Extrait des mémoires du Général Khaled Nezzar
Extrait des Mémoires du Général Khaled Nezzar pp: 215-258
CHAPITRE IX
1991, l’état de siège
Chihab Editions, Alger, 1999
Pendant toute cette période, l’ANP n’a à aucun moment atermoyé ou réfuté les ordres du chef du gouvernement malgré sa politique dont nous savions qu’elle nous menait droit vers tous les dangers. Nous avions continué à travailler dans le strict respect des institutions. Par contre, il était convenu entre militaires, que nous ne pouvions engager l’Armée pour un gouvernement qui avait lamentablement échoué.
Une fois l’Armée déployée, je me rendis à Zeralda sur convocation du président de la République. Là, je trouvai aux côtés du président, Abdelhamid Mehri, le général Larbi Belkheir et Abdelaziz Belkhadem. Après lui avoir . rendu compte de l’exécution de ma mission, j’entendis Belkhadem lui dire qu’une décision politique s’imposait. Ce à quoi le président répondit : «Oui, le gouvernement part!». Ainsi Belkhadern m’avait évité de dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas.
Quand la troïka apprit la décision, elle passa la nuit au palais du gouvernement à se lamenter. Il faut dire que l’inconscience de Hamrouche et de ses hommes les poussa à faire des déclarations, juste avant l’instauration de l’état de siège, alors même que les gendarmes étaient aux prises avec les insurgés. Hamrouche parlait de «bruits de bottes» et Mohamedi de «solution à la chilienne». Hamrouche soutient une contre vérité quand il affirme qu’il avait démissionné.
Sid-Ahmed Ghozali, alors ministre des Affaire, étrangères, en mission à l’étranger, fut désigné pour succéder à Hamrouche.
Les chars étaient dans les rues d’Alger. La capitale, d’apparence calme, semblait totalement assiégée. Nous attendions, Larbi Belkheir et moi à la présidence, l’arrivée du ministre des Affaires étrangères dont nous suivions les mouvements heure par heure. Le président avait décidé de le nommer comme chef du gouvernement. Une voiture l’attendait, à l’aéroport qui le conduisit directement à la Présidence. Nous lui annonçâmes la nouvelle en ajoutant que le président, attendait son coup de fil. Ghozali téléphona et je l’entendis demander s’il pouvait disposer d’ un temps de réflexion Nous lui fîmes signe d’accepter. Il le fit ce jour-là, contraint par la situation qu’il venait d’observer tout au long de son parcours de l’aéroport à la présidence. Il nous dit alors : «J’accepte simplement dans l’intérêt de l’institution car ce que j’ai observé pendant le trajet m’a affligé». Il se mit aussitôt à la besogne Ghozali pris avec nous une part très active dans la gestion de la crise et l’arrêt du processus électoral. Il fit preuve d’un courage politique extraordinaire dans une situation explosive. Il fut seul, alors que nous, militaires, faisions corps en tant qu’institution disposant de moyens à même de faire face à cette situation particulière. Il espéra, il est vrai, des élections «libres et honnêtes», mais l’humeur irascible de Abdelhamid Mehri, secrétaire général du FLN, ainsi que la fraude généralisée du FIS en avaient décidé autrement. Nous collaborâmes avec Ghozali durant son mandat avec loyauté et abnégation. Il fit preuve de qualités humaines et d’une grande générosité. je garde de lui l’image d’un homme compétent et hautement responsable.
Quant à Belaïd Abdeslam, et quoi que l’on puisse dire sur ses idées, c’est un homme de principes, défendant toujours ses idées avec beaucoup de conviction, un patriote convaincu dont personne ne peut douter. je salue à cette occasion son courage et son militantisme.
Déjà en décembre 1990, je désignais le général Mohamed Touati conseiller auprès du ministre de la Défense, avec le général Lamari et le général Taghrirt Abdelmadjid afin de proposer une démarche politique de type état-major, compte tenu des dérives répétées du FIS et de l’apathie des autorités publiques annonciatrices de graves dérives. Nous voyions clairement que celle du chef du gouvernement, à supposer qu’il y en ait eu une, ne tenait pas la route.
Notre démarche consistait en une analyse suivie d’un certain nombre de mesures à entreprendre. je les livre ici telles que définies à l’époque.
«Depuis 1954, l’institution militaire s’est trouvée intimement engagée lors des circonstances graves, mettant en cause le destin de la nation. Le dernier engagement en date remonte à Octobre 1988.
Durant ces évènements, et conformément aux dispositions légales et constitutionnelles. L’Armée nationale populaire a accompli sa mission vis-à-vis de l’Etat en rétablissant l’ordre dans le pays, permettant ainsi l’émergence d’un Etat démocratique, inscrit dans les idéaux de Novembre.
Le recours imprévu et tardif à l’Armée nationale populaire, résultat d’une absence d’appréciation de la situation préalable de la part des autorités concernées, n’a pas manqué d’engager des difficultés dans son intervention.
Ce recours imprévu et tardif précisément a entraîné à l’égard de cette institution des séquelles, tant aux yeux de l’opinion publique que dans l’esprit de certains cadres. La situation qui prévaut actuellement présente incontestablement des germes de troubles, voire d’insurrection pouvant justifier, encore une fois, l’intervention de l’Armée nationale populaire pour garantir la stabilité et l’unité du pays et sauvegarder ses institutions.
Occulter pareille perspective serait une imprévoyance grave. C’est pourquoi il est indispensable d’éviter le recours à l’Armée nationale populaire dans des conditions similaires à celles d’Octobre 1988 en préparant, d’ores et déjà, méthodiquement son intervention éventuelle sur la base d’une appréciation de situation aussi exhaustive et objective que possible.
Répondant aux aspirations populaires en matière de libertés fondamentales d’une part, et d’autre part, à la situation de blocage politique, la Constitution de 1989, par l’instauration de la démocratie à travers le multipartisme et la liberté de la presse, a engagé l’Algérie dans une phase nouvelle de son Histoire, vers son essor économique et social, se rétablissant par là même dans l’idéal de Novembre.
Le pouvoir politique, par excès de scrupules démocratiques, a créé l’existence de formations politiques se réclamant d’un programme religieux, pariant sur leur fidélité à respecter le jeu démocratique et les institutions de l’Etat.
L’Armée nationale populaire, consciente de l’enjeu que représente pour le pays l’avènement de la démocratie, s’est scrupuleusement conformée à l’esprit de la Constitution nouvelle en se retirant du FLN, afin de ne pas s’impliquer dans les activités partisanes.
Ce faisant, l’Armée nationale populaire consolide son rôle d’institution nationale ayant la charge de sauvegarder l’indépendance et la souveraineté nationale, ainsi que l’unité du pays. A ce titre, les problèmes engageant le destin de la nation ne peuvent la laisser neutre.
Si l’Armée nationale populaire, à l’instar de certaines autorités publiques et institutions nationales, a rigoureusement respecté les exigences du jeu démocratique, il n’en est pas de même pour certaines formations politiques notamment à caractère religieux.
Spéculant et exploitant les scrupules démocratiques du pouvoir, le Front islamique du salut s’est assuré un plus grand succès aux élections municipales et de wilaya, par une campagne marquée par des atteintes, des exactions et des irrégularités entretenant ainsi un climat d’insécurité propice à son action de mobilisation.
Le succès spectaculaire du FIS aux élections du 12 juin 1990 est dû, certes, à ses capacités d’organisation et de mobilisation, mais il résulte aussi, pour une part non négligeable, des attitudes erronées, voire passives des autres parties en lice, y compris celles chargées de veiller à la régularité des opérations de préparation et de déroulement du scrutin.
Cette victoire inespérée du FIS a eu pour effet de le conforter dans l’idée que le pouvoir était à portée de main, et que pour y accéder, il lui suffisait de combiner à plus grande échelle et avec plus de vigueur, des actions à caractère légal et régulier avec d’autres, de type subversif, allant de l’obstruction à l’action des autorités publiques, à l’entretien d’un climat d’insécurité et d’intimidation à l’adresse même de certaines autorités publiques et d’institutions.
A l’appui de ceci, citons :
. les atteintes multiples aux libertés individuelles;
. l’incitation à des manifestations violentes;
. les atteintes aux symboles de l’Etat et de la Révolution;
. le dénigrement systématique des institutions de l’Etat, frisant le défaitisme ;
. les appels à la désobéissance ;
. l’état de quasi-sécession de certaines collectivités locales sous contrôle FIS ;
. l’obstruction à l’action du pouvoir central et la contestation de certaines lois ;
. la subordination des Apc et Apw/FIS aux directives des «Madjless Echoura»;
. La mainmise Plus étendue sur les mosquées du pays.
Tout ceci constitue les éléments préfigurant un climat subversif visant les conquêtes du pouvoir au plus tôt, soit par voie de scrutin électoral dans un cadre formel, soit par appel au djihad, menaces plusieurs fois proférées, en vue d’instaurer un régime théocratique totalitaire, plus ou moins lié à l’étranger.
Ce n’est là nullement pur jugement spéculatif, c’est situation perçue sur la base de faits et de constatations réels avérés.
Vu ce qui précède, force est de constater que:
A- le pari sur l’apprentissage de la démocratie de la pa de partis religieux, et notamment le Fis, est un échec;
B- le second pari sur la perte d’influence du FIS à l’épreuve de la gestion des affaires s’avère être un 1 passivité des autorités ;
C- ces mêmes partis religieux déclarent désormais qu’ils visent en fait la dislocation de l’Etat démocratique et la suppression des libertés individuelles par voie de conséquence ;
D – la crédibilité de l’Algérie, notamment vis-à-vis des partenaires économiques et financiers, est sérieusement entamée.
