La capitale en état de siège

Un impressionnant déploiement policier a été mis en place

La capitale en état de siège

El Watan, 12 février 2011

Alger est sous un quadrillage policier. Les principaux boulevards et carrefours de la capitale étaient, hier, sous haute surveillance policière en prévision de la marche populaire d’aujourd’hui, à laquelle a appelé le Coordination nationale pour le changement et la démocratie en Algérie (CNCD).

C’est un véritable déploiement de la terreur. La ville était déserte, laissant les rues aux seuls camions à canon arroseur, fourgons cellulaires, Nissan et policiers armés de kalachnikovs.
Dès la matinée d’hier, des régiments de l’unité républicaine de la sécurité ont pris position à la place du 1er Mai, alors que d’autres engins de la police sont stationnés à l’entrée de la maison de la presse Tahar Djaout.

A quelques mètres, au boulevard Hassiba Ben Bouali, c’est un impressionnant dispositif de sécurité qui a été mis en place. Ainsi, tous les accès à la place du 1er Mai sont sous le contrôle des forces de l’ordre, dans la perspective d’empêcher les manifestants d’y accéder. Le spectacle est le même au niveau de la Grande-Poste où camions et fourgons de police ont pris position sur l’esplanade. En contre-bas, le jardin Sofia est réquisitionné par la police. Le déploiement sécuritaire est encore plus visible au niveau du siège de la wilaya d’Alger, aux alentours du Conseil de la nation. Il est d’autant plus considérable au square Port-Saïd et à la place des Martyrs à tel point que les citoyens se sentent sous l’état d’exception. «On dirait que nous sommes en guerre», a tonné un passant. En effet, c’est une «guerre» contre des Algériens qui ne veulent qu’exprimer pacifiquement leurs opinions sur une situation politique et sociale de plus en plus intenable. Sinon, comment expliquer cet étalage de la force. Même la rue Didouche Mourad, habituellement épargnée par ce genre de démonstration, était, hier, «bleue» par la forte présence policière.

Du Sacré-Cœur jusqu’ à la place Audin, des policiers à pied et en voiture font les allers-retours en scrutant toutes les ruelles. Sur les hauteurs de la capitale, la présence policière est également plus visible, notamment à El Biar, pas loin des bureaux du parti du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et en bas de la rue Souidani Boudjemaâ, non loin du siège du parti du Front des forces socialistes, où trois fourgons de la police contrôlent le carrefours menant vers El Mouradia.

Le même dispositif est déployé aussi à l’entrée est de la capitale. Tout au long de l’autoroute est d’Alger, les barrages de la police sont renforcés. A El Hamiz, Bab Ezzouar et au Ruisseau, les postes de contrôle procèdent déjà au filtrage des véhicules en provenance des wilayas de l’est du pays. Au niveau du barrage «les Bananiers», un policier avec une caméra filme carrément les véhicules. L’on parle de plus de 25 000 policiers qui ont été mobilisés pour réprimer la marche à laquelle prendront part des partis d’opposition, des syndicats et autres organisations de la société civile.

Des régiments des wilayas limitrophes sont appelés à la rescousse. Le renforcement du dispositif de sécurité sera sans doute plus important aujourd’hui. Ainsi, le pouvoir actionne son appareil répressif comme seule réponse à une demande politique de la société. «Cela reflète la panique qui s’empare du pouvoir. Les précédents tunisien et égyptien font trembler le régime. Protéger Alger c’est sauver le pouvoir», a estimé le politologue Ahmed Rouadjia.
Il a indiqué que «les gens au pouvoir ne réfléchissent pas et n’ont pas d’autre solution à proposer que la force brutale. Comme Ben Ali et Moubarak, ils ont un doctorat en matière de refus et d’aveuglement. C’est un régime qui doit mordre avant d’être mordu». De ce fait, la marche d’aujourd’hui sera un test difficile non pas pour l’opposition, mais pour le pouvoir. La chute de deux despotes, Ben Ali et Moubarak, par ailleurs deux amis de Bouteflika, donne des
vertiges.
Hacen Ouali


Alger : Peur bleue

Alger étouffe sous le déploiement policier. Jamais la capitale n’a connu une telle descente, une telle exhibition des forces de police, non pas pour rétablir un quelconque ordre, mais pour faire peur au petit peuple à la veille de la marche décidée par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD).

