Affaire Zendjabil: Le Zèle à rebours du procureur général

Affaire Zendjabil

Le Zèle à rebours du procureur général

Djamaleddine Benchenouf, Algeria-Watch, 10 novembre 2006

Tant va la cruche à l’eau qu’elle finit par se casser ! Le régime algérien n’est même plus en mesure de donner le change. Le voilà encore une fois nu, sous son véritable jour. Celui d’une association de malfaiteurs. La vénalité et la corruption au pouvoir s’affichent désormais aux yeux des plus sceptiques! Des responsables de tout poil qui ont fait main basse sur toutes les Institutions de l’Etat et dont les commis aussi zélés que véreux les enfoncent davantage quand ils croient venir à leur rescousse.

C’est le cas du Procureur général de la république près la Cour d’Oran dont la récente déclaration à la presse au sujet de l’affaire Zendjabil montre de façon manifeste que les vrais barons du trafic de drogue en Algérie sont ceux qui lui dictent leurs instructions et la conduite à tenir. Ce magistrat déclarait ainsi, il y a quelques jours, au journal « Le Jour d’Algérie  » : « Pour nous l’affaire Zendjabil n’existe pas ! » Croyant peut être escamoter avec une telle facilité l’affaire criminelle la plus grave depuis l’indépendance, en ce sens qu’elle est l’archétype des pratiques occultes de la junte militaire et qu’elle est le fil conducteur qui établira sans ambiguïté le rôle majeur des généraux dans la manipulation du terrorisme et le massacre des populations civiles, le procureur général poursuivra, dans le même entretien :  » Nous n’avons aucun dossier sur cette affaire, absolument aucun ! » Tout un chacun appréciera l’énergie de cette catégorique dénégation: « Absolument aucun ! » Parle-t-il pour la Cour d’Oran, comme le suggèrent certains responsables soucieux de rattraper cette bourde ou de toute l’Institution judiciaire ? Dans un cas comme dans l’autre, ces déclarations sont, de toutes façons, assurément mensongères, voire délibérément trompeuses et susceptibles de lui valoir un jour (qui sait ?) de s’être servi de ses attributions pour protéger des criminels. Surtout qu’il lui suffisait de demander le volumineux dossier du procès de Hazil Kada, qui s’est tenu à Oran, en septembre 2002, celui par qui le scandale était arrivé, et durant lequel des accusations de trafic de cocaïne ont été portées contre de nombreuses personnalités, dont le général major K.Abderahmane, entre autres.

Rappelons également à toutes les autruches qui ne veulent pas voir, que lors de son procès à Alger, en avril 2005, l’ex wali (préfet) d’Oran, Frik Bachir, avait déclaré en pleine audience que les vraies raisons de sa comparution pour dilapidation de biens publics se trouvaient dans le fait que son ex-directeur de l’Action Sociale, Hazil Kada, avait dénoncé au chef de l’Etat le rôle majeur que jouait le général major Kamel Abderahmane, chef de la 2eme région militaire, ainsi que de nombreux autres responsables sécuritaires, dans le trafic de la drogue. Ces déclarations avaient peut être été occultées des procès verbaux d’audience, mais elles avaient été reprises par la presse écrite, y compris étrangère, et avaient suscité une véritable clameur publique dans tout le pays. A Oran surtout, théâtre de l’affaire et dont le parquet disposait d’un volumineux dossier.
La Loi, dans ce genre de situation, fait obligation au ministère public de déclencher une action publique, soit pour poursuivre les mis en cause, ou dans le cas de diffamation, d’ester l’auteur d’une telle accusation, même si les « diffamés » n’ont pas porté plainte, parce que ce sont les institutions qu’ils représentent qui sont offensées. Et quelles institutions ! Les accusations de l’ex-Wali resteront sans suite et il n’en sera tenu aucun compte. Pendant que les diffamés se fondront dans un silence coupable, Bachir Frik sera condamné à une lourde peine de prison, huit ans, pour des faits qui sont la pratique ordinaire des commis de l’Etat et dont des dossiers, autrement plus accablants sur la gestion de tout le domaine privé et public de l’Etat, sont en possession de nombreux journalistes. La Justice algérienne et l’Etat algérien dans sa totalité, venaient de se rendre coupables d’une forfaiture qui fera date dans l’Histoire du pays. Même coupable de ce qui lui était reproché, rien que de plus toléré dans la pratique de l’Autorité à tous ses échelons, jusqu’au chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia lui même, Frik Bachir a apporté la preuve qu’il a payé pour ne pas avoir fait respecter l’Omerta sur des pratiques autrement plus mafieuses, plus mortifères, de la junte. La Cour d’Oran, comme le tribunal d’Alger, contrairement à ce que prétend son procureur général, possède donc un dossier sur l’affaire. Que celui ci soit occulté ne change rien aux faits !