D’autre part, en ce qui concerne les formations démocratiques, elles sont loin de constituer un rempart crédible au péril totalitaire, tant leurs divisions sont grandes et leurs moyens bien faibles.
Quant à la place de FLN dans le courant démocratique, elle ne semble pas être de taille à faire échec FIS tant sa crise interne perdure.
En conclusion, tout ceci ne serait-ce pas déjà les résultats devant mettre en cause la «stratégie» empruntée jusqu’alors pour consolider le régime démocratique ?
Au stade actuel, marqué par une ambiance préélectorale où prédomine le sentiment d’insécurité et de menace sur la paix civile, il est aisé de pronostiquer l’évolution de la situation, si l’on demeure sur la même attitude et l’on continue à développer la même stratégie ou ce qui en a tenu lieu.
Le climat social va connaître une multiplication de cas et de manifestations revendicatives par des grèves sauvages, manifestations, marches, etc. Ceci aura pour effet d’accroître les difficultés de reprise économique et par voie de conséquence, le mécontentement de la population.
Les exemples de quasi-sécession de collectivités locales et d’obstruction à l’action du pouvoir central vont s’étendre pour renforcer le travail de sape à l’encontre de l’Etat.
Les formations démocratiques ne pourront pas se trouver en posture favorable pour affronter leurs adversaires lors des opérations électorales, même dans le cas d’un report de l’échéance.
L’ambiance subversive va se développer au point de voir se multiplier sans doute les cas d’agression physique contre les personnes et les biens.
La cohésion et la confiance en soi des représentants de l’autorité publique, ne manqueront pas de s’émousser davantage, les exposant ainsi à une perméabilité certaine aux pressions.
Les cadres de l’administration ainsi que les représentants des autorités publiques du secteur économique public et des universités seront plus enclins au sentiment de démobilisation et à la tentation de partir vers d’autres secteurs, sinon vers d’autres horizons.
En bref, il faut s’attendre à une orchestration d’actions de nature variée, mais tendant toutes à affaiblir de façon accentuée la confiance de la population dans le pouvoir légal, et à faire apparaître les partis religieux comme le seul et unique salut pour ses problèmes tant moraux que matériels.
En somme, l’objectif déclaré et avéré consiste à déboucher au plus tôt sur des élections quasiment gagnées d’avance par un dosage savant de peur et d’espoir, basé sur un sentiment, de désarroi de la population, elle-même soumise à des’ mécanismes de comportement empruntant à l’irrationnel.
Les résultats électoraux dans ces circonstances ne manqueront pas d’être favorables à une majorité théocratique.
Les conséquences immédiates prévisibles sur le pays suite à l’instauration d’un gouvernement théocratique se traduiront rapidement par des transformations profondes sur le système judiciaire, administratif ‘ éducatif, financier, bancaire et commercial. De même les institutions, telles que l’ANP et les services de sécurité seront l’objet de réductions drastiques; ils seraient remplacés par des services sous forme de milices n’est pas à écarter.
La sécurité des personnes et des biens ne sera pas à l’abri de campagnes excessives de dénonciation, pouvant prendre l’allure de règlements de comptes et de chasses aux sorcières.
Les symboles de la Révolution, les institutions et loi de l’Etat seront voués à une négation pure et simple, pour peu qu’ils apparaissent comme contraires à la «Chari’a».
Le risque de tels bouleversements au sein de la société algérienne ne manquera pas d’entraîner des regroupements d’autodéfense en des associations à caractère territorial, politique ou idéologique. Le résultat certain est que la cohésion et l’unité nationale seront sérieusement compromises.
Ces conséquences au plan interne ne manqueront pas de donner lieu à des attitudes au plan externe de la part des pays voisins, au Maghreb, en Afrique et en Europe. L’Algérie, à leurs yeux, apparaîtra comme un foyer d’extrémisme religieux, menaçant leurs régimes politiques respectifs, pour les pays musulmans, et leur sécurité intérieure, pour tous les autres.
Dans ces conditions, l’Algérie sera exposée, au minimum, à la mise en quarantaine, au pire à être soumise à des actions conjuguées de déstabilisation en vue de l’instauration d’un pouvoir à la dévotion des plus puissants.
Voilà un scénario bien alarmiste, mais inimaginable pourrait-on objecter ! Que non ! Le succès même du FIS aux élections de juin 1990 a été inimaginable, alors.
Ce scénario demeure plausible, voire probable d’autant qu’il s’inscrit dans le programme des formations politiques religieuses dont le temps d’influence s’est élargi. De plus, les exécutifs FIS au niveau des Apc et ses assemblées au niveau des Apw en ont déjà un aperçu à leur échelle.
En fait, la question qui se pose est de savoir si:
A- l’avènement d’un régime théocratique totalitaire est-il légitimement et historiquement admissible pour l’Algérie ?
B- Est-il inéluctable dans les circonstances actuelles ?
Si les conséquences sur le pays, telles que présumées ci-dessus suite à l’instauration d’un régime théocratique totalitaire, sont vraisemblables, et elles le sont dans des nombreux milieux, l’avènement d’un tel régime est manifestement inadmissible, car historiquement contraire à l’idéal de Novembre, juridiquement anticonstitutionnel et moralement antinational.
Quant à la seconde question, l’avènement d’un tel régime n’«est pas une fatalité inéluctable, si les mesures pour y pallier sont fixées et mises en ouvre sans délai et avec détermination, selon une stratégie nouvelle clairement définie.
La stratégie à adopter pourrait se développer à travers la conception suivante:
Afin de garantir le processus démocratique, le caractère républicain de l’Etat, la souveraineté et l’indépendance nationales, ainsi que l’unité du pays, il est vital pour la nation d’éviter l’accès au pouvoir d’un régime théocratique totalitaire.
Pour cela, sur la base d’une détermination affichée sans ambiguïté, mener impérativement et résolument un programme d’action global, visant à garantir l’enjeu politique en cause, en assurant, d’une part, aux formations, au FLN et autres courant si démocratiques, les délais suffisants et les conditions objective de succès aux élections et, d’autre part, en cantonnant l’action des partis religieux dans le strict respect des dispositions législatives et réglementaires.
En cas de pronostic défavorable à une échéance déterminante du scrutin, provoquer par toutes voies appropriées les conditions légales devant entraîner une neutralisation des formations antidémocratiques des opérations électorales.
Dans le cas contraire, assurer le déroulement normal du scrutin et être prêt à faire échec aux tentatives de troubles éventuels.
L’efficacité du programme global envisagé ne se posera pas uniquement sur la pertinence et le bien-fondé des tâches qu’il renferme, mais elle dépendra aussi pour une large part de la manière dont elles seront accomplies, tant il est vrai qu’un enjeu électoral est fonction d’abord de l’effet psychologique sur l’électorat.
De plus, la conduite des actions du plan exige que soient assurées la synchronisation et la combinaison de tâches de nature différente peut-être mais interdépendantes entre elles. Le bon déroulement de l’une des tâches conditionnant celui de l’autre, et inversement.
Par voie de conséquence, ceci requiert une conduite constante et concertée au niveau central et une exécution résolue de la part des parties concernées.
Très probablement, la mise en ouvre de ce programme ne manquera pas de provoquer la réaction des formations extrémistes antidémocratiques qui pourraient être tentées de recourir, d’une manière isolée ou généralisée, à l’organisation et au déclenchement de troubles et atteintes à l’ordre public, pouvant aller jusqu’à des soulèvements populaires de type insurrectionnel.
Pour prévenir cette menace, l’Armée nationale populaire se placera en posture favorable afin de renforcer dans de bonnes conditions cette fois/ l’action des forces de l’ordre. Le choix du moment pour cette posture doit être méticuleusement fixé car il signifie irrémédiablement la poursuite, jusqu’à son terme, de la nouvelle stratégie.
Avant d’aborder les grandes lignes du programme pouvant découler de cette nouvelle stratégie, celle-ci suppose des préalables incontournables, auxquels il y a lieu de souscrire impérativement.
Ces préalables se traduisent par:
1- un meilleur choix, sur la base de conviction, d’engagement et de détermination connus, affichés et avérés, des dirigeants appelés à mettre en ouvre et conduire dans leur domaine respectif, les actions qui leur sont imparties ;
2- le report à la phase post-électorale du traitement de grands dossiers, dont la solution est susceptible de se traduire par un coût électoral négatif ;
3- la levée des équivoques FLN-Gouvernement et FLN-FLN ;
4- la soustraction des mosquées de la mainmise des partis religieux et leur remplacement sous l’égide des institutions de l’Etat ;
5- la suspension de toute mesure d’ordre judiciaire ou administratif visant une hypothétique conciliation avec la formation extrémiste.
Le plan d’action global, à élaborer par une équipe restreinte de haut niveau, doit s’articuler sur deux plans particuliers. Chacun de ces plans visera à préserver l’enjeu national par une voie distincte, selon le cas de figure préconisé par la conception d’ensemble.
Comportant chacun un programme de prévention de troubles selon les circonstances prévisibles et en liaison avec les objectifs visés, les plans viseront particulièrement :
– Pour le plan A: à réaliser les conditions pour un succès électoral de forces démocratiques avec participation des formations extrémistes.
– Pour le plan B : à neutraliser par les moyens légaux, les formations extrémistes avant l’échéance des élections.
Devant garantir le succès des forces démocratiques, ces plans particuliers supposent que soit rempli d’emblée le préalable N° 1 déjà énoncé, faute de quoi toute efficacité serait illusoire.
D’autre part une fois l’appareil gouvernemental remanié, l’équipe de haut niveau à mettre en place devra recenser et s employer à réunir les conditions visant à lever les préalables N°2, 3, 4 et 5 déjà énoncés.