On ne savait pas qu’une manifestation pacifique, à laquelle ont appelé la société civile et des partis politiques, faisait autant peur ? Il n’est pas une ruelle à Alger qui ne soit quadrillée ! Une véritable démonstration de force qui donne plutôt une piètre image d’un pouvoir prompt à réprimer toute expression pacifique que de libérer la voie aux aspirations populaires. La manière avec laquelle il se prépare à réprimer la manifestation d’aujourd’hui le condamne plus qu’elle ne lui assure la survie. Mobiliser une vingtaine de milliers de policiers pour empêcher une marche sur laquelle on a parié qu’elle ne rassemblerait pas plus d’une centaine de personnes qu’on n’a pas cessé de vouer aux gémonies dans les médias publics n’est pas sérieux.

Plus qu’un refus d’admettre que les Algériens ont parfaitement le droit d’exprimer leur opinion ou leurs revendications de la manière qu’ils jugent utile pour peu qu’elle soit pacifique, les autorités s’enferment dans un entêtement pernicieux qui pourrait rajouter un supplément de pression à une situation déjà explosive.

En témoignent d’ailleurs les émeutes qui éclatent un peu partout sur tout le territoire national, les immolations par le feu et les autres tentatives de suicide. Un pouvoir qui n’est pas interpellé par une telle situation, préférant esbroufer sur des mesures sociales aléatoires et optant pour la répression totale prend le risque incongru et périlleux de voir les événements le dépasser. Dans le désordre. Le pouvoir semble ne pas prendre la mesure du vent de révolte qui souffle sur le monde arabe, en s’obstinant à ne pas se réformer après avoir remis en cause tous les acquis ou presque arrachés de haute lutte par les Algériens. Pour le bon sens, réprimer comme il se prépare à le faire aujourd’hui la marche d’Alger ne serait guère une solution contre une demande s’exprimant de manière pacifique et ordonnée.
Plus qu’une urgence, répondre aux aspirations démocratiques formulées, comme cela n’a jamais été, par les Algériens est un acte patriotique.

Et plutôt que de bloquer l’avènement d’une alternative démocratique et de préparer le lit aux dérapages dont personne ne peut prévoir les conséquences, ce qui est le cas jusqu’à ce jour, les tenants du pouvoir devraient admettre que la manière dont a été géré le pays a atteint ses limites. Elle est même allée au-delà. Le couple prédation-corruption et répression a installé l’Algérie dans une précarité permanente. Alors, ordre ou désordre ?
Said Rabia


Les communes d’Alger mobilisées

Les autorités locales sont sur le qui-vive en prévision de la marche d’aujourd’hui.

Le wali d’Alger, Mohamed Kebir Abbou, dans un «message urgent» daté du 9 février, adressé aux walis délégués, aux présidents d’APC et aux directeurs de l’exécutif, demande de prendre «les dispositions nécessaires à l’effet d’organiser une permanence relevée de vos structures respectives à partir de vendredi 11 février 2011» et de souligner le caractère «urgent et important» de la situation.
Le président d’une APC algéroise trouve qu’il est «tout à fait légitime que le wali adresse une telle instruction en pareille situation, la population ne peut pas être prise en otage en cas de débordement». Dans les faits, selon plusieurs maires que nous avons contactés, cela se traduit par «la mobilisation de tous les moyens humains et matériels des collectivités locales afin de faire face à une quelconque situation d’urgence, à savoir le matériel de secours, les engins, les voitures de service.

Le personnel aussi doit être présent et prêt à intervenir à tout moment, comme par exemple, à la demande des services de sécurité, mobiliser des engins pour dégager la route, etc. La cellule de permanence demeure en contact continu avec les services de l’Algérienne des eaux, de Sonelgaz et de la Protection civile afin de rapporter, heure par heure, leurs éventuelles interventions sur le terrain et les envoyer aux autorités concernées», nous expliquent-ils.
La semaine dernière, le wali délégué de Sidi M’hamed avait réuni à la salle Sierra Maestra les P/APC d’Alger-Centre, d’El Mouradia, d’El Madania et de Sidi M’hamed ainsi que des représentants d’associations et de comités de quartier afin de leur demander de sensibiliser les jeunes à ne pas participer à la marche à laquelle a appelé aujourd’hui la Coordination pour le changement et la démocratie en Algérie.

Zouheir Aït Mouhoub