S’agissant maintenant de l’Institution de la Justice en tant que telle et de l’existence formelle de cette affaire Zendjabil, la presse a largement rapporté, bien que de façon relativement prudente, mais sans être poursuivie de la plus petite façon, des éléments de l’affaire qui impliquent directement et nommément de hauts responsables sécuritaires, un Wali, des magistrats, des commissaires de Police et une pléthore de « serviteurs » de l’Etat en tous genres. Aucun de ces messieurs, ni aucun de leurs honorables employeurs, n’a porté plainte pour diffamation. On connaît pourtant des cas de journalistes qui ont été jetés en prison pour des révélations autrement plus anodines. Un ex-chef de sûreté de Wilaya, le plus puissant en son temps et qui a joué un rôle clé dans la gestion du « terrorisme », a même impliqué directement et sans équivoque, dans les colonnes du quotidien El Watan, de hautes autorités sécuritaires. L’opinion publique a, de surcroît, largement été abreuvée de détails sur la « reddition » de Ahmed Zendjabil et de ses déclarations sur le rôle que lui ont fait jouer les généraux dans le financement des groupes terroristes.
Certains lecteurs nous ont avoué qu’ils croyaient rêver. Cet homme s’était, jusqu’à preuve du contraire, constitué prisonnier au parquet de Blida, en présence de nombreux témoins et après avoir laissé une sorte de testament au cas où il lui arriverait quelque incident. Il s’était rendu au parquet de Blida, parce qu’il savait, peut être, qu’au tribunal ou à la Cour d’Oran, il aurait été remis illico presto aux tueurs de ses parrains qui sont maîtres de la région. Rien n’interdit de le penser. Rappelons nous la rocambolesque évasion de Ghorfati Fethi, cet autre « Escobar algérien » du tribunal de Essenia à Oran, au nez et à la barbe des policiers, des gendarmes, des vigiles et autres gardes chiourmes qui faisaient tous semblant de lacer leurs chaussures.

Des sources très crédibles et provenant de milieux qui organisent la fuite d’informations accablantes, peut être dans de bonnes intentions, font état d’une panique sans précédent au sein des hautes sphères de la hiérarchie militaire. Parce qu’à ce niveau là, les « décideurs » savent que l’affaire Zendjabil est le fil d’Ariane qui mènera à la vérité sur la tragédie algérienne. Des journalistes et des politicards de service qui ont mouillé dans « la sauvegarde de la république » détournent la tête et ne veulent ni voir, ni entendre et moins en parler. Des clans qui étaient en lutte déclarée se rabibochent et se serrent les coudes, parce qu’ils savent qu’il y va de leur survie. Parce qu’ils savent que de nombreux agents des services de sécurité, torturés par leur conscience, attendent le moment propice pour livrer les lourds secrets qui les oppressent. Ils ont compris qu’il leur fallait reprendre les rênes. Au plus vite. Des mesures sont prises dans la précipitation et des consignes sont données pour circonscrire le danger. La stupéfiante déclaration de ce procureur général va dans ce sens. D’autres précautions vont être prises, si elles ne l’ont déjà été. Comme de soustraire Zendjabil à la curiosité publique et de le confier à un club plus discret ! Celui du DRS. Comme dans l’affaire Abderazak le Para, présenté comme n° 2 du GSPC, qui n’a pu se rendre à son propre procès et qui y a été condamné par contumace alors qu’il était l’invité des agents honorables du DRS. Il faudra donc s’attendre à ce que Zendjabil soit « récupéré » dans les jours prochains. Nous apprendrons donc que les « honorables agents de l’Etat » qui ont été salis par une presse au service de je ne sais qui et autres relais « politico-médiatiques », ont été blanchis par Zendjabil lui même. A moins que des forces adverses, dont on ne devine pas encore les motivations et la nature, n’en décident autrement. Nous verrons.

En attendant, d’autres dispositions « collatérales » sont prises pour remettre les pendules à l’heure de la violence. Bizarrement, au moment où l’on nous jure que le GSPC vit ses derniers moments, le feu se ravive. Surtout dans la région la plus frondeuse du pays, en Kabylie. Ceux qui avaient cru bien manœuvrer pour être absous par le « peuple souverain » et qui ne se consacraient plus qu’à leurs juteuses affaires, agissent comme s’il n’y croyaient plus. Ils rendossent leurs côtes de mailles. En représailles contre les clans qui ont vendu la mèche, où qui chassent sur leurs brisées, des révélations sur les uns et les autres pleuvent. C’est le grand déballage. Autant pour gêner les adversaires que pour détourner l’attention sur « l’Affaire ». Les scoops et les scandales sont tellement nombreux qu’ils n’intéressent plus. Les arrestations de « Pablo Escobar » algériens et au pluriel se multiplient. Les prises de « grosses quantités » de Kif aussi. Prouvant ainsi que les statistiques fournies jusque là par les services de sécurité étaient très largement corrigées à la baisse. Il faut savoir néanmoins que cela n’affecte en rien le trafic. La machine est trop bien huilée pour pouvoir s’arrêter.
l y a trop d’argent en jeu. Trop d’acteurs. D’autant que la récolte de cette année au Maroc, qui a eu lieu quelques jours après la fête de l’Aïd, est d’une qualité exceptionnelle. Les premières livraisons du kif marocain via l’Algérie sont d’ailleurs déjà arrivées sur le marché européen. A Anvers et ailleurs. Les ports algériens, y compris ceux de plaisance, de pêche et même pétroliers, carburent à plein. Dans cette formidable activité, d’un rapport faramineux, les Ahmed Zendjabil, Kopa, Chenafa, Gherfati et les autres font figure de pions. Ils le sont. C’est peut être pour ça que le procureur général d’Oran affirme qu’ils n’existent pas. Tout comme lui. Qu’il sache cependant que personne n’attend de lui qu’il renverse les montagnes ! Mais qu’il les fasse accoucher, s’il le peut ! Mais tant va la cruche à l’eau…