6.1 – Plan particulier A : les actions entrant dans ce plan particulier à identifier, à préparer et à exécuter auront pour objet:
6.1.1 – La restauration de l’autorité de l’Etat par:
. Le renforcement de la cohésion, de la confiance en soi et de l’adhésion des cadres du secteur public et parapublic ;
. une meilleure identification des partenaires et adversaires de l’action démocratique;
. l’éloignement des postes sensibles des cadres proextrémistes ;
. la neutralité effective des cadres de l’appareil de l’enseignement public et sanction exemplaire de toute infraction à cette règle ;
. la reprise en main à tous les niveaux de l’appareil de culte et notamment au niveau des wilayas;
. les mesures drastiques contre toute opposition à l’exécution des lois constatée au niveau des Apc et Apw ;
. la mise au point d’une loi électorale et l’adoption d’un découpage électoral ne défavorisant pas les formations démocratiques.
6.1.2- La mobilisation du FLN par:
. La capitalisation médiatique dans un but électoral des innombrables réalisations de tout ordre au profit
– des institutions de l’Etat algérien ;
– de l’édification du potentiel industriel, économique et social ;
– des acquis sociaux au profit des couches populaires;
– du rayonnement de l’Algérie au plan international.
. La revendication de l’action considérable menée au profit de l’Islam (mosquée, colloque, congrès, formation, etc.) ;
. la déculpabilisation du FLN vis-à-vis de la corruption en avançant tout l’arsenal juridique mis au point contre ce fléau et l’adoption d’une attitude agressive sur les cas scandaleux;
. l’effort gigantesque et les résultats très appréciables en matière de formation des cadres de toute spécialité et de tout niveau.
6.1.3- L’assistance aux formations démocratiques par:
. l’allocation matérielle sous forme directe ou indirecte;
. les facilités d’ordre administratif leur permettant de développer leur action politique;
. un meilleur accès aux médias, notamment la télévision,
. un encouragement à toute action solidaire avec le FLN.
6.1.4- La lutte contre les extrémistes par:
. la division des courants religieux en provoquant, en exploitant et en avivant leurs antagonismes;
. la dépréciation de l’image du FIS vis-à-vis des libertés démocratiques et des libertés individuelles, ainsi que vis-à-vis de la nation et de l’état algérien du fait de ses accointance avec l’étranger ;
. l’exploitation de l’inculture des extrémistes en matière de sciences politiques et de sciences modernes;
. le rappel que le déclin du monde musulman est dû à la forme théocratique de l’exercice du pouvoir et qu’elle conduit à l’institution de dynasties politiques héréditaires’ perverses aux plans religieux et social ;
. La mise en cause médiatique des leaders du FIS par la publication d’images, de propos et discours attestant de leur incapacité à traiter les grands problèmes économiques.
6.1.5- La lutte et l’agitation sociale par:
. l’application rigoureuse de la loi en matière de relation du travail, du droit de grève et de la liberté du travail ;
. la dénonciation des grèves impopulaires et des grèves illégales et l’identification publique des fomentateurs ;
. l’effort particulier et soutenu afin que le programme d’emploi des jeunes se traduise par un début de succès avant l’échéance électorale.
6.1.6- Un programme d’action psychologique par:
. L’emploi judicieux et savamment orchestré des médias avec l’assistance de professionnels mettant à profit les activités culturelles, théâtrales, musicales et autres, en les orientant vers un but électoral,
6.1.7- La sécurité publique par:
. le déploiement des services de sécurité publique et la redynamisation de leurs actions de surveillance sur la voie publique, de jour comme de nuit;
. la lutte contre toute action de police et de justice parallèles et leur répression implacable et publique;
. la recherche des stocks de produits de première nécessité, détournés au profit des mouvements extrémistes pour le soutien de leur action charitable à but électoral et son exploitation publique ;
. la recherche et la découverte d’éléments d’enquête attestant la collusion contrebande – enrichissement illicite avec le FIS;
. la répression des détenteurs d’armes blanches, tenues militaire et paramilitaire officielles;
. la vigilance soutenue quant à l’utilisation des véhicules administratifs et de secours ;
. la mise au point des mesures spéciales concernant le contrôle de personnels d’exploitation et de ceux ayant accès aux points sensibles d’intérêt névralgique ;
. lutte accrue contre les stupéfiants et l’usage hors circuit médical des tranquillisants et produits neuroleptiques ;
. La mise au point de mesures spéciales relatives:
– à la posture de l’ANP,
– au maintien de l’ordre public.
6.2- Plan particulier B : se fondant sur le déroulement des actions du plan particulier A, il vise la neutralisation pendant la phase préélectorale des formations extrémistes sur la base des lois et règlements en vigueur dans le cas où il apparaît qu’elles se livrent manifestement à des actions subversives et/ou à la préparation de troubles à caractère insurrectionnel.
En tout état de cause, l’enjeu de la situation que vit actuellement l’Algérie est d’une dimension historique, car il met en cause le pays dans son destin de nation souveraine appelée, soit à continuer son essor économique et social, soit à plonger dans un Etat obscurantiste et médiéval.
J’avais, avant de remettre l’étude au président de la République, pris la peine de consulter Hamrouche et Mehri. Hamrouche, dans un premier temps, ne put donner son point de vue et me demanda seulement d’en toucher un mot à Abdelhamid Mehri. Nous l’appelâmes. Une fois la lecture du document terminée, la première réaction du secrétaire général du FLN fut que le document «peut être intéressant». Nous nous fixâmes rendez-vous pour deux jours après.
Au troisième jour, alors que je me trouvais avec le chef du gouvernement, en présence de Abdelhamid Mehri, les deux rejetèrent le projet sans aucune explication. Excédé, je leur répondis: «Nous avons un arbitre, c’est le président de la République. Je m’en vais de ce pas lui transmettre le document!»
Le président fit le silence sur le document et il devenait facile pour moi, à partir de là, de me rendre à l’évidence que, tous trois avaient convenu de ne pas prendre en compte la proposition de l’Armée.
Alors que je tenais une réunion ordinaire avec les officiers d’état-major et les commandants de régions, juste avant les élections législatives, je reçus un appel de Larbi Belkheir m’informant que le président Chadli voulait rencontrer les officiers de l’ANP. La rencontre fut organisée au siège du ministère de la Défense. Chadli, malgré la menace sérieuse qui guettait le pays, se lança dans son discours habituel comme si de rien n’était. Il termina son intervention par une digression sur les relations internationales qui, à la limite, ne nous concernaient même pas. Après un silence lourd de sens, je pris la parole en ma qualité de ministre de la Défense pour dire au président que les officiers étaient très inquiets de la situation qui prévalait. Le général Abdelhamid Djouadi prit la parole après moi et soutint que les islamistes ne pouvaient que représenter une menace certaine pour le pays. Chadli, qui n’avait pas convaincu les officiers, avait fini par comprendre, ce jour-là, qu’il venait de perdre la confiance de l’Armée.
Le président était tellement affecté qu’il dut oublier d’emmener avec lui son accompagnateur, le général Hocine Benmaâllem. Alors que je prenais congé de Chadli, je me retournai et vit le général Benmaâllem que j’interrogeai, pour rire: «Alors, il t’a oublié ?».
J’ai déjà écrit que Kasdi Merbah avait eu un rôle prépondérant dans la désignation de Chadli. Je tiens à confirmer que l’Armée, dans sa majeure partie, était contre. Pour l’anecdote, un jour que nous nous rassemblions comme chaque vendredi autour d’un déjeuner qui réunissait l’ensemble des officiers de Tindouf, histoire d’entretenir la cordialité entre les militaires dans cette zone désertique, éloignée et difficile, le lieutenant Boulakrem de Tébessa, connu pour son humour et sa franchise, lança à notre endroit, nous interpellant : «Je vous fais une proposition ! Echangeons un responsable algérien en contrepartie d’un dirigeant du Polisario!». Le front Polisario venait, en effet, de constituer son tout premier gouvernement composé d’une majorité de jeunes universitaires. Quand nous lui demandâmes qui on pouvait leur proposer en échange, il répondit sans hésiter: «Pourquoi pas Chadli ?» Les militaires se mirent à rire et je dus, en tant que responsable, mettre un terme à cette boutade. Cela n’empêcha pas le lieutenant Boulakrem de poser la question de savoir pourquoi les choses étaient mieux organisées en 3e Région, les casemates mieux protégées, etc. Il faut savoir que Chadli, à l’époque, était commandant de la 2e Région.
Toujours au sujet de la nomination de Chadli à la succession, quelques jours avant la mort de Boumediene, je fus convoqué par le chef de région, le lieutenant-colonel Salim Saâdi, suite à une réunion des officiers de la région, qui me chargea de me rendre à Alger et de prendre contact avec
Kasdi Merbah, chef de la Sécurité militaire. je devais lui dire que la situation étant grave, il devait, avant que les dirigeants de l’époque n’entreprennent quoi que ce soit, tenir une réunion avec les cadres militaires. Avant de prendre l’avion pour la capitale, et alors que j’étais au domicile de Salim Saâdi, ce dernier téléphona devant moi à Merbah pour lui confirmer ma venue. Arrivé à Alger, j’appelai Merbah chez lui. Une voix de femme me répondit à l’autre bout du fil et me dit qu’il était absent. Je rappelai trois quarts d’heure plus tard. Kasdi Merbah me répondit en personne. Je lui réitérai le but de ma présence à Alger. Il me répondit, furtivement, qu’il allait de ce pas rejoindre la commission en charge du suivi médical du président Boumediene. Devant mon insistance à le voir dès son retour, je lui précisai que je me suis déplacé uniquement pour cela. je le mis à l’aise et lui proposai de le voir le lendemain s’il le voulait. Il esquiva ma proposition. Je compris qu’il ne voulait pas me rencontrer. Après un moment de réflexion, je me rendis chez Abdelhamid Latrèche, secrétaire général du ministère de la Défense, à qui j’expliquai ce qui venait de m’arriver. Il me répondit aussitôt : «Tu ne connais pas la nouvelle ? Chadli a été désigné coordonnateur de l’Armée !». C’était clair, le choix avait été porté sur Chadli Bendjedid.
