Zendjabil emporte ses secrets dans sa tombe
La mort de l’ex-baron de la drogue confirmée
Zendjabil emporte ses secrets dans sa tombe
El Watan, 27 septembre 2012
La Gendarmerie nationale a confirmé l’identité de Ahmed Zendjabil. Un de ses fils a été arrêté, alors que les deux enquêtes ouvertes sur les circonstances de cette affaire se poursuivent. Mardi soir, Zendjabil a été enterré par quelques personnes au cimetière de Ouled Ben Abdelkader, entre Oued Sly et Boulefrad, au sud-ouest de la wilaya de Chlef.
Hier, les services de la gendarmerie ont confirmé que Ahmed Zendjabil est bel et bien mort. L’expertise ADN effectuée sur lui ainsi que sur des membres de sa famille l’a prouvé. Les deux enquêtes ouvertes à Oran et à Chlef se poursuivent afin de lever le voile sur la mort de ce personnage des plus énigmatiques. Les premiers résultats font état de nouvelles révélations.
Zendjabil avait été admis, sous une fausse identité, très tôt dans la matinée du dimanche 23 septembre, dans une clinique privée de chirurgie cardiaque, à moins de 200 mètres du siège de la sûreté de wilaya d’Oran. Il souffrait d’un malaise cardiaque. Contrairement à ce qui a été annoncé hier, apprend-on auprès des services de la Gendarmerie nationale, il n’a pas été opéré vu son état critique. «Il a rendu l’âme quelques heures après, puis a été transféré par un groupe de personnes non encore identifiées. Mais les tests ADN ont confirmé qu’il s’agit bien de Ahmed Zendjabil.» Ainsi, en voulant mourir tranquillement dans le secret le plus total, Ahmed Zendjabil a compliqué davantage la situation à sa famille et son entourage. Déjà, un des enfants a été arrêté, alors que tout a été fait par les siens pour que son enterrement se déroule rapidement et loin, très loin des yeux. En effet, il a été enterré mardi en début de soirée en présence de quelques personnes qui se comptent sur les doigts d’une seule main.
Tout comme son parcours sulfureux, sa mort aura été une véritable énigme et toutes les supputations sur les conditions dans lesquelles il a rendu l’âme sont permises. Son cas suscite de lourdes questions auxquelles aucune réponse n’est possible pour l’instant. En effet, l’on se rappelle qu’en 2006, l’«Escobar algérien» s’était rendu aux services de sécurité après une cabale de plusieurs années, durant lesquelles il était à la tête du plus important réseau national et international de trafic de drogue en provenance du Maroc. Au plus fort de la période du terrorisme, il bénéficiait de la complicité de nombreux responsables des services de sécurité, militaires, policiers, douaniers et cadres de l’administration. Il avait même obtenu un passeport alors qu’un mandat d’arrêt international était lancé contre lui par Interpol.
L’ancien chef de la sûreté de wilaya d’Oran avait affirmé, dans une déclaration publiée par les journaux en 2006, que la délivrance de ce document de voyage avait été faite sur instruction d’une très haute autorité sécuritaire à Oran. Celle-là même qui l’aidait à sécuriser les convois de drogue qui traversaient la frontière avec le Maroc et toutes les régions ouest qui, pourtant, étaient à l’époque sous l’emprise d’une forte activité terroriste. Le 3 juillet 2006, Ahmed Zendjabil s’était constitué prisonnier à la 1re Région militaire, à Blida. Avec des membres de sa famille, il s’était rendu à la condition de bénéficier de la loi portant réconciliation nationale, arguant du fait que les fonds générés par son cartel étaient versés aux groupes terroristes.
Selon des sources proches de ce dossier, ce trafiquant de drogue aurait «balancé» ses nombreux parrains, parmi lesquels se comptaient des membres des plus hautes autorités militaires et civiles de l’Oranie, mais aussi ses relais au Maroc, en Belgique, en Espagne et en France.
Sa reddition serait intervenue après qu’un autre cartel ait pris le contrôle d’une grande partie de ses réseaux, après la «chute» de ses protecteurs. Selon nos interlocuteurs, Zendjabil aurait fait état de 19 personnalités avec lesquelles il aurait eu des confrontations tout au long du mois d’août 2006, à Blida.
L’opinion oranaise connaît bien cet Escobar et sait que s’il était devenu aussi important, c’est parce qu’il bénéficiait de la protection d’officiers supérieurs de la Région militaire, de hauts cadres de la wilaya d’Oran ainsi que d’officiers de la Sûreté nationale. Son activité a connu un développement fulgurant au point où, vers la fin des années 1990, il avait réussi à contrôler l’ensemble des réseaux de résine de cannabis marocaine qui approvisionnaient le marché européen, moyen-oriental et algérien. L’immunité dont il bénéficiait lui avait permis d’échapper pendant des années à la justice, jusqu’en 1999, date à laquelle un mandat d’arrêt international pour contrebande de drogue avait été lancé à son encontre par le biais d’Interpol. En dépit de ce mandat, il avait continué à organiser ses réseaux et à assurer l’acheminement de la drogue, mais avec une plus grande discrétion. Il sera néanmoins arrêté en 2003, mais ses complices l’ont aidé à s’évader du tribunal d’Es Senia où il devait être jugé.
En 2004, les changements opérés à la tête de l’administration et des autorités sécuritaires d’Oran, déstabilisent ses réseaux devenus de plus en plus vulnérables. Pour se rendre, Zendjabil avait obtenu des garanties assez fortes.
Les révélations qu’il avait faites avaient eu des répercussions importantes non seulement en Algérie, mais aussi au Maroc, où de hauts responsables de l’armée royale sont tombés, parmi eux le général Hamidou Laânigri, directeur général de la police. Certaines sources avaient même révélé que l’arrestation de Kharraz, alias Cherif Benlouidane, le Pablo Escobar marocain, avait pu avoir lieu grâce à Zendjabil, son ami intime et son fournisseur de toujours.
Le réseau démantelé constituait en réalité une immense toile d’araignée impliquant d’importantes personnalités militaires et politiques marocaines. Des informations du côté algérien, rien n’a filtré sur les décisions prises à la suite des aveux de Zendjabil. Durant des années, c’était le black-out. Pourtant, tous ses proches étaient formels ; pour ceux qui le connaissaient, il ne se serait jamais rendu sans garanties. Avait-il négocié la liberté sous une nouvelle identité ? Avait-il réussi à prendre la fuite ? Nous n’en savons rien pour l’instant. Une chose est sûre : sa mort est une délivrance pour tous les hauts responsables civils et militaires qui l’ont aidé à devenir l’Escobar algérien au moment où les meilleurs enfants du pays étaient fauchés par les hordes terroristes.
Salima Tlemçani