élaborer la fameuse «fiche bleue», celle qui détermine qui sont les bons citoyens et qui sont les mauvais, le patron de la police a promis de nouvelles méthodes pour mener les enquêtes et élaborer les «fiches». Il a déploré que nombre d’Algériens aient vu leur carrière détruite par des fiches rédigées par des incompétents. Il n’a pas pour autant remis en cause le principe de la fiche en lui-même, un principe qui donne à des Algériens le droit de détruire d’autres Algériens. Et même si c’était le cas, même si Tounsi devenait, d’un coup, un grand démocrate, hostile à toute idée de fiche, Ali Bensaâd est là pour lui prouver que rien n’a changé en Algérie. Car pendant que Tounsi parle, les autres agissent. Comme pour démentir les propos du patron de la police, et lui rappeler qu’il n’est là que de passage, qu’il n’a pas le droit de changer les règles du jeu. Même si lui aussi a fait partie, un jour, de la grande famille, celle des héritiers de Boussouf.