J’ai assisté à la session du comité central du FLN, au cours de laquelle Chadli Bendjedid fut désigné candidat à la présidence. Quand l’avion qui me transportait atterrissait à Tindouf, je fus surpris par la présence de l’ensemble des responsables des brigades qui étaient venus à ma rencontre, chose qu’ils n’avaient pas l’habitude de faire compte tenu de l’éloignement. Unanimes, il m’apostrophèrent: «Mais qu’avez-vous donc fait ?». Allusion faite au choix porté sur Chadli.
CHAPITRE X
L’arrêt du processus électoral
La semaine infernale
Chadli intervint lors de la conférence de presse du mardi 24 décembre 1991 affirmant qu’il était prêt à cohabiter avec le FIS.
Les résultats du scrutin législatif du 26 décembre donnèrent lieu à des réactions de désarroi et d’abattement au sein de l’opinion qui s’ajoutaient à l’inquiétude chez les pays maghrébins, européens et notamment la France.
Le panurgisme apparut en Algérie avec la multiplication des qamis, des hidjab et des barbes naissantes. Les déclarations menaçantes du FIS se firent plus précises et les initiatives locales de ce parti ajoutaient à l’inquiétude de la population.
En réaction, le CNSA fut créé, présidé par feu Abdelhak Benhamouda. Ce fut le début des manifestations auxquelles avait appelé d’abord le FFS et que nous encourageâmes en lançant un appel à la société civile, aux moudjahidine, aux partis démocratiques, particulièrement le RCD, et aux organisations de masse. L’UGTA, avec à sa tête feu Abdelhak Benhamouda, s’était dépensée sans compter. La contre-offensive s’était soldée par le rassemblement de 500 000 personnes, à l’inverse du FIS qui, durant toute la période que durèrent ses démonstrations de force, ne put rameuter que 50 000 militants ramenés de l’ensemble du territoire national. Les appels à la résistance contre le FIS s’amplifièrent et son organisation commença à faire son apparition dans certains quartiers.
Les déclarations de certaines organisations et partis politiques appelaient à refuser le second tour.
En écho, Hachani, par duplicité, faisait des déclarations apaisantes allant jusqu’à inviter le ministre de la Défense à rencontrer Cheikh Sahnoun, dont il se proposait d’être l’intermédiaire.
Les déclarations incendiaires de Mohamed Saïd invitaient les Algériennes et les Algériens à se préparer à changer leur régime vestimentaire et alimentaire; Kebir, du Majliss Echoura, déclarait que 12 000 cadres iraniens étaient prêts à venir remplacer les Algériens qui voudraient quitter l’Algérie.
A partir du 30 décembre, l’Armée d’une manière général n’acceptait point de se résoudre à voir le FIS disposer d’un majorité absolue au Parlement.
Vers le 3 janvier la période de la préparation politique ef militaire fut retenue du fait du scrutin entaché d’irrégularités et émaillé par les intimidations des militants du FIS. Ce dernier, avec 26% des voix, disposait de 188 sièges au premier tour et en ballottage très favorable dans de très nombreuses circonscriptions. Aux yeux de l’opinion, ce résultat ressemblait bien à une supercherie concoctée avec le pouvoir. L’angoisse augmentait avec le compte à rebours du 2e tour qui devait se tenir le 16 janvier.
L’Algérie devenait le point de mire du Bassin méditerranéen et du monde arabe. Il n’était pas du tout malaisé pour nous militaires de comprendre que la situation était périlleuse. La presse rendait un écho négatif des élections. Des représentants de partis politiques ainsi que des personnalités venaient nombreux nous faire part de leur profonde inquiétude. L’éventualité d’aller à des mesures extrêmes pour préserver l’Etat républicain et maintenir l’ouverture démocratique était retenue. Des mesures pratiques, politiques et militaires avaient été envisagées. Aussi la démission du président Chadli nous a évité de recourir à ces mesures extrêmes.
Plus qu’une décision de morale politique, l’arrêt du processus électoral était pour nous un dilemme des plus stressants qui perturbait chacun d’entre nous au plus profond de soi. D’abord par rapport à notre pays et à notre idéal. Certes, arrêter le processus, c’était contrevenir, sur un plan purement formel, au déroulement légal d’un scrutin décidé par des autorités légitimes. Cependant, au niveau de la signification fondamentale des choses telles qu’elles se présentaient, il était parfaitement clair que l’arrêt du processus devenait un impératif de survie de la démocratie naissante, de l’ordre public et de l’Etat national. C’était pour nous une thérapie pour une maladie risquant d’être fatale pour l’Algérie. De l’analyse de la situation créée par les agissements du FIS, il ne s’agissait pas pour nous, en aucune façon, de privilégier la politique du tout sécuritaire.
A la veille de l’arrêt du processus électoral, la majeure partie des dirigeants du Bassin méditerranéen étaient avisés des changements qui allaient intervenir dans les heures qui suivaient. J’avais pris la décision de ne pas avertir le président François Mitterrand, comprenant d’avance qu’il avait adhéré aux thèses du FIS. J’ai écrit plus haut que le président français avait eu deux contacts consécutifs au téléphone avec Chadli Bendjedid le lendemain de sa démission. Chadli ne pouvait rien dire à son homologue de plus qu’il nous avait déjà dit, à savoir que, «encore une fois, l’Armée aura la charge de rétablir la situation». Mitterrand a prouvé qu’il s’était trompé une fois de plus sur les aspirations fondamentales du peuple algérien. Certains de ses cadres dirigeants en laissant croire que l’arrêt du processus électoral était une atteinte au processus démocratique. En réalité c’est parfaitement le contraire : l’arrêt des élections assurait la survie du processus démocratique.
Au lendemain du premier tour, un conseil des ministres s’est tenu, présidé par le chef du gouvernement, Sid-Ahmed Ghozali. Pris par un travail effréné à telle enseigne que n’ayant pu me raser la barbe pendant deux ou trois jours, je me présentai ainsi au conseil. je connaissais la position de Ghozali d’avance pour avoir eu à débattre de la question ensemble, avec les militaires. Le chef du gouvernement fit un tour de table en présence de Larbi Belkheir et Abou Bakr Belkaïd dont l’avis sur la démission de Chadli était catégorique. Je fus impressionné par Brahim Chibout qui, prenant la parole, fondit en, larmes et ne put aller au bout de son exposé. Il reconnut «aux frères de l’Armée» le fait d’avoir pris la décision historique de faire barrage à la menace islamiste. Ali Haroun, en homme résolu, tint ces propos: «Dans la vie des peuples, comme dans la vie des hommes, il y a des moments de choix décisif. Nous devons, à tout prix, éviter au pays de tomber dans un obscurantisme moyenâgeux et la dictature théocratique !» Mme Leïla Aslaoui, après avoir fait part de son avis favorable, se rapprocha de moi une fois la séance levée pour me serrer la main, tremblante d’émotion. Je me dois de signaler que feu Belkaïd et Haroun nous avaient apporté un soutien indéfectible tout au long de la semaine infernale et avaient activement participé à l’élaboration de certains documents. La fameuse lettre de démission de Chadli lue à la télévision le soir-même fut rédigée par le général Touati et Ali Haroun. Elle lui avait été soumise à titre de proposition avant d’être avalisée par le président.
De son côté, le Conseil constitutionnel, à travers ses membres, fut d’un apport inestimable en ce sens qu’il fit tout pour que notre action ne débordât jamais de la Constitution. Le Conseil constatant la vacance du pouvoir remit les rênes du pays au Conseil de sécurité présidé par le chef du gouvernement, en présence notamment du président de la Cour suprême, M. Teguia, le ministre de l’Intérieur, le général Larbi Belkheir, le ministre de la justice, M. Benkhelil et moi-même, ministre de la Défense nationale. Assistait aussi Ali Haroun eu égard à sa participation active au règlement de la crise et sa qualité de juriste.
Le ministre de la Justice, tétanisé alors que nous recherchions l’unanimité, brilla par son indécision. Au contraire, Larbi Belkheir, qui voyait que l’aboutissement des discussions tardait, frappa du poing sur la table à plusieurs reprises et déclara, ferme : «Si vous ne le faites pas, j’ordonnerai dès demain aux walis d’arrêter le processus !». Mohamed Boudiaf nie contacta à ce moment précis. Ali Haroun qui venait de recevoir son appel, me passa le téléphone. Boudiaf me dit : «L’Algérie est en danger, demain, je serai à Alger !». Je rappelle à ce sujet que quand je contactai Boudiaf la toute première fois, il m’avait dit tout en déclinant la proposition : «Continuez, vous êtes sur la bonne voie !». Devant mon insistance, il me répondit: «Si vous avez besoin de moi, vous avez mon numéro de téléphone». Je raccrochai et décidai d’élaguer cette solution. Le général Tewfik insista devant les compagnons pour que l’on ne désespérât pas de lui faire changer d’avis. Le général Tewfik, qui avait aidé à persuader Boudiaf de venir à la rescousse du pays, fut, avec ses collaborateurs, un élément des plus actifs qui m’avaient assisté durant cette séquence infernale. Le général Tewfik est un officier loyal travaillant sans relâche, à la fibre patriotique aiguisée.
Auparavant, Abassi Madani et ses compagnons furent arrêtés au siège du FIS, rue Hamani, Ali Belhadj au siège de l’ENTV où il devait donner une interview. Les deux acolytes furent interpellés pour avoir appelé à la désobéissance militaire outre leur action subversive continue. Mohamed Saïd, aussi dangereux que Abassi et Belhadj, fut arrêté alors qu’il donnait une conférence de presse au siège de l’APW d’Alger, devant un parterre de journalistes nationaux et étrangers.
