Les inquiétants appels à l’arbitrage de l’armée
El Watan, 30 mai 2011
La primauté du politique sur le militaire, une bien belle quête que l’Algérie n’a malheureusement pas encore pu arracher des mains de ceux qui ont décidé, depuis l’assassinat de Abane Ramdane, de garder la loi du glaive et de nier celle de la justice.
En cette veille de célébration de son 50e anniversaire d’indépendance, l’Algérie n’est toujours pas sortie de cette mainmise du pouvoir militaire qui fait et défait les présidents, et qui prend en otage la vie politique et économique du pays. En ces temps où les peuples manifestent dans la rue leur ras-le-bol du pouvoir des castes et des casquettes, où des régimes, les plus durs, ont été ébranlés comme un château de cartes devant la volonté populaire, voilà que des voix s’élèvent dans cette Algérie, qui a pourtant tété la première le souffle libertaire pour la dignité, afin d’appeler l’institution militaire à intervenir et arbitrer «ces chamailleries de civils». Ceux qui pensaient que 1992 était bien loin ont eu tort. Le général Nezzar est d’ailleurs revenu pour rafraîchir les souvenirs et dire que la vieille garde est toujours là.
Sa réapparition publique sonnait comme l’expression apparente de la préparation d’un nouvel emballage pour une nouvelle «transition» qui n’a de nouveau que le nom. Depuis 1962, l’armée a toujours préparé le lit des équipes dirigeantes. Des coups de force à la série de simulacres de dialogues, en passant par de fausses élections libres, toutes les méthodes, et au gré des conjonctures, ont été orchestrés par un pouvoir qu’on dit de l’ombre mais connu de tous. Et voilà qu’aujourd’hui, on nous propose cet emballage de commission de consultations qui est une sorte de loft dont on exhibe les acteurs à la télévision pour faire croire à l’existence d’une volonté de réformes.
Un carnaval où même les déguisements de non-allégeance sont facultatifs.
C’est à coups d’«oyez, oyez» que cette commission ratisse large, même dans les bas-fonds de la politique, pour poster des propositions dans cette boîte aux lettres, confirmant, si besoin est, la distance que le chef de l’Etat cultive avec le reste de la classe politique. Un cadre que choisissent des juristes, Farouk Ksentini et Miloud Brahimi, dont le rôle premier devrait être celui de défendre la légalité, pour appeler l’armée, comme on appelle ce patriarche qui ne lâche jamais son bâton, à être «gardienne de la Constitution». Des appels qui viennent après celui d’un autre juriste, Ali Yahia Abdennour en l’occurrence, qui, lui, avait carrément appelé l’armée à déposer Bouteflika. Qu’est-ce donc cette tendance à appeler à chaque fois l’armée au secours ? Comme si cet acteur avait d’aventure quitté la scène politique ! On fait miroiter le modèle turc pour faire passer pour salvateur le nouvel emballage d’une autre intervention de l’armée, mais la pilule est dure à avaler.
Au lieu d’appeler l’armée à rentrer dans les casernes, et plaider pour donner aux institutions civiles leur totale liberté, légitimité et crédibilité, voilà qu’on remet au goût du jour le vieux disque d’appeler l’armée à l’arbitrage et donc à décider de tout à la place de tout le monde. A l’heure où les peuples aspirent à instaurer des démocraties, à restituer le pouvoir de décision au peuple à travers ses vrais représentants, ces appels résonnent comme une dangereuse manœuvre de sauver le système. Ces juristes doivent savoir que les peuples ne sont pas dupes et savent faire la différence entre une démocratie réelle et une transition fabriquée dans des officines.
Nadjia Bouaricha