Alors même que Benkhelil tergiversait, quant à la dissolution du parti extrémiste, une femme, présidente du tribunal, eut le courage d’appliquer les textes. Le FIS fut dissout conformément aux lois de la République.
je reçus Aït Ahmed entre les deux tours en sa qualité d’homme historique de la Révolution, afin d’avoir son point de vue. Le leader du FFS fut la première personnalité, après les moudjahidine, à qui je m’étais ouvert. Je lui demandai ce qu’il pensait d’un éventuel arrêt du processus. Il s’y opposa. Son argument était que «la démocratie est un plus» et que «de toute manière, le président dispose de prérogatives lui permettant de dissoudre l’assemblée». je compris qu’il ne disposait pas de tous les éléments. Je lui répondis qu’il n’y avait pas de présidence au sens réel du terme et ajoutai que le FIS, au point où il en était au premier tour des élections et compte tenu de son programme rétrograde, fermerait la porte à ses 25 députés.
Nous nous quittâmes sur ses entrefaites. Je rencontrais ainsi pour la première fois Aït Ahmed que je trouvais affable et respectueux des institutions. La seconde fois que je le revis, ce fut le soir de la démission de Chadli. J’avais demandé à le voir pour lui clarifier la décision du président. Je trouvai en face d e moi, cette fois-ci, un homme tout retourné et sous le choc de l’événement, répétant sans cesse que c’était un coup d’Etat. A sa question de savoir ce qui allait se passer après cela, je lui répondis sincèrement que nous n’en savions rien, et qu’u groupe de travail se penchait sur la question.
Je voulais à tout prix faire participer cet homme historique au règlement de la crise. je lui dépêchais pour ce faire, à Genève, le général Mohamed Touati par deux fois. Mais en vain.
La deuxième personnalité que je reçus le soir de l’interruption du processus électoral, fut le président Ben Bella, eu égard à sa fonction antérieure. J’étais entouré de mes principaux compagnons et la rencontre fut très amicale. Ben Bella fut très correct et me tint les propos suivants : «Vous avez choisi en la personne de Boudiaf un homme historique. C’est bien. Mais faites en sorte d’aller aux élections d’ici à six mois! ».
Les rencontres furent nombreuses, que ce soit avec l’UGTA, les moudjahidine ou des personnalités de la société civile, tout ceci, sans compter la charge du travail qu’exigeait ma fonction de ministre de la Défense.
Cette séquence se déroula alors que j’étais dans un état physique particulier. Les séquelles de la maladie commençaient à apparaître. J’étais constamment sous l’effet de tranquillisants à tel point que je vacillais lorsque je me mettais debout. De plus, j’étais astreint aux corticoïdes que je prenais régulièrement pour dissiper un oedème du cerveau qui s’était formé en cours de guérison.
Le devoir faisait que nous nous étions engagés, mes compagnons et moi, dans une entreprise telle que je ne pris pas conscience de ma situation familiale très précaire. Auparavant, lors de la réunion que j’avais eue avec les officiers à Aïn Naâdja, je leur affirmai après avoir écouté tout le monde, que je ne les engagerais en aucun cas dans une aventure et que «si quelque chose doit intervenir, ce sera dans le respect de la Constitution». Je venais de perdre ma femme, et mes enfants étaient tous adolescents. Des amis connaissant ma situation, avaient décidé de les prendre en charge.
Aux environs du 10 mai 1996, et parce que j’ai vécu personnellement des évènements tout à fait particuliers, je me devais de porter à la connaissance du citoyen le déroulement de la situation issue de l’arrêt du processus électoral. Je suis intervenu dans la presse nationale, dans un article relatant cette période difficile de notre Histoire, lequel article a paru sous le titre Devoir et vérités.
A ce moment-là, j’avais gardé le silence sur une décision d’une importance capitale qui consistait à arrêter le processus électoral dès le troisième jour des élections législatives sans savoir, sur le coup, quand et comment nous allions procéder. Nous étions prêts à aller à des solutions extrêmes pour sauver le pays car le résultat des analyses de l’époque démontrait qu’on s’acheminait inexorablement vers la division et l’anarchie.
Nous avions pris la décision de ne pas aller au deuxième tour dès les premiers jours qui suivirent le premier. L’idée consistait à amener le président à prendre conscience de la gravité de la situation et à démissionner. L’Assemblée venait de terminer son mandat. La vacance du pouvoir était consommée. L’Armée n’avait plus guère de choix que de prendre charge la destinée du pays une fois que le président se rendit à l’évidence qu’il ne lui restait qu’à démissionner. J’écrivai dans la presse en 1996 sous le titre Devoir et vérités ce qui suit «M’inspirant de l’obligation de réserve, je m’étais jusque-là abstenu de traiter publiquement des évènements majeurs connu par notre pays durant la tourmente dont l’issue se rapproche aujourd’hui favorablement pour l’Etat national, au grand dam des «experts» et autres «censeurs» qui préfèrent la dissertation à la vision des réalités implacables.
Maintenant que l’embellie se dessine et que se précisent des enjeux électoraux majeurs, certains leaders et agents d’opinion plus par souci d’audience que par devoir d’objectivité, traitent de ces évènements d’une manière superficielle, à travers des publications où l’anecdote fallacieuse et le oui-dire anonyme tiennent une place prépondérante.
Afin que de pareils sujets n’aient plus à donner délibérément lieu à des commentaires erronés, faute de donnée «sourcées», je me résous au devoir d’apporter le témoignage d’un acteur animé par des mobiles de conscience contribuant ainsi à la levée d’équivoques ou d’inexactitudes trompeuses.
Mon témoignage portera donc sur les faits dominants de cette phase critique et charnière dont Octobre 1988 s’est révélé être les prémices. La crise fut amplifiée et aggravée par plusieurs facteurs.
Si la part de l’imprévoyance des autorités, dont je faisais partie alors, devant une situation inédite ne peut être occultée, celle de l’action nuisible et vengeresse de certains responsables en rupture ou en marge du pouvoir n’en est pas la moindre, loin s’en faut.
Aux yeux de ces derniers, les responsables en charge de l’Etat ne pouvaient être assimilables qu’à un pouvoir oligarchique dès lors qu’eux-mêmes n’y sont pas ou n’y ont plus leur place.
Oublieux du passé, les voici accusant le «Pouvoir de fait» de ce dont ils ont été outrageusement comblés.
Ne reculant ni devant les reniements les plus inattendus ni devant les alliances les plus suspectes, les revoilà, ici et ailleurs, artisans de complicités et connivences contre-nature, au service d’officines et foyers de même acabit, en quête d’une vaine renommée par des pronostics naufrageurs ciblant l’Algérie et son Etat national.
Les dénonciations tardives et sélectives de maux dont ils ont eux-mêmes abusés ne semblent pas avoir trompé grand monde.
Les Algériennes et les Algériens ont commencé à le faire le 16 novembre 1995.
Contrairement aux idées répandues, le 5 Octobre ne fut ni un événement spontané ni une recherche de liberté et de démocratie. Malgré l’absence d’une enquête officielle vainement demandée, nous pouvons affirmer qu’à l’origine, il ne s’agissait que de contestations publiques fomentées en prévision du congrès du FLN, dans l’espoir de conforter certaines tendances. La manifestation, échappant à ses artisans, ne manque pas d’être chevauchée par toute une cohorte de forces de toutes obédiences.
L’Armée, alors éloignée, à dessein des grandes agglomérations et accaparée par ses missions de défense aux frontières, n’eut d’autre recours que de déployer dans la précipitation des prodiges de prouesse pour rétablir l’ordre et stopper l’anarchie et ce, sur décision du président de la République.
Elle le fit la mort dans l’âme, non sans relever la passivité et la désertion pour des motifs inavouables des «ténors» du champ politique d’alors.
Les espoirs de redressement que chacun nourrissait a lendemain d’Octobre 1988 furent vite déçus devant la répétition des mêmes errements.
C’est depuis que se cristallisa, au sein de l’Armée et, notamment aux yeux des autorités et des acteurs du rétablissement de l’ordre, l’impératif d’un changement fondamental du système politique où l’Armée ne serait plus sujette à l’instrumentalisation de la part du pouvoir.
Conscients que seule l’Armée pouvait être un rempart ultime face aux périls d’une voie aussi aventureuse, les responsables militaires s’employèrent à sa consolidation et à sa préservation car, à leurs yeux, le salut et la cohésion nationale ne pouvaient se réaliser qu’autour de cette institution. L’avenir ne manquera pas de le confirmer.
La guerre du Golfe et la coalition des alliés contre l’Irak furent perçues par certaines opinions publiques arabes comme une version moderne des Croisades. L’invasion du Koweït par l’Irak, son annexion comme province par le régime autoritaire de Seddam Hussein, réprouvées au début par l’opinion en raison notamment de sa souveraineté mondialement reconnue, furent reléguées, plus tard, au second plan, par la façon tapageuse dont les médias occidentaux présentèrent les bombardements massifs contre Baghdad.
Une marche fut prévue et organisée initialement vers le siège du ministère de la Défense nationale. Sur mise en garde catégorique des autorités militaires, la marche fut déviée pour s’orienter vers le palais du gouvernement où une délégation fut reçue par le ministre de la Défense en compagnie de celui de l’Intérieur. Des observateurs mal avertis des enjeux ne relèveront que le treillis dont s’était revêtu un des leaders.
En fait, aucune de leurs doléances ne se rapporta au djihad en Irak. Par contre, elles eurent pour objet l’autorisation d’ouverture des camps d’entraînement pour une prétendue «défense populaire». Il leur a été notifié, et d’une manière tout aussi catégorique que précédemment, que pareille idée ne pouvait pas recevoir la moindre forme d’agrément.
Compte tenu de l’ambiance électrisée et de l’état de l’opinion publique qui voyait en l’Irak une victime et non un agresseur, c’eut été apporté de l’eau au moulin mobilisateur de l’ex-FIS que de réprimer le détail vestimentaire qui se voulait une manifestation symbolique de l’engagement pour la cause arabe.
Cet aspect folklorique fut souligné comme tel par le ministre de la Défense nationale et classé tout à fait négligeable en comparaison des enjeux du moment. Car, si pour certains partis politiques, cette impertinence fut l’essentiel, pour le ministre de la Défense nationale, il s’agissait surtout de priver l’ex-FIS d’engager des dividendes politiques auprès de l’opinion d’une part, et d’autre part, de le priver de véritables milices armées.
Moins de trois ans après Octobre 1988, la situation comme prévu, empira en dépit des recommandations maintes fois répétées. Le FIS vainqueur des élections municipales de 1990, se livrait à des actions factieuses débouchant sur une grève insurrectionnelle, dès le 25 mai, à la faveur de la loi organisant les législatives prévues pour le 27 juin 1991, la loi dénoncée par plusieurs partis comme «scélérate».
Opposé à ces élections, le FIS exigea le tenue de présidentielles anticipées et s’employa à faire échec aux législatives par des attroupements donnant lieu à des troubles graves. Habitué qu’il était à la défaillance des autorités gouvernementales en matière de respect de l’ordre public devant ses dépassements provocateurs, il s’enhardit davantage à cette occasion.
Le paroxysme fut atteint le 4 juin au soir. Ce qui conduisit à l’instauration d’un deuxième état de siège, après celui de 1988. Instruite des déconvenues de la première intervention, l’Armée demanda à ce que l’état de siège de cette fois-ci donnât lieu à un décret réglementaire transférant les Pouvoirs de police aux autorités militaires. Ce fut le cas le 5 juin 1991.
La date d’intervention, jugée tardive aux yeux de certains, relevait de l’appréciation du Pouvoir politique et ne fut pas un retard calculé et inavouable.
La situation a été apaisée d’une manière que l’on peut qualifier d’exemplaire du point de vue des forces de l’ordre, tant le «gâchis» préparé et recherché à travers une tentative de soulèvement populaire a été désamorcé et évité.
Afin que l’intervention ne donnât pas lieu à des heurts sanglants avec des attroupements très exaltés, le chef du gouvernement, en raison aussi de l’échec de sa politique, fut destitué par le président de la République.
C’est à l’issue de cette «destitution» que fut alors proposée la mise en place d’un conseil consultatif national qui devait regrouper l’ensemble des forces politiques.
Destinée à favoriser le multipartisme, l’idée de ce conseil fut d’abord différée, puis «enterrée» sur objection vigoureuse du secrétaire général du Front de libération nationale qui, croyait-il encore, pensait représenter la force politique dominante du pays.
Le nouveau chef du gouvernement, en dépit de ses louables efforts pour favoriser une relance du processus démocratique, ne put assurer un scrutin électoral libre et honnête comme promis, et pour cause! Les municipalités FIS échappaient à l’administration Publique, les mosquées demeuraient des tribunes électorales et des foyers de subversion.
Un million de cartes d’électeur ne furent pas distribuées, volontairement. La présence intimidante des militants du FIS au niveau des bureaux de vote et l’absence quasi-totale des autres formations, favorisa l’altération de la consultation législative de 26 décembre 1991 dont les résultats, en termes de sièges, auraient été tout autres si le bureau politique du FLN n’avait pas imposé le mode de scrutin uninominal majoritaire à l’Assemblée nationale, en opposition au projet gouvernemental qui, lui, prévoyait un scrutin proportionnel intégral au niveau de la wilaya.
Par ce mode de scrutin dû au duel BP/FLN-Gouvernement, avec seulement un tiers des voix exprimées en sa faveur, le FIS disposait de la majorité des sièges acquis au premier tour et s’assurait une majorité des deux tiers au second tour alors que le FLN, avec la moitié des voix du FIS n’avait que -près d’un vingtième des sièges du FIS et moins que le FFS qui n’avait réalisé que le tiers des voix du FLN. Ces résultats stupéfiants rendaient encore plus précaire le processus démocratique dénoncé de plus belle par les représentants du FIS avant et après le premier tour, par ses fameux slogans : «Pas de démocratie», «l’Etat islamique par l’urne ou le fusil», (Bi Essandouk aou bi elbendoukia).
Contre toute attente, les résultats des élections législatives du 26 décembre 1991 ont provoqué dans le pays une vague d’angoisse, y compris chez une partie de l’électorat FIS.
La campagne électorale menée avant le deuxième tour, plutôt que d’apaiser cette angoisse, l’a au contraire, exacerbée, tournant parfois à un véritable désarroi de certaines couches de la population. Les Algériens étaient déjà sommés de «modifier leurs usages vestimentaires». Kébir du Madfliss Echoura, n’est-il pas allé jusqu’à dire publiquement que quinze mille cadres iraniens étaient prêts à venir remplacer les cadre Algériens qui seraient tentés par l’exil ?
Les femmes, particulièrement, étaient exposées dans leurs professions et leur mode d’existence de chaque jour.
Par les résultats de ce scrutin, un parti ne disposant que d’un tiers des voix allait pourtant imposer un diktat irréversible au pays. Telle fut la perception des conséquences de ce scrutin par une partie de la société civile. L’on s’acheminai inéluctablement vers une guerre civile par l’affrontement de catégories
opposées de la Population. Les unes croyaient venu le moment de réparer des infortunes subies jusque-là, les autres craignant à tort ou à raison pour leurs bien , leurs libertés et jusque leur vie même.
La grande inconnue était : que ferait l’Armée nationale populaire face à ce dilemme ?
Sitôt les résultats du premier tour connus, une réunion regroupant les autorités militaires du pays se tain à Aïn-Naâdja pour une appréciation de la situation. Il a été conclu que la gravité de la situation exigeait plus que par le passé une cohésion sans faille de l’Armée, garante ultime de l’unité nationale et de sauvegarde de l’ordre constitutionnel.
Il n’a nullement été question de démission du président de la République, et encore moins d’une pétition quelconque à ce sujet, là ou ailleurs. Ce ne sont là que des assertions gratuites.
Après le premier tour, le ministre de la Défense nationale eut quatre entrevues avec le président de la République. Elles furent toutes à l’initiative du ministre et toutes sur accord du président sauf une.
La première eut lieu le samedi 28 décembre. Se trouvant sous le choc, le président préféra remettre l’entrevue à plus tard.
La deuxième, tenue à Ain Naâdja intervint après la réunion des cadres. Devant l’appréciation pessimiste des évènements et des graves complications qui pouvaient en découler il dit son «intention de prendre une initiative» sans autre précision. il lui fut demandé de différer cette «initiative» jusqu’à remise des conclusions attendues d’un groupe de travail chargé pour cela au ministère de la Défense nationale.
La troisième eut lieu le lundi 6 janvier 1992, une fois disponible, les conclusions du groupe d’étude du ministère de la Défense nationale. C’est au cours de cette entrevue que, sans jamais prononcer le mot de démission, il confia que malheureusement à son grand regret, il ne voyait pas d’autre issue que de confier la situation à l’Armée en recommandant d’éviter toute chaouchara (grabuge).
Je compris là alors, qu’il était démissionnaire et lui indiquai qu’un délai minimum de quelques jours était nécessaire pour rendre publique sa décision. La date fut arrêtée pour le samedi il janvier au journal télévisé de 20 h. Il avait préféré éluder ma suggestion d’expliquer sa décision au peuple. Il faut, à la vérité, préciser qu’à aucun moment n’a été évoquée avec le président de la République la question de l’arrêt du processus électoral. Curieusement, sa décision se rapprochait des conclusions du groupe de travail, sans qu’elles lui furent exposées. Ces conclusions se résumaient approximativement ainsi:
1- En dépit des engagements formels répétés, les élections n’ont été ni honnêtes ni libres, mais cette fois ce n’est pas par abus de la part du pouvoir mais par supercherie voulu’e et organisée à grande échelle par une partie de l’opposition agissant ostensiblement par intimidation et irrégularité. Qu’un parti, ne détenant qu’un tiers des voix, accaparât deux tiers des sièges à l’Assemblée, échappait à la logique de l’électorat qui y voyait une sorte de connivence avec certains milieux politiques proches du pouvoir et favorables à ce parti.
2- Loin d’être un moyen de stabilisation des institutions de l’Etat et un mode d’expression de la souveraineté populaire, les résultats de ce scrutin anticipé, sur exigence du FIS et leurs conséquences immédiates déjà annoncées, vont précipiter le désordre et, peut-être, mettre fin au multipartisme naissant ainsi qu’au régime constitutionnel basé sur la démocratie. Un retour à un type d’Etat moyenâgeux est à craindre.
3- La voie la moins aventureuse serait un coup de «théâtre politique» afin d’éviter la désarticulation annoncée des corps de l’Etat; désarticulation qui pourrait être fatale à la cohésion de l’Armée et des corps de sécurité. Peut-être pourrait-on alors préserver l’ordre constitutionnel, l’unité d’ pays et l’exercice réel et libre du principe de la souveraine populaire. Dans cet ordre d’idées, on ne peut passer sous silence que l’Armée, par voie de rapport, n’avait pas manqué de mettre en garde contre les dangers d’élections législatives anticipées ou même à terme échu si:
– l’administration municipale des communes n’observait pas la neutralité dans la préparation électorale;
– les mosquées n’étaient pas soustraites réellement à l’action partisane et factieuse ;
– l’autorité des pouvoirs publics n’était pas restaurée dans les grands établissements publics et les services décentralisés de l’Etat.
Ces démarches furent faites :
a) auprès du président de la République, en décembre 1990, après l’annonce, le 1 er novembre, de la tenue d’élections pour le premier trimestre 1991, lesquelles devaient être reportées au 27 juin 1991, puis annulées, sur exigence de l’ex-FIS, malgré la convocation du corps électoral et en raison de l’état de siège provoqué par la grève insurrectionnelle;
b) auprès de chef du gouvernement, en septembre-octobre 1991, avant la convocation du corps électoral. Il apparaissait nettement alors que la tenue d’élections honnêtes et libres demeurait une illusion tant une grande partie de l’administration communale et la majorité des mosquées constituaient des foyers subversifs et factieux instrumentalisés sans aucune retenue dans la lutte électorale.
La quatrième entrevue, qui a eu lieu en présence du commandant de la 1re Région militaire qui, comme moi, était de ses anciens compagnons, fut provoquée par le désir du Président Chadli de rapprocher la date de publication de sa démission.
Il se refusa là encore à envisager toute adresse au peuple mais se rendit à nos arguments pour le maintien de la date du 11 janvier. Ceci devait se faire sous les caméras de la télévision et en présence du Conseil constitutionnel qui devait recevoir sa lettre de démission. C’est ainsi que les choses se sont passées.
Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur la clairvoyance politique du président de la République, il n’en demeure pas moins qu’aux yeux de beaucoup d’officier avertis de la situation et des dangers menaçant le pays, l’acte de démission auquel il eut recours fut un acte politique de grande portée et qu’il sut à cette occasion éviter la voie aventureuse. D’après ce qui précède, il apparaît bien que, malgré les mythes entretenus à ce sujet par les «ténors» toujours malintentionnés, la démission du président de la République fut un acte librement consenti et qu’il s’agit en vérité d’u «non-coup d’Etat». Pour preuve, aucune restriction dans ses prérogatives ou libertés habituelles n’intervint, ni avant ni après sa démission. Pour la petite histoire, signalons qu’il reçut deux appels téléphoniques du président Mitterrand, dés le lendemain de sa démission.
Certes, l’Armée nationale populaire a joué un rôle dans cet épisode décisif mais s’interdit à ce jour de s’ériger en juge. Ces faits sont livrés à l’opinion publique algérienne. Le mythe du coup d’Etat militaire a pris naissance par une déclaration d’une personnalité de l’opposition connue depuis 1963, pour avoir été déjà responsable d’une lutte fratricide et pour son aversion, depuis, à l’égard de l’Armée. Il connut une amplification par les relais du parti socialiste français visité, il faut le croire, par les fantômes de la SFIO.
De même, il est aussi regrettable que des personnalités et des mouvements, proches de ce parti et connus jusque-là pour avoir été à l’avant-garde du progrès, enfourchent sans retenue les querelles partisanes du camp politique algérien par parti pris et préjugés d’un autre âge.
Sitôt assurée l’intention de démission du président de la République, il fallut s’attacher, sous le régime de l’extrême urgence, à la mise au point du train de mesures visant le maintien et le fonctionnement des institutions politiques, la préservation de l’ordre et de la sécurité et le déroulement normal des activités de la vie nationale. Ce fut une semaine d’extrême intensité, aggravée par le compte à rebours du deuxième tour qui se rapprochait, exacerbé par une campagne électorale haineuse et vindicative du FIS.
Une fois le principe de la démission du président acquis, le ministre de la Défense nationale et ses principaux collaborateurs eurent à débattre de la meilleure issue à cette situation.
Deux opinions se dégagèrent, soit:
– l’instauration d’un état d’exception avec prise de pouvoir directe par l’Armée;
– envisager une formule transitoire à travers une suppléance collégiale, à prédominance civile.
La première fut écartée car elle risquait de plonger le pays dans le système ancien alors que nous étions convaincus de l’impérieuse nécessité de consolider le système politique pluraliste. C’est pourquoi la deuxième fut retenue, car elle pouvait mener au point de non-retour vers la démocratie et le pluralisme.
Ce fut à un groupe constitué d’officiers de l’Armée et de quelques membres du gouvernement qu’échut le soin de présenter des propositions dans ce sens. L’accomplissement de cette tâche délicate et salutaire fut assumé avec dévouement et un sens élevé du devoir par les uns et les autres.
C’est à cette occasion que des formules diverses avaient été imaginées pour suppléer à la vacance clés pouvoirs du président de la République. Ceux qui soutiennent encore que l’intérimat devait constitutionnellement revenir au président de l’Assemblée populaire nationale, ceux-là sont oublieux des évènements juridiques vécus à l’Assemblée, et font fi volontairement de la fin du mandat de cette institution, proclamée solennellement dans son enceinte même, en séance officielle et politique et en présence du chef du gouvernement. Le décret de dissolution pris postérieurement à la clôture de la législature n’est dû qu’à une initiative du secrétaire général de la présidence qui considérait sûrement cela comme un acte administratif subséquent à la fin du mandat.
Une fois connues, les conclusions du Conseil constitutionnel quant à la double vacance des pouvoirs du président de la République et du président de l’Assemblée populaire nationale, l’intérimat ne pouvait être assuré légalement par le président du Conseil constitutionnel. Elles recommandaient une suppléance de cette vacance par les autorités composant le Haut conseil de sécurité, élargi au président de la Cour suprême.
Le Haut conseil de sécurité se réunit donc et, après débat, proclama l’arrêt du processus électoral.
C’est à l’issue des séances du groupe de travail que la formule du Haut Comité d’Etat fut retenue. Une fois connue l’instance de suppléance du président de la République, il me fut conseillé par un de mes proches collaborateurs d’envisager le recours à Mohamed Boudiaf pour la présidence du H.C.E
Agréablement surpris par l’idée, j’ai tout de même laissé percevoir des scrupules d’avoir à impliquer ce grand personnage de la Révolution en des circonstances aussi difficiles e douloureuses, alors qu’il avait été tenu à l’écart depuis le recouvrement de l’Indépendance. Ce ne fut que dans la nuit du 8 janvier 1992 et à mon domicile que le général Touati fut reçu en sa qualité de conseiller, accompagné du ministre Ali Haroun et Aboubekr Belkaïd. Là me fut renouvelée la proposition de faire appel à Mohamed Boudiaf. Mon adhésion fut alors cette fois instantanée et Ali Haroun se vit confier la tâche de le solliciter pour cela, dès le lendemain.
Ayant donné son accord de principe à Ali Haroun pour une visite préalable en Algérie devant intervenir le 12 janvier pour se prononcer définitivement, Mohamed Boudiaf se ravisa le 11 janvier. Cette hésitation fut de courte durée car le lendemain le ministre de la Défense nationale reçut son appel alors qu’il était en réunion du Haut conseil de sécurité et là Boudiaf lui dit: «L’Algérie est en danger, demain je serai Alger».
Ce fut un grand soulagement pour les autorités militaires et gouvernementales. Le lendemain,. effectivement, Mohamed Boudiaf put tenir des rencontres et avoir des entretiens avec des personnalités de choix, après qu’un avion spécial lui fut dépêché.
Avant son retour à Kenitra, il confirma sans aucune réticence son engagement plein et entier à présider le Haut Comité d’Etat. Son retour officiel se fit le 16 janvier, après que dans l’intervalle, une proclamation du Haut conseil de sécurité eut officiellement instauré le Haut Comité d’Etat comme instance de suppléance du président de la République avec les prérogatives constitutionnelles reconnues à ce dernier et jusqu’à épuisement de la durée du mandat en cours.
Alors que les jeunes générations n’affichaient qu’une curiosité sceptique à l’endroit de Boudiaf, des foyers occultes de l’opposition tentèrent d’associer à son image celle d’un vieillard déphasé, ramené dans le fourgon des forces rétrogrades.
Le FIS ne semblait pas s’embarrasser de précautions, il l’accusa urbi et orbi d’agent de la franc-maçonnerie internationale.
Tel un sphinx imperturbable, Boudiaf n’eut cure de cette gesticulation. Sa célèbre formule «Je n’ai pas de pouvoir à partager» après «la main tendue» pour sortir le pays de sa crise, révélait tout son tempérament et son patriotisme inaltéré et généreux et donna de lui l’image d’u homme d’Etat à la hauteur des évènements.
Par ses convictions évidentes, son courage lucide et la simplicité de ses rapports, Boudiaf ne tarda pas à éveiller l’intérêt d’un grand nombre. A l’expectative des premiers jours, fit place de plus en plus une adhésion encourageante. Son étonnante capacité de travail et son sens moral de la vie politique, se confondant chez lui avec la morale de tous les jours, lui valurent outre le respect et la collaboration loyale des membres du Haut Comité d’Etat,, la confiance d’un grand nombre de responsables d’institutions publiques, de représentants de la société civile et de certains leaders de la classe politique.
L’annonce de son programme politique autour des énergies patriotiques pour un avenir de liberté et de progrès dans la fidélité aux valeurs ancestrales nationales, où la jeunesse était appelée à conquérir une place privilégiée plutôt que de l’attendre passivement, provoqua incontestablement un déclic prometteur. Avec Boudiaf à sa tête, une dynamique nouvelle venait de s’ébranler lorsque survint la tragédie de Annaba. On ne saura jamais traduire l’incidence morale de cette tragédie sur ses compagnons du Haut Comité d’Etat et sur ses proches collaborateurs.
Au plan politique, ce fut un véritable cataclysme. Les circonstances dans lesquelles son assassinat fut perpétré ont failli plonger le pays dans le chaos. Ceux qui, dans l’opposition légale, affichaient un profil bas ne s’aventurant qu’à des murmures de contestation, versèrent depuis sa mort dans une contestation sans retenue, pointant du doigt les autorités en place.
Ceci résultait autant de manipulations politiciennes méprisables que d’un désir de profanation de sa mémoire et de son action.
Seules les obsèques nationales et populaires pouvaient être à la hauteur de l’abnégation qui l’a caractérisé sa vie durant.
La foule innombrable, composée à grande majorité de jeunes, venue pour son dernier adieu fit entrer le président Mohamed Boudiaf dans le meilleur des Panthéons: celui des cours.
Ironie de l’histoire, ce fut un membre de l’Armée nationale populaire, armée pour laquelle Boudiaf éprouvait de la considération, qui mit fin à sa vie, en plein élan et essor politique. Mohamed Boudiaf après qu’il eut pris connaissance durant trois jours d’un documentaire de présentation de l’Armée, me confia : «Nous avons une grande Armée bien structurée et bien encadrée. Je ne comprends pas le cas des désertions signalées.» (A l’époque, le nombre avoisinait une vingtaine). Je lui fis part de mon point de vue de ministre de la Défense nationale, averti de la composante populaire de l’Armée, exposée autant que les autres corps aux idées de désarroi ambiant.
En dépit de ce qui fut distillé comme désinformation visant à semer le doute sur l’institution militaire, du fait que Boumaârafi appartenait aux rangs de l’Armée, l’arrestation de l’assassin de Boudiaf, sa protection constante, y compris lors de la tentative d’évasion de Serkadji, et enfin sa présentation à un Procès public devant une juridiction civile, sont autant de gages que la félonie d’un sous-lieutenant ne saurait en rien entacher la loyauté de toute une armée.
L’Armée justifie admirablement la confiance placée en elle, confiance jamais démentie à ce jour, grâce à sa rectitude vis-à-vis du devoir et à sa fidélité à la nation ; le sens de la discipline dont elle a fait dans son engagement pour le rétablissement de l’ordre, n’est autre que le reflet de son discernement. Cette Armée produit des efforts du labeur de plusieurs d’entre nous ; j’ai eu l’honneur de la diriger avec fierté et de la représenter avec scrupules. je tiens ici, à rendre un hommage souligné à tous ses personnels, en apportant le témoignage, devant les dangers menaçants le pays, notre réconfort et notre sérénité venaient de sa loyauté et de sa disponibilité.
Ma pensée aujourd’hui va vers ceux qui sont tombés au champ d’honneur, victimes du devoir. La patrie devra leur être à jamais reconnaissante. C’est cette loyauté et cette rectitude qui l’ont toujours caractérisée, qui ont rendu vaine et puériles les tentatives de déstabilisation orchestrées par ceux-là mêmes qui se croyaient voués à un destin national.
Que ceux qui trouvent curieux et étrange que des militaires, de retour de La Mecque, se targuent d’avoir accompli le devoir de pèlerinage et que ceux qui s’étonnent de la salle de prière au sein des casernes, que ceux-là ne perdent pas vue que l’Armée algérienne est issue d’un peuple musulman et que sa composante humaine est musulmane. Ceci, loin de susciter l’inquiétude, constitue, bien au contraire, une assurance et une source de réconfort pour les autorités militaires.
Boudiaf disparu, son programme politique était voué à l’échec, sans son charisme, sans sa capacité de mobilisation et le capital confiance dont il jouissait. A l’inverse, ses collègues du Haut Comité d’Etat, en dépit des mérites et des qualités personnelles des uns et des autres, étaient sujets à une défiance que certains milieux politiques s’employèrent à cultiver. Si pour Boudiaf, il ne pouvait y avoir un quelconque dialogue pour un «partage du pouvoir», pour ses successeurs, soucieux de préserver les structures physiques de l’Etat, un dialogue dans le respect des lois de la République et excluant tous ceux qui prônent la violence, s’avérait une nécessité. La lutte contre le terrorisme devait continuer.
C’était compter sans l’éternel jeu politicien d’une bonne partie de la classe politique et si le Haut Comité de l’Etat réussit à tenir ses engagements et à être fidèle à la proclamation 14 janvier 1992, c’est grâce à l’émergence et à l’engagement résolu de la société civile autour des organisations nationales avec à leur tête l’Union générale des travailleurs algériens du mouvement associatif.
Elle s’inscrit dans la tenue d’une conférence nationale débouchant sur une plate-forme consensuelle prônant la restauration de l’ordre public et de la sécurité.
La restructuration de l’économie nationale et le retour au processus électoral par la voie du dialogue et de la concertation, dans le respect des fonctions souveraines de l’Etat, étaient également des recommandations de cette plate-forme.
C’est ainsi qu’une présidence de l’Etat avait été prévue pour succéder au Haut Comité d’Etat. Auparavant, ce dernier avait pris soin de trancher sur une question cruciale longuement débattue et souvent différée. Il s’agissait, à l’issue d’u n séminaire prévu et tenu à cet effet, de prendre option sur l’économie de marché et ses aspects subsidiaires.
Telles sont les informations que j’ai estimé devoir livrer pour éclairer l’opinion publique sur des évènements majeurs et les circonstances graves qui ont marqué l’actualité nationale ces dernières années.
Bien sûr, ceux qui ont fait vou de scepticisme à l’endroit du «pouvoir» préféreront être édifiés à d’autres sources.
Quant à son origine, la crise à laquelle a été exposé notre pays semble prendre également sa source dans les transformations et les mutations de tout ordre qu’a connues notre société. Pareille épreuve qui aurait été certainement fatale à nombre de systèmes politiques, fut pour le génie algérien, l’occasion de se cristalliser et de sécréter sa propre force pour une voie de survie et d’épanouissement autour des énergies et des volontés disponibles, riches et diverses, présentes sur la scène sociale et politique.
En vérité, s’il est incontestable que la question de l’accès au pouvoir de certaines équipes a été favorisée par leur passé militaire, il n’en demeure pas moins que l’Armée en tant qu’institution y eut plus à pâtir qu’à gagner. En fait, ces équipes, une fois au pouvoir, n’ont eu de cesse que de la tenir éloignée de toute influence sur le cours politique des choses. Si parfois, il arrive que l’on se prévale du poids moral de l’Armée, ce ne fut que pour se dépêtrer de problèmes « internes » épineux et dans ce cas-là, le point de vue de l’Armée se réduisait
à celui de quelques cadres choisis et consultés pour les besoins de la cause.
Quant aux questions proprement militaires, elles furent longtemps délaissées au point de n’être abordées que sous l’urgence de crises graves.
Par ailleurs, et dans cet ordre d’idées, si du temps du président Boumediene, il n’y eut nulle confusion entre les instances du pouvoir et les autres structures, depuis sa mort, l’on vit la primauté du parti érigé en dogme intangible du pouvoir, au point que les questions de politique du niveau local ou national relevaient en dernier ressort des seules instances du parti.
Nul doute que l’Etat et les institutions sortiront renforcés et probablement avec plus de capacité, une fois la crise résorbée. Si du temps des années fastes, les candidatures aux postes ministériels et à ceux des pouvoirs publics, notamment à hauteur des municipalités, étaient légion, pendant la bourrasque, seuls les hommes les plus sincèrement dévoués y consentirent. Leur engagement est d’autant plus méritoire qu’il se faisait en connaissance des dangers encourus, avertis qu’ils étaient aussi du peu d’égards qui, parfois, hélas ! avait été réservé à leurs prédécesseurs.
Pour certains, et c’est tout à leur honneur, accepter un poste de responsabilité en ces circonstances, c’était «monter au maquis une deuxième fois». La construction de la démocratie est et sera à la hauteur de tels engagements.
Après la prise de conscience de la souveraineté nationale survenue en 1962, une conscience collective à la liberté a émergé chez le citoyen algérien. Ceci doit être irréversible et doit constituer la voie de l’épanouissement et de l’essor. C’est par cette conquête que sera parachevée la Révolution de Novembre. Quant au pluralisme démocratique, il ne devra pas à se réduire au «volet politique» et devra proscrire nécessairement la violence ainsi que toute idéologie qui s’en inspire.
Certes, viendra un jour le moment de panser les blessures mais il ne saurait y avoir de plaies guérissables sans l’aveu et le repentir des auteurs des exactions et des abominations commises contre le peuple et l’Etat et sans une décision judiciaire protectrice contre les ressentiments. Si l’attitude hautement méritoire de l’Armée a été relevée par l’ensemble des médias, on ne peut omettre de souligner également combien les attitudes et les comportements de courage, de lutte et d’abnégation des différents corps de la société et des milieux populaires ont été précieux et encourageants dans l’accomplissement de la mission de l’Armée nationale populaire et des forces de sécurité en général.
Cet hommage mérité va aussi aux pionniers de la presse, aux serviteurs anonymes des corps de la Fonction publique et, des entreprises ainsi qu’aux femmes algériennes pour leur combat admirable et exemplaire. Cette lourde épreuve a montré, aussi, combien est encore vivace le patriotisme chez notre jeunesse qui, à l’exemple de ses aînés moudjahidine, n’a pas hésité à s’assumer pour le bien de son pays.
Des jeunes, de toutes origines sociales, ont largement répondu, avec un esprit de responsabilité remarquable, au besoin de préservation de l’ordre public ou de défense nationale, à l’échelle de leur commune d’origine ou dans les rangs du Service national. Ce sont là les signes évidents d’un retour inéluctable à la stabilité et à la reprise de l’envol national.
Il incombe à la classe politique, maintenant que les mythes se sont effondrés, de ne pas manquer cette fois-ci ce rendez-vous de l’Histoire et de rompre désormais avec les combats stériles d’arrière-garde.
Pour ma part, nulle pax romana ne peut se concevoir pour notre pays. Seule prévaudra, en Algérie, la paix recherchée et voulue par l’Etat et la communauté